Le célèbre fabricant d’aspirateurs veut doubler le nombre de références de sa gamme, s’aventurant dans la beauté et les objets connectés. Il sort, en 2023, un étonnant casque audio purificateur d’air et se lance dans la robotique.
Ce jour de fin du mois de novembre, l’épais brouillard qui plane sur Malmesbury empêche de voir à plus de dix mètres. Cela ne doit pas déplaire à James Dyson, le fondateur des aspirateurs Dyson. Il a choisi cette petite ville de 5 000 habitants, dans la campagne du Wiltshire, dans le sud-ouest de l’Angleterre, pour installer l’un de ses deux campus britanniques.
L’ingénieur de 75 ans veille en effet à garder les projets menés ici à l’abri des regards curieux. Même les employés de la société sont soumis à un strict régime d’habilitation, qui les empêche d’accéder librement à toutes les zones du site. Rares sont ceux qui connaissent tous les produits qui sont imaginés dans ce lieu, et certains ne seront jamais révélés au grand public, s’ils n’arrivent pas jusqu’à la phase de commercialisation.
Ce n’est pas le cas du dernier-né de la gamme Dyson, qui, après cinq années de travail, va aller à la rencontre des consommateurs en 2023. Un objet déroutant qui combine un casque audio sans fil avec un système de purificateur d’air passant par une coque en plastique, fixée au niveau des oreilles et couvrant la bouche de l’utilisateur. Ainsi appareillé, on ressemble à un joueur de hockey sur glace ou à un personnage de Mad Max. Pas facile à assumer.
Des ratés
L’objet est censé répondre à ce mantra qui s’affiche sur les murs du campus : « Nous résolvons les problèmes que les autres choisissent d’ignorer avec des nouvelles inventions surprenantes qui défient les conventions. » En l’occurrence, il s’agit de s’attaquer aux ravages de la pollution de l’air qui, selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé, brandi par Dyson, serait à l’origine de sept millions de morts prématurées par an. Reste à convaincre les consommateurs d’adopter ce produit.
« Il y a toujours une part d’incertitude à faire des choses nouvelles, on ne sait pas comment les gens vont l’accueillir. Mais on a toujours pris des risques, cela fait partie intégrante de l’innovation », assume Alex Knox, vice-président chargé de l’ingénierie.
Dyson peut se targuer d’avoir réussi, depuis sa création en 1993, à lancer avec succès des nouvelles catégories de produits, à commencer par les aspirateurs sans sac à poussière. Plus tard, l’entreprise a développé des ventilateurs sans hélices, des purificateurs d’air et toute une gamme de produits de soin pour cheveux. Point commun entre toutes ces innovations, l’utilisation d’une technologie de brassage de l’air pulsé par un moteur conçu en interne.
Mais Dyson a aussi connu ses ratés. Au début des années 2000, il a lancé un lave-linge, dont il a dû abandonner la production moins de cinq ans plus tard. Plus retentissant encore, l’échec du projet de voiture électrique auquel Dyson a renoncé fin 2019, constatant qu’il ne trouverait pas le chemin de la rentabilité. En trois ans, un demi-milliard de livres sterling (568 millions d’euros) a été englouti dans ce projet, notamment pour le rachat de la vieille base militaire aérienne de Hullavington, à quelques kilomètres de Malmesbury, sur laquelle devaient être réalisés les tests des véhicules. Le marasme aurait pu inciter Dyson à plus de prudence. Rien ne l’indique.
« Public plus jeune et plus urbain »
Pour le directeur commercial de la marque, Tom Moody, le lancement du Dyson Zone – le nom du casque audio – constitue une étape importante pour l’entreprise britannique. « Aller vers les produits de beauté nous a ouvert des marchés et fourni des occasions de créer des objets inédits. Cela a changé Dyson. C’est la même chose avec cette nouvelle catégorie des wearables [accessoires connectés]. Elle va nous permettre de toucher un public plus jeune et plus urbain. »
James Dyson a fixé des objectifs ambitieux à sa société. D’ici à 2025, la marque veut doubler le nombre des références dans sa gamme, notamment dans le secteur de la beauté. Mais pas seulement. De la base de Hullavington, elle entend faire désormais le plus grand centre de robotique du Royaume-Uni. Avec l’idée de produire des robots multifonctions pour aider aux tâches domestiques.
La marque ne s’interdit aucun territoire : « Aujourd’hui, on peut considérer Dyson comme une compagnie tournée vers le grand public, même si on fournit déjà à des sociétés des sèche-mains, des produits d’éclairage. Mais, demain, qui sait, on pourrait s’intéresser au marché des entreprises. Cela dépend des projets qui vont émerger », indique M. Knox.
Pendant l’épidémie de Covid-19, Dyson a développé en urgence des respirateurs pour équiper les hôpitaux britanniques, mais l’expérience a fait long feu, et le développement du produit a été, depuis, abandonné.
Investissement massif
L’entreprise a également massivement investi pour acquérir une expertise dans le monde du logiciel, sous l’impulsion de Jake Dyson, le fils du fondateur. Celui-ci estime qu’« une nouvelle ère s’ouvre, où les produits seront portés par les logiciels et le cloud ». Deux cent cinquante ingénieurs spécialisés dans les domaines de la robotique, de l’apprentissage automatique ou de la vision par ordinateur ont déjà été recrutés, et Dyson veut en attirer 700 de plus dans les cinq prochaines années.
Pour tous ces nouveaux projets, un investissement de 2,75 milliards de livres sterling a été programmé entre 2020 et 2025. Les embauches dans l’entreprise n’ont jamais été aussi élevées, avec 2 000 nouvelles arrivées en 2022 dans la société, qui en compte désormais 14 000, dont une majorité (8 000) au Royaume-Uni.
Ce qui n’empêche pas la multinationale de pencher de plus en plus vers l’Asie, qui est aujourd’hui son principal marché. Elle justifie ce basculement par une volonté de se rapprocher de ses fournisseurs et de ses consommateurs, mais aussi par la possibilité d’y trouver les ingénieurs qu’elle peine à dénicher au Royaume-Uni.
Dyson a même transféré son siège à Singapour, en 2019, alors même que son fondateur avait fait campagne en faveur du Brexit, soutenant que le Royaume-Uni indépendant avait des atouts à jouer dans la mondialisation. Cela n’a pas manqué d’attirer les railleries de la presse britannique, qui, à l’époque, a accusé l’homme d’affaires de choisir l’Asie pour des raisons purement fiscales.
Un bénéfice de 1,5 milliard de livres sterling
Les résultats économiques sont, en tout cas, plus que satisfaisants : 6 milliards de livres sterling de chiffre d’affaires et un bénéfice de 1,5 milliard de livres en 2021. Des succès qui permettent à James Dyson d’être aujourd’hui le citoyen britannique le plus riche du royaume, avec une fortune estimée à 23 milliards de livres sterling, et de laisser libre cours à de nouvelles passions.
Le milliardaire doit ouvrir, en 2023, une galerie d’art sur son domaine de Dodington, dans l’ouest de l’Angleterre, où il exposera sa collection personnelle. Il a également été pris d’une surprenante ardeur agricole. Non content de se lancer dans la culture du vin dans sa propriété varoise de Villecroze, M. Dyson a aussi acquis 14 000 hectares de terre en Grande-Bretagne, produisant blé, betteraves, pommes de terre, petits pois… Ses réflexes d’ingénieur l’y ont d’ailleurs rattrapé : sur ses exploitations, des tracteurs automatiques s’activent, survolés par des drones.