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Les derniers jours de la maternité des Lilas : « C’est la fin d’un eldorado où le choix des femmes était au cœur de la prise en charge »

Par Pauline Baron Publié le 31 octobre 2025 

ReportageL’établissement francilien, ouvert en 1964, a définitivement cessé son activité, le 31 octobre, dans un contexte généralisé de fermetures des maternités. Les soignantes de ce lieu militant, qui pratiquait l’avortement avant sa dépénalisation et s’était spécialisé dans l’accouchement dit « physiologique » ou « naturel », dénoncent une décision budgétaire.

Ada. L’équipe de la maternité des Lilas, en Seine-Saint-Denis, se souviendra de ce prénom. C’est celui du dernier bébé né dans l’établissement, cinq jours avant sa fermeture définitive, le 31 octobre. Une décision actée par l’Agence régionale de santé Ile-de-France (ARS), en juillet. « Aucun accouchement n’était prévu la dernière semaine pour ne pas avoir à transférer de patiente », précise Angélique Kuipers, la sage-femme venue s’assurer qu’Ada parvient à téter le sein de Hope. Assise sur son lit, son bébé sur la poitrine, cette maman (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille) se serait bien passée de « ce titre symbolique. Comment peut-on fermer ce lieu qui nous accompagne avec tant de bienveillance et soutient nos choix de grossesse ? »

En parcourant les couloirs déserts de la maternité, Angélique Kuipers a l’impression d’assister à une veillée mortuaire. Les cris des femmes ont laissé place à un silence pesant. Seules trois patientes, dont Hope, sont encore hospitalisées, contre 18 en temps normal. Les sages-femmes et auxiliaires de puériculture passent leurs derniers moments ensemble, à évoquer le passé. « On ne veut pas que ça s’arrête. Mais vu le peu d’actes médicaux à assurer ces derniers jours, on veut aussi en finir au plus vite, admet celle qui se souvient avoir été stupéfaite, lors de sa première garde en 2020, de voir le refus d’une patiente de déclencher son accouchement être respecté. C’est la fin d’un eldorado où le choix des femmes était au cœur de la prise en charge, que ce soit pour une IVG, une péridurale ou une césarienne. »

 

Haut lieu militant dès sa création, en 1964, par une comtesse fortunée, Colette de Charnière, la maternité des Lilas a pratiqué des avortements avant leur dépénalisation et s’est spécialisée dans l’accouchement dit « physiologique » ou « naturel ». Une méthode importée d’URSS par le docteur Fernand Lamaze, qui limite les interventions médicales dans le respect du rythme de la femme grâce à une préparation pluridisciplinaire (psychologue, ostéopathe…) visant à maîtriser la douleur.

Pour continuer de pratiquer cette approche, la clinique privée s’était dotée d’un bloc opératoire et d’une unité pour les nouveau-nés nécessitant une surveillance rapprochée. Mais elle ne disposait pas de plateau technique d’urgence, une recommandation non injonctive de la Haute Autorité de santé (HAS), ce qui impliquait un éventuel transfert des bébés à l’hôpital Robert-Debré, dans le 19e arrondissement parisien, à dix minutes de là.

« Un choix politique »

Cette fermeture menaçait la maternité des Lilas depuis des années, les projets imaginés pour la relancer ayant tous échoué. « Ce n’était plus viable économiquement. L’ARS comble son déficit à hauteur de 6 millions d’euros par an, alors que les naissances y ont baissé de 50 % depuis 2019 [700 en 2024], explique Denis Robin, directeur général de l’ARS francilienne. Et en janvier, la HAS ne lui a pas renouvelé sa certification, pointant des décalages entre ses pratiques et les directives garantes de la sécurité et de la qualité des soins. » Un argument dénoncé par le personnel, dont Corina Pallais, psychologue clinicienne qui a négocié avec l’ARS : « [L’agence] s’en sert pour faire croire qu’on mettait en danger les patientes. Si c’était vrai, [la maternité] aurait aussitôt été fermée. Cette fermeture est un choix politique pour faire des économies. »

 

Malgré l’arrêt programmé, Hope a poursuivi sa prise en charge aux Lilas avec l’espoir d’y accoucher avant la fermeture de la maternité. Mais de nombreuses femmes se sont tournées dès l’été vers d’autres établissements. Depuis quelques semaines, Aude Blizak, qui a rejoint les Lilas en 2005 pour ses valeurs féministes, ne reçoit plus aucune patiente en consultation : « Quand j’ai annoncé la décision de l’ARS aux femmes que je suivais, j’ai senti leur colère. On les a comme trahies avec cette date butoir qui nous a empêché de respecter leur choix. On aurait dû avoir un délai suffisant pour les accompagner jusqu’à leur accouchement. » Lors de sa dernière garde, cette sage-femme s’est contentée d’accueillir d’anciennes patientes venues lui dire leur tristesse de voir ce lieu fermer.

« C’est la semaine des dernières fois : la dernière auscultation, la dernière sortie », s’attriste Jennifer (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille). L’auxiliaire de puériculture a intégré les Lilas en octobre 2024 comme vacataire avant de demander à rester tant elle a été conquise par l’accompagnement bienveillant pratiqué ici. Le 30 octobre, elle a effectué une ultime pesée, pris la température, testé les réflexes pour remplir le dossier de sortie d’Ada. Ce jour-là, l’équipe a fermé la nurserie pendant que le centre d’orthogénie pratiquait deux IVG. Un choc pour Jennifer : « Demain, on n’aura plus de patientes dont s’occuper. La journée va être très dure. Et longue avant de tout fermer à 20 heures. »

Une fois la liquidation de la maternité prononcée, un centre géré par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) devrait assurer des soins pré- et post-partum et des IVG dans un bâtiment réhabilité, mais sans réaliser d’accouchement. Les salariées, elles, doivent désormais faire le deuil de cette structure unique et innovante, sans toutes savoir ce qui les attend. Jennifer va commencer une formation de sage-femme, tandis qu’Aude et Angélique rejoindront la future maison de naissance de l’hôpital de Montreuil, qui doit ouvrir en 2026. Mais il leur restera un regret, celui de voir disparaître un établissement à taille humaine, l’un des pionniers de l’accouchement physiologique ou naturel en France.

Pauline Baron