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Un Comité de l’ONU demande à la France qu’elle poursuive des policiers auteurs d’intimidations en ligne contre Assa Traoré

La sœur d’Adama Traoré, mort en 2016 après son interpellation par des gendarmes, est venue témoigner à Genève le 15 novembre devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale. Elle a été la cible, ensuite, de nombreux messages diffamatoires et menaçants.

Par Julia Pascual

 

Assa Traoré, à la cour d’assises du Val-d’Oise, à Pontoise, le 9 juillet 2021.

 

 Assa Traoré, à la cour d’assises du Val-d’Oise, à Pontoise, le 9 juillet 2021. LUCAS BARIOULET / AFP

C’est une ombre au tableau, lui-même peu reluisant. Vendredi 2 décembre, le Comité des Nations unies (ONU) pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) a rendu publiques ses observations sur la politique de la France envers ses minorités. Un exercice périodique, en vertu de la Convention internationale de 1965 sur l’élimination des discriminations, au cours duquel il s’est inquiété de l’« ampleur » des discours de haine raciale, notamment dans les médias et sur les réseaux sociaux.

Fait inédit, au milieu de propos généralistes, le CERD s’est prononcé sur le cas personnel d’Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, un jeune homme mort en 2016 après son interpellation par des gendarmes. Assa Traoré est devenue une figure de la dénonciation des violences policières. Venue le 15 novembre à Genève pour être entendue par les experts du CERD, à l’image d’une kyrielle de représentants de la société civile, de ministères ou d’autorités indépendantes, elle a fait par la suite l’objet de nombreux « messages d’intimidation et de menaces » en ligne. Le CERD demande à la France qu’elle poursuive en particulier les agents de police auteurs sur Twitter de ces messages diffamatoires et de menaces.

 

Dans le document public de dix pages qui ramassent les « préoccupations et recommandations », le CERD aborde aussi bien la mauvaise qualité de l’accueil des demandeurs d’asile et des mineurs isolés étrangers, le manque de formation des agents publics à la lutte contre les discriminations, les discriminations des Roms et des Gens du voyage, les difficultés d’accès à l’éducation des enfants en Guyane et Nouvelle-Calédonie, le profilage racial ou ethnique des contrôles de police ou encore le manque de suivi des plaintes pour violences policières.


A cet égard, le Comité s’attarde sur l’affaire Adama Traoré et recommande à la France « de conclure l’enquête [sur son décès] afin que les responsables soient traduits en justice et sanctionnés de manière appropriée ». Surtout, le Comité s’inquiète du fait que sa sœur, Assa Traoré, soit « victime de messages diffamatoires et de menaces en ligne, en particulier dans le compte Twitter des syndicats de la police ». Il « exhorte » la France à « garantir [sa] sécurité » et à « engager des poursuites pénales contre les agents de l’Etat qui sont associés à ces messages d’intimidation et de menaces ».

 

Tweets de deux syndicats de police

Les faits dénoncés par le CERD sont survenus après la venue de Mme Traoré à Genève le 15 novembre pour être entendue par le CERD. L’ONG International Service for Human Rights (ISHR) a alerté l’ambassadeur de la France auprès de l’ONU, Jérôme Bonnafont, dès le 24 novembre. Dans un courrier dont Le Monde a pris connaissance, elle enjoint la France à protéger Assa Traoré de tout acte d’« intimation et de représailles ».

ISHR joint à son courrier pas moins d’une trentaine de pages qui répercutent notamment les tweets de deux syndicats de police, le Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) et le Syndicat France police-policiers en colère, ainsi que celui du site d’extrême droite Fdesouche.

Ainsi, dans un tweet du 18 novembre réagissant à la présence de Mme Traoré à Genève et relayant un article de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, le SCPN qualifie Assa Traoré de « militante menteuse et radicalisée qui crache sur la [France] » et déclare qu’elle « ne représente personne sauf un clan criminel familial ». Le Syndicat France police-policiers en colère a relayé le même jour sur le réseau social une photo d’Assa Traoré à Genève, la qualifiant de « sœur du gang Traoré » venue « dégueuler sur la France et la police ». Le site d’extrême droite Fdesouche a à son tour commenté la venue de Mme Traoré à Genève, donnant lieu à de nombreuses réactions violentes sur les réseaux sociaux, mêlant un déchaînement d’injures racistes, d’insultes et de menaces.


De tels événements sont de nature à figurer dans le rapport annuel des Nations unies sur les représailles dont feraient l’objet des personnes en raison de leur coopération avec l’ONU dans le domaine des droits de l’homme. « Ça fait très mauvais effet de se retrouver comme un Etat qui peut ne pas protéger les personnes qui coopèrent avec les Nations unies, estime Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH).La France se veut être la patrie de la déclaration de droits de l’homme, il est important pour elle, surtout dans le contexte géopolitique actuel, de prévenir des nouvelles attaques contre Mme Traoré. Quel que soit le positionnement radical de Mme Traoré devant les Nations unies, c’est une question de principe. »

Dans l’une de ses observations finales, le Comité onusien dit attendre de la France qu’elle l’informe sous un an des suites données à sa recommandation de poursuites. « Ça montre que le niveau de préoccupation est très élevé », souligne Magali Lafourcade.