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Au Mexique, les mauvais payeurs de pensions alimentaires ­affichés en place publique

Dans le pays, sept pères séparés sur dix ne s’acquittent pas des sommes qu’ils doivent verser à leur ex-conjointe pour l’éducation de leurs enfants. Les associations viennent d’obtenir la création d’un registre national pour limiter les droits de ceux qui ne payent pas.

Par Anne Vigna(Mexico, correspondante)

 

Manifestation à l’appel de collectifs de femmes pour dénoncer le non-paiement des pensions alimentaires, à Mexico, le 18 juin 2023.

Manifestation à l’appel de collectifs de femmes pour dénoncer le non-paiement des pensions alimentaires, à Mexico, le 18 juin 2023. D. LUZ RUIZ

 

Au Mexique, le 18 juin, à l’occasion de la fête des pères, des collectifs de mères ont placardé sur les places publiques les photos et les noms « des mauvais payeurs alimentaires », ces millions de pères qui ne payent pas la pension alimentaire de leurs enfants. Pour la troisième édition de cette mobilisation, les portraits de ces hommes ont été accrochés sur de longs fils avec des pinces à linge, dans des endroits symboliques, tels les palais de justice, les places centrales ou devant le palais présidentiel, à Mexico.

Chaque affichette du « débiteur » indique outre son nom, le montant de la dette et un petit résumé du litige : tel chef d’entreprise qui s’est déclaré insolvable alors que son affaire est florissante, tel père qui est parti à l’étranger « oubliant »ses trois enfants au Mexique…

 

« La honte sociale est plus efficace que la justice », estime en souriant Diana Luz, porte-parole du Front national des mères contre les mauvais payeurs, un collectif né en 2021 et présent désormais dans trente des trente-deux Etats du pays.

Au Mexique, la situation d’abandon des mères célibataires a toujours existé dans toutes les classes sociales : dans sept cas de divorce sur dix, les pères ne paient pas la pension due. Cela représente près de trente-cinq millions de mères, soit 67,5 % des mères célibataires au Mexique, selon les données de l’Institut national de statistiques et de géographie.

« Des mesures de restriction migratoire »

Cette année, Diana Luz, 36 ans, a un large sourire, car une bataille de taille a été remportée : les mères ont obtenu, fin avril, la mise en place d’un registre national des obligations alimentaires, tenu par l’Institution d’aide à l’enfance, une de leurs principales revendications. Le père qui n’assume pas ses obligations ne pourra plus renouveler son passeport ni son permis de conduire, n’aura le droit ni d’acheter ni de vendre une propriété. Et, s’il se remarie, sa situation de mauvais payeur sera précisée publiquement le jour de la cérémonie.

Pour prétendre à un poste dans la justice ou pour se faire élire, les hommes devront désormais présenter un certificat de « non-inscription » sur ce registre. « En outre, des mesures de restriction migratoire sont prévues, pour empêcher ceux qui y sont inscrits de quitter le pays », a déclaré la sénatrice Olga Sánchez, ancienne juge à la Cour suprême et qui a porté ce projet pour le parti Morena (gauche, au pouvoir).

 

« L’important était d’avoir un registre public, car désormais, avec un seul nom, on peut savoir si la personne est ou non un mauvais payeur », se réjouit Diana Luz. Jusqu’ici, quelque vingt-deux Etats de la république mexicaine se vantaient d’avoir mis en place de tels registres, dont celui de Mexico depuis 2011. « Dans les faits, seuls huit registres fonctionnaient réellement, et il fallait avoir le numéro fiscal de la personne pour le rechercher, relativise Diana Luz. Or leurs ex-compagnes n’en disposent pas toujours. D’autre part, ces registres ne donnaient lieu à aucune véritable sanction. »

Tests ADN

Diana Luz s’est battue elle-même trois ans pour obtenir le paiement d’une pension pour sa fille. Son compagnon l’a quittée alors qu’elle était encore enceinte. « Aujourd’hui, il ne verse toujours pas la pension à temps. Il a toujours quinze jours de retard, c’est une lutte permanente, mais on avance. » La trentenaire veut désormais porter la « loi Sofia », du nom de sa fille : cette législation proposerait quarante modifications dans le code civil mexicain afin que le versement d’une pension alimentaire devienne un droit inaliénable des enfants.

 

Pour qu’un père figure dans le nouveau registre, la mère doit lancer une procédure judiciaire et en assumer certains frais, comme les tests ADN afin de prouver la paternité. « Beaucoup de mères abandonnent à cause du coût et les plus pauvres n’y pensent même pas, car elles n’en ont pas les moyens, observe la porte-parole du Front. D’autre part, les juges hommes ont tendance à fixer des montants de pensions alimentaires trop faibles, car eux-mêmes sont souvent débiteurs. » Si un homme se résout à payer une pension régulièrement, il est vite sorti du fichier.

Selon Gabriela Pablos, 34 ans, qui représente l’Union des mères protectrices, le chemin est encore long. « Une partie des trente-cinq millions de débiteurs alimentaires fait ce qu’on nomme un contrôle coercitif : ne pas verser de pension est une manière de rendre les femmes dépendantes et d’exercer une violence économique sur elles, qui peut ensuite s’aggraver en violence physique. Je crains que ce pourcentage d’hommes violents augmente, car figurer sur ce registre peut en énerver plus d’un. » Elle sait de quoi elle parle. En 2020, son ancien compagnon a enlevé leur bébé pendant vingt-deux mois pour la punir de vouloir le quitter.