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Le criminel Arnaud Mimran se lâche depuis sa prison sur Nétanyahou et Meyer Habib

Des voyages, des montres de luxe, des espèces en pagaille et un million de dollars : l’« escroc du siècle », Arnaud Mimran, également soupçonné de trois meurtres, parle beaucoup en prison de son ami « Bibi », alors que sa cellule et ses parloirs ont été sonorisés avec des micros. Il se livre aussi sur le député français Meyer Habib.

Fabrice Arfi

24 septembre 2023 à 10h57

 

ÀÀ plus de trois mille kilomètres d’Israël, le nom de l’actuel premier ministre du pays, Benyamin Nétanyahou, a résonné dans un drôle d’endroit : une cellule française. Plus précisément au centre pénitentiaire du Havre (Seine-Maritime), où un proche du chef du gouvernement israélien, l’homme d’affaires Arnaud Mimran, purge plusieurs peines de prison.

 

Ses états de service sont particulièrement lourds : condamné en première instance et en appel à huit ans de prison pour la gigantesque escroquerie aux quotas carbone, aussi nommée « le casse du siècle » ; condamné en première instance et en appel à treize années de réclusion criminelle pour l’enlèvement, la séquestration et l’extorsion de fonds d’un financier turco-suisse ; et enfin placé en détention provisoire après ses mises en examen pour avoir commandité trois meurtres, dont celui d’un ancien complice de la mafia du carbone mais également celui de son ancien beau-père, le milliardaire Claude Dray – il nie tous les meurtres et bénéficie de la présomption d’innocence pour ceux-ci.

 

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Arnaud Mimran avec Benyamin Nétanyahou (en haut) et Meyer Habib (en bas). © Montage Simon Toupet / Photos DR

La proximité amicale et surtout les liens d’intérêts cachés entre Benyamin Nétanyahou et Arnaud Mimran avaient défrayé la chronique en 2016 après une série de révélations conjointes de Mediapart et du quotidien israélien Haaretz, qui avaient mis au jour les financements et libéralités diverses du premier au profit du second.

 

En cause, des versements d’argent et des invitations tous frais payés à Paris, Monaco ou Courchevel au début des années 2000, comme en témoignaient des photographies d’alors. À cette époque, Arnaud Mimran, fils d’un ancien numéro 3 du groupe Vinci condamné pour corruption, était un golden boy flamboyant, certes déjà soupçonné de divers délits d’initiés et dans le viseur du fisc, mais d’un charme à toute épreuve.

Cette relation financière avait d’abord été vigoureusement démentie par Benyamin Nétanyahou, surnommé « Bibi » dans son pays, puis reconnue par la suite dans une succession de versions autant contradictoires qu’embarrassées.

 

Le lien entre Mimran et Nétanyahou avait perduré. Certaines sources avaient ainsi assuré à Mediapart que « l’escroc du siècle » avait célébré avec Nétanyahou en 2009 en petit comité dans un hôtel de Tel-Aviv son élection à la tête du pays – l’étude des allers-retours de Mimran en Israël avait confirmé sa présence à cette période, qui correspondait aussi à celle du point culminant de l’escroquerie aux quotas carbone, qui fut en partie pilotée depuis Israël.

 

Mise sur la piste d’un possible financement électoral suspect, la justice israélienne avait annoncé regarder le dossier, avant d’abandonner toute idée d’enquête approfondie.

 

Le criminel et le premier ministre

Fin de l’histoire ? pas si sûr. Car dans sa prison, Arnaud Mimran s’ennuie. Et il parle beaucoup. Au téléphone, notamment, et avec toutes sortes de correspondants. De longues discussions dont les policiers de la brigade criminelle de Paris n’ont pas perdu une miette. En effet, comme la loi l’autorise, sa cellule et ses parloirs ont été sonorisés entre juillet 2019 et avril 2021 à la demande des juges qui enquêtent sur les assassinats qui lui sont désormais reprochés. En clair, un placement sur écoutes réalisé à l’aide de micros discrètement posés en son absence.

 

La fraude aux quotas carbone

Parfois appelée « le casse du siècle », l’escroquerie aux quotas carbone a coûté aux contribuables français au moins 1,6 milliard d’euros, dérobés au nez et à la barbe de l’État en l’espace de huit mois seulement, entre octobre 2008 et juin 2009.

 

Plusieurs bandes d’escrocs avaient réussi à infiltrer, au moyen de sociétés fictives et d’hommes de paille, le marché des « droits à polluer », appelé Bluenext, où il était possible de spéculer sur la vente et l’achat de quotas carbone affectés à des secteurs industriels polluants. Les escrocs ont profité d’une faille du système et d’un déficit de contrôle qui leur ont permis de détourner la TVA appliquée à ces produits financiers d’un genre nouveau.

 

Parmi les filières illégales identifiées par la justice, l’une des plus actives a été celle dite « de Belleville », composée de deux enfants du célèbre quartier du Nord-Est parisien, Samy Souied et Marco Mouly. Ceux-ci s’étaient alors associés à un « blouson doré » du XVIe arrondissement, un ancien trader du nom d’Arnaud Mimran, pour former un trio infernal qui allait réussir à détourner, à lui seul, 285 millions d’euros.

 

Le contenu de ces interceptions récemment versées à la procédure, dont Mediapart a pu prendre connaissance, vient aujourd’hui non seulement confirmer ce qui a déjà été écrit sur la relation Mimran/Nétanyahou, mais jette une lumière plus crue encore sur la nature exacte du lien trouble qui unit le criminel emprisonné et l’homme politique le plus puissant d’Israël.

 

Dans une écoute datée du 17 juillet 2020, Arnaud Mimran retrace d’abord auprès de sa petite amie la liste de tous les lieux où il dit avoir pris en charge l’intégralité des frais de Benyamin Nétanyahou et de sa femme, Sara : à Saint-Tropez, Miami, Deauville, Monaco, Courchevel, mais aussi au Plaza-Athenée à Paris quand le couple ne dormait pas chez les Mimran, avenue Victor-Hugo, dans le XVIe arrondissement. « C’est moi qui payais pour tout, lui, il paye pas », glisse Arnaud Mimran à une interlocutrice au téléphone.

 

Il raconte alors une anecdote mineure mais salée, selon laquelle il a dû une fois régler un surplus de dépenses au Plaza pour 2 600 euros. La somme correspondait en partie à une explosion du nombre de petits-déjeuners pris par les Nétanyahou pour trois jours seulement. Il explique pourquoi : « Elle [Sara Nétanyahou – ndlr], elle adore prendre des jus d’orange. Le matin, par exemple, elle prenait un jus d’orange, elle en recommandait un autre mais elle commandait à chaque fois un petit-déjeuner, elle commandait pas un jus d’orange […]. Elle s’en foutait. » Sara Nétanyahou a été condamnée par le passé, en Israël, pour des frais de bouche extravagants.

Depuis sa prison, Arnaud Mimran parle aussi de la passion de Benyamin Nétanyahou pour le poisson façon Colbert du Fouquet’s, les cigares et les montres de la marque Panerai. « J’en avais acheté une pour moi. Il aimait. Donc je lui avais acheté une Panerai », dit-il. « Il adorait les cadeaux », ajoute-t-il, avec cette sentence : « Les politiques, c’est des gratteurs. »

J’ai donné un million à Nétanyahou.

Arnaud Mimran depuis sa cellule placée sur écoutes

Arnaud Mimran raconte que, alors au faîte de sa gloire, il utilisait Benyamin Nétanyahou et les dîners, nombreux, qu’il organisait avec lui pour faire prospérer ses propres affaires et montrer l’étendue de son réseau. « Quand j’avais besoin de travailler avec quelqu’un, je l’invitais à dîner avec Bibi. À Monaco, tous les soirs, je faisais un dîner, tous les soirs j’invitais la personne avec qui j’avais envie d’être en contact. » « Tous les mecs dans la finance, les feujs [juifs] avec qui je voulais travailler, allez hop… […] Ils me voyaient à mon avantage », confesse l’escroc.

 

Il poursuit : « Quand je l’avais à Paris, je l’amenais où je voulais. Il faisait ce que je voulais. » Et il livre cette confidence embarrassante : « Quand il accepte des espèces et tout de toi, ça y est, c’est fini, y a plus de barrière. Tu peux tout lui demander. » Arnaud Mimran évoque même des montants, parfois 10 000 euros, parfois 20 000, selon les occasions. « Il savait qu’il allait prendre son billet […]. Quoi qu’il arrive, il me disait oui. »

 

Un homme d’affaires géorgien

Dans un autre registre financier, Arnaud Mimran affirme encore, dans une écoute du 10 août 2020, avoir « donné un million à Nétanyahou » par l’intermédiaire d’un riche homme d’affaires d’origine géorgienne, Badri Patarkatsichvili, décédé en 2008. « J’ai dit à Bibi :“J’t’ai trouvé un mec qui te finance” », se souvient Mimran, qui ne dit pas sous quelle forme ni à quelle date le versement a eu lieu.

 

La proximité de l’escroc avec le Géorgien est véritable. Un ancien ami de Mimran, entendu en janvier 2022 dans les enquêtes sur les assassinats qui lui sont reprochés, a confirmé aux juges que Patarkatsichvili faisait partie des « Russes qu’Arnaud fréquentait ». « Avec Badri, on jouait au poker et il perdait tout le temps [...]. Les Russes nous invitaient sur leur bateau. C’était un truc de fou », continue ce témoin, qui assure que Mimran « rêvait de vivre avec les voyous ». Arnaud Mimran lui-même a reconnu en audition avoir fréquenté Patarkatsichvili, notamment au casino, à Saint-Martin, dans les Antilles.

 

Dans un rapport de mars 2021, la brigade criminelle relève également que dans une conversation de novembre 2020, « Arnaud Mimran expliquait [...] qu’il avait un puissant réseau d’influence composé notamment de Meyer Habib [député français – ndlr] et Benyamin Nétanyahou. Il se targuait du fait qu’il avait réussi, par le biais de ce réseau d’influence, à faire échouer un contrat de télécommunication en Israël » de l’un de ses « ennemis » en France. « Il enchaînait sur le fait qu’il n’hésitait pas à s’offrir les services de “gros voyous” pour faire pression sur “ses ennemis” », notaient encore les enquêteurs.

Interrogés, les services du premier ministre israélien n’ont pas donné suite aux questions de Mediapart sur les déclarations d’Arnaud Mimran.

 

L’ami député

En prison, le golden boy déchu s’est également montré particulièrement disert sur un autre homme politique, français celui-là : le député Meyer Habib, élu depuis 2013 à l’Assemblée nationale dans une circonscription des Français de l’étranger (notamment en Israël et en Italie). Meyer Habib est d’ailleurs lui aussi un intime de Benyamin Nétanyahou, qu’il a dit par le passé considérer comme un « frère ».

 

Dans une série d’écoutes réalisées entre juin et octobre 2019, Arnaud Mimran raconte ainsi à une correspondante qu’il sent bien que les « gens connus » de son entourage « ont peur d’être associés » à lui désormais. Au premier rang desquels Meyer Habib, relate-t-il. « Il fait maintenant le mec choqué », se plaint Mimran dans une interception. « Meyer, un moment, il a voulu prendre ses distances », lâche-t-il, amer, dans une autre.  

C’est grâce à moi qu’il a été élu député, c’est moi qui lui ai financé tout.

Arnaud Mimran au sujet de Meyer Habib

Il ne lui en fallait manifestement pas plus pour se rappeler au bon souvenir du parlementaire. « Ça fait vingt ans que je lui fais gagner de l’argent. Il allait chez moi en vacances, à Courchevel, à Fisher [aux États-Unis – ndlr], je l’ai invité pendant vingt ans partout, après il a voulu faire genre… », explique Mimran à sa correspondante.

Il semble intarissable : « C’est grâce à moi qu’il a été élu député, c’est moi qui lui ai financé tout […]. C’est moi qui ai financé tous les dîners qu’il faisait, je lui finançais tout », a-t-il assuré, affirmant même « avoir fait des transactions avec lui ».

 

« Il a voulu faire croire qu’il n’était pas au courant du CO2 [l’escroquerie aux quotas carbone – ndlr], il a eu peur […], alors qu’il savait tout, je lui ai tout dit, à Meyer », dit encore l’escroc définitivement condamné.

Arnaud Mimran se souvient d’avoir été approché par Meyer Habib après les révélations de Mediapart et Haaretz sur Nétanyahou. Le député l’aurait mis en garde contre le fait qu’il puisse nuire à l’homme fort d’Israël. « Il me dit : “Arnaud, fais attention à pas te faire instrumentaliser, peut-être que tu ne le fais pas exprès, tu es en train de nuire à Nétanyahou”. Je lui avais dit : “Donc tu considères que si j’ai envie de nuire à Nétanyahou ou à toi, j'ai pas les éléments nécessaires, est-ce que u veux me mettre au défi ?” », l’aurait menacé Mimran, de son propre aveu. « Ça m’a mis dans un état de nerfs », confesse-t-il dans sa cellule. Avant d’admettre : « Je ferai jamais de mal à Bibi [...]. Je vais pas faire du mal à un copain à moi pour mon intérêt, c’est le début de la fin. » 

« Je suis fiable », jure-t-il.

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Il est aussi question, dans la bouche de Mimran, d’une maison dans la ville d’Eilat, en Israël, « achetée avec Meyer Habib ». « Il m’a dit : “On l’achète ensemble ?”, j’ai dit OK, mais j’ai jamais mis les pieds là-bas. » Arnaud Mimran parle d’une maison sur deux étages : « Au rez-de-chaussée, c’est Meyer Habib. Et moi au premier étage, avec la piscine sur le toit. Lui, il a sa piscine dans le jardin. »

 

L’étude des mouvements bancaires d’Arnaud Mimran du temps de l’arnaque aux quotas carbone montre que l’escroc avait utilisé un compte personnel ouvert à la Safra National Bank de New York qui, le 23 février 2010, avait opéré un virement de 180 000 euros vers un compte israélien ouvert au nom d’un office notarial. Or, le transfert était accompagné de la mention « avance sur l’achat d’une propriété », mais Mimran avait alors affirmé aux enquêteurs ne pas se rappeler à qui devait être affectée cette propriété.

 

Moins d’un mois plus tard, alors qu’il séjournait en Israël, Mimran avait transféré un million d’euros depuis le même compte à la Safra Bank au profit de celui d’un certain David Cohen à la Israel Discount Bank, dans la ville d’Eilat justement. Mimran a assuré cette fois aux enquêteurs qu’il s’agissait d’un agent immobilier et qu’il avait donné l’argent en vue de l’achat d’une propriété pour quelqu’un dont il ne se souvenait plus du nom.

 

Pièce à conviction

Contacté par Mediapart, Meyer Habib a déclaré : « Colporter des accusations sur la base d’écoutes d’un détenu en détresse, accusé de meurtre, qui se sait écouté, n’est pas du bon journalisme ! » « Évidemment, ces accusations sont totalement fausses ! Les utiliser et les diffuser est calomnieux et mal intentionné », a-t-il cinglé, sans même accepter de prendre connaissance des questions précises que Mediapart voulait lui poser.

Entendu comme témoin en mars 2021 par les juges chargés de la résolution des assassinats – le député a donné à Arnaud Mimran une bague devenue une pièce à conviction dans l’un des crimes –, Meyer Habib avait affirmé : « On avait une relation d’amitié. » Il a alors parlé de Mimran comme d’« un garçon attachant, intelligent et talentueux » : « Il est très vif. Je sais qu’il a eu des problèmes mais ça me paraît dingue. » Il avait assuré ne « rien » savoir sur les « histoires de taxe carbone », démentant son « ami ».

 

Meyer Habib a également glissé que sa mère avait, par le passé, confié une partie de son patrimoine pour être géré par Arnaud Mimran au travers d’une société boursière dont il était le dirigeant, 3A Trade.

« Arnaud est un ami mais on n’a pas la même vie », avait assuré le député, qui a dit être parti en « vacances » avec lui, notamment à Courchevel. « Les dernières années, je le voyais un peu moins. Je ne me suis jamais fâché avec lui. Une fois, quand il est sorti de prison, j’ai dû le voir », a tout de même reconnu le parlementaire. 

Contacté par Mediapart, l’avocat d’Arnaud Mimran, Me Hugues Vigier, n’a souhaité faire aucun commentaire.