Choix d’un premier ministre : l’Elysée teste la piste Bernard Cazeneuve
A l’issue des consultations menées par le président de la République, l’ancien ministre de l’intérieur socialiste semble être le seul à ne pas réunir de majorité contre lui à l’Assemblée nationale.
A Matignon, à Paris, le 7 juillet 2024. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »
Bernard Cazeneuve sera-t-il le premier ministre des circonstances exceptionnelles ? Après avoir permis à un François Hollande contesté de toute part de terminer son quinquennat en 2017, l’ancien premier ministre (2016-2017) sortira-t-il de la crise le second quinquennat d’Emmanuel Macron ? Le nom de l’ex-socialiste semble en tout cas s’imposer pour Matignon, au terme d’une semaine de consultations à l’Elysée.
Homme d’Etat respecté à droite comme à gauche, Bernard Cazeneuve est l’une des rares personnalités qui ne « réunirait pas immédiatement une majorité de l’Assemblée contre lui », estime-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat, ce dernier ayant fait de la « non-censurabilité » le premier critère pour choisir son premier ministre.
« Il faut nommer une personne qui soit capable d’unir à gauche et à droite » et qui soit « notoirement indépendante » du président de la République, préconisait, jeudi sur France Inter, l’ancien ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer (2017-2022), citant notamment le nom de Bernard Cazeneuve. De fait, celui qui a aussi été ministre de l’intérieur (2014-2016) n’est un « irritant » ni pour la droite ni pour l’extrême droite, souligne-t-on à l’Elysée à l’issue des consultations.
Et même si la pilule serait difficile à avaler pour certains, le groupe socialiste à l’Assemblée nationale ne censurerait pas d’emblée un gouvernement Cazeneuve. Mais l’ex-socialiste « devra se justifier vis-à-vis de la gauche et lui donner des gages », prévient un ancien ministre de François Hollande. Le Parti socialiste (PS) a déjà listé des mesures totémiques, comme l’abrogation de la réforme des retraites ou l’augmentation du smic.
« Parfum de cohabitation »
En froid avec Emmanuel Macron depuis que son ancien collègue de gouvernement s’est envolé vers la présidentielle de 2017, Bernard Cazeneuve n’a pas ménagé ses critiques, depuis, à l’égard du successeur de François Hollande. Aussi sa nomination à Matignon aurait-elle ce « parfum de cohabitation » recherché par le chef de l’Etat, qui s’est engagé à ne pas nommer un premier ministre issu de son camp. Cohabitation à trois entre le président de la République, le gouvernement et l’Assemblée nationale, la future architecture politique est déjà dénommée à l’Elysée « coalitation », mot-valise né de la fusion entre coalition et cohabitation.
A ce stade, cependant, rien n’a été proposé à Bernard Cazeneuve. A ses interlocuteurs, celui-ci répète qu’il n’est candidat à rien. S’il a échangé durant l’été avec Patrice Vergriete, ministre des transports démissionnaire, lui aussi issu du PS, et avec l’ancien président macroniste de l’Assemblée nationale Richard Ferrand, l’avocat associé au sein du prestigieux cabinet August Debouzy n’a pas de nouvelles d’Emmanuel Macron depuis des mois, ni de ses conseillers, et s’agace de voir son nom jeté en pâture sans avoir eu la moindre discussion avec le Château. Dans l’hypothèse où il serait contacté, il laisse entendre qu’il examinerait la question, au regard de la situation d’urgence dans laquelle se trouve le pays. « Je n’ai jamais refusé de mettre de la sagesse là où il y a de la déraison », disait-il, début août sur LCI, sa seule préoccupation étant que « le pays ne bascule pas dans le déclassement, dans l’ingouvernabilité ».
L’ancien ministre de l’intérieur ne signerait pas pour autant un chèque en blanc au chef de l’Etat. Il poserait ses conditions politiques, et exigerait d’avoir les mains libres dans la composition du gouvernement. Le chef de l’Etat se serait résolu, de son côté, à laisser son futur premier ministre construire son programme, sa majorité et son gouvernement, assure l’Elysée. Tout en appréhendant qu’un gouvernement Cazeneuve donne l’impression d’un retour aux années Hollande.
Hors de question d’être un premier ministre de gauche d’un gouvernement de droite, assure, en privé, le Normand. S’il a claqué la porte du PS lorsque la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (ancêtre du Nouveau Front populaire, NFP) a vu le jour, en 2022, il estime n’avoir jamais « trahi son camp ». Avec certains, il est encore plus clair : « Ce sera un gouvernement de vraie cohabitation, et un gouvernement de gauche. » Avant d’accepter cette mission, Bernard Cazeneuve irait poser la « question de confiance » aux groupes parlementaires, et notamment à la gauche, pour s’assurer qu’il ne serait pas censuré immédiatement et qu’il pourrait incarner une certaine stabilité.
Incrédulité au PS
L’homme n’a pas fait campagne dans son ancienne famille politique, même s’il échange toujours avec quelques proches. Comme avec son ami François Hollande, avec lequel il a évoqué l’hypothèse de Matignon. Aux universités d’été du PS, qui se tiennent à Blois du 29 au 31 août, son éventuelle nomination à Matignon suscitait, jeudi, l’incrédulité. « La raison pour laquelle Emmanuel Macron refuse le Nouveau Front populaire, c’est qu’il a précisément peur qu’on augmente le smic, qu’on décale dans le temps la réforme des retraites avant de passer à l’étape législative. Donc, je ne vois pas pourquoi il offrirait à Bernard Cazeneuve ce qu’il a refusé au NFP », pense tout haut le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui n’a pas de contacts avec Bernard Cazeneuve, avec lequel les relations sont glaciales.
« Penser qu’il pourrait y avoir un premier ministre de gauche, qui ferait une politique de gauche, à l’initiative de Macron, ça n’existe pas », embraye l’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau, proche d’Olivier Faure, pour qui la haut fonctionnaire Lucie Castets reste « la candidate du NFP à Matignon ». Cette dernière vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle renonçait à son poste à la Mairie de Paris pour poursuivre sa campagne.
A gauche, beaucoup parient que tout nouveau premier ministre aura une durée de vie assez courte, rouvrant la voie pour le NFP. Mais si Bernard Cazeneuve a plus de chance que Lucie Castets de ne pas être renversé, c’est aussi parce que cette dernière est vue par les macronistes comme « un jouet de Mélenchon », explique un socialiste, qui préfère rester anonyme.« La nomination de Bernard Cazeneuve ferait des dégâts dans les rangs parlementaires du PS et affaiblirait mécaniquement notre coalition », pronostiquait le leader de La France insoumise, jeudi, dans son blog.
La nomination du premier ministre pourrait intervenir dimanche 1er septembre, à la veille de la rentrée scolaire. « Je parlerai aux Français en temps voulu et dans le bon cadre », a annoncé Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse à Belgrade, jeudi. « Croyez bien que je fais tous mes efforts, et les jours et les nuits, et que je le fais depuis des semaines, même si vous ne l’avez pas forcément vu, pour aboutir à la meilleure solution pour le pays », a-t-il aussi précisé. Il est, concède-t-on à l’Elysée, « dangereux de s’engager sur un calendrier », alors qu’il s’agit pour le chef de l’Etat de sauter dans l’inconnu.