Législative partielle dans le Tarn-et-Garonne : Bruno Retailleau « choisit de faire voler en éclat le front républicain »
Par Alexandre Pedro
Le président de LR, Bruno Retailleau, devant le siège du parti, à Paris, le 6 octobre 2025. CYRIL BITTON/DIVERGENCE POUR « LE MONDE »
De faire « barrage à la gauche mélenchonisée » à faire barrage à la gauche tout court, il n’y a qu’un pas, que Bruno Retailleau vient de franchir pour le second tour de la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne. Le président du parti Les Républicains (LR) appelle à ne voter, dimanche 12 octobre, pour la socialiste Cathie Bourdoncle, opposé au représentant de l’Union des droites pour la République (UDR), Pierre-Henri Carbonnel. Même si ce dernier est soutenu par le Rassemblement national (RN). « Pas une voix pour la gauche », a affirmé le chef de la droite, mardi, sur Europe 1 et Cnews.
Dans cet entretien, Bruno Retailleau ne va pas jusqu’à appeler à voter pour le candidat UDR/RN. « Il faudra que Bernard Pécou [le candidat LR] se détermine », dit-il. Arrivé en troisième position au premier tour (17,55 %), ce dernier avait pourtant indiqué dès dimanche soir qu’il laissait « [s]es électeurs et électrices libres de leur choix ». Une ligne différente de celle de son président. « J’ai pris connaissance ce [mardi] matin de l’appel de Bruno Retailleau à ne laisser aucune voix à la gauche. Je reste fidèle à ce que j’ai toujours défendu – l’indépendance d’esprit, la cohérence et la liberté de choix. J’ai pleine confiance dans les électeurs pour qu’ils exercent, en conscience, leur responsabilité citoyenne », confirme Bernard Pécou au Monde.
Comment expliquer cette différence d’approche entre le local et le national ? « Bruno Retailleau avait sans doute autre chose à faire depuis dimanche que lire notre communiqué », explique l’équipe de campagne de Bernard Pécou, visiblement embarrassée. « Le candidat peut dire ce qu’il veut, la position du parti n’a pas bougé. Quand [Bruno]Retailleau dit “pas une voix pour la gauche”. Il n’y a rien de nouveau là-dedans, explique son entourage. Si [Cathie Bourdoncle] est élue, elle appartiendra au groupe d’Olivier Faure qui, en cas de dissolution, fera un accord avec La France insoumise [LFI]. » Et peu importe si la socialiste a dû composer au premier tour avec un candidat « insoumis », Samir Chikhi.
« C’est un virage inédit »
Si Bruno Retailleau cherche à minimiser l’importance de sa petite phrase, les socialistes y voient la rupture d’une nouvelle digue. « C’est un virage inédit. Les Républicains n’ont jamais autant usurpé leur nom. La fusion entre la droite et l’extrême droite est entamée », écrit sur X le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure. Le chef des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, dénonce « une décision indigne » de la part de son ancien collègue au palais du Luxembourg. « C’est un dégagement de Monsieur Retailleau, qui prépare peut-être une union des droites et de l’extrême droite », prophétise l’élu du Nord, interrogé mardi par Public Sénat.
A droite, l’indignation est bien moins vocale. Président du conseil départemental de l’Essonne, François Durovray rappelle cependant la position traditionnelle de sa famille politique. « Les socialistes n’ont pas de leçon à nous donner pour s’être associés aux “insoumis”, mais l’histoire de la droite républicaine est d’avoir toujours refusé l’alliance avec l’extrême droite », avance ce proche de Xavier Bertrand. « Qui peut dire ni LFI ni RN à droite, à part moi ? C’est une question de principe », répète souvent le président des Hauts-de-France, adversaire farouche de toute alliance avec l’extrême droite. Depuis le « ni FN [Front national, ancêtre du RN] ni PS » de Nicolas Sarkozy, l’UMP devenue LR refuse de voter pour la gauche pour faire barrage aux lepénistes. Mais le « ni-ni » tend à devenir un « ni » ces derniers mois.
L’élection de Montauban pourrait-elle devenir la version 2025 et occitane du « coup de tonnerre de Dreux » ? Lors des municipales en 1983 dans la ville d’Eure-et-Loir, la liste RPR fusionnait entre les deux tours avec celle du FN, menée par Jean-Pierre Stirbois, pour remporter la mairie. Le message envoyé par Bruno Retailleau ferme la porte à tout gouvernement de coalition nationale avec des personnalités de droite et de gauche. « Il aurait pu ne donner aucune consigne de vote, mais il choisit de faire voler en éclat le front républicain, déplore Constance de Pélichy, députée UDI du Loiret et membre de LR jusqu’en 2024. Cela revient à préférer l’élection d’un député d’extrême droite et je ne suis pas certaine que cette ligne soit validée par toute sa famille politique. »
Pour l’instant, les voix dissonantes sont très rares. Rien d’étonnant dans un parti qui se présente comme le rempart face à la « menace » représentée par LFI. « Pour moi aujourd’hui, LFI n’est plus dans l’arc républicain et je confirme qu’aujourd’hui, le RN est dans l’arc », déclarait ainsi le 30 septembre, sur Cnews, le sénateur LR des Hauts-de-Seine Roger Karoutchi. Par extension, l’UDR d’Eric Ciotti doit l’être aussi. « On ne peut pas traiter ses électeurs comme des pestiférés si on aspire à les récupérer », explique un cadre LR. De son côté, l’allié du RN (et ancien président de LR) demande « solennellement à Bruno Retailleau d’appeler clairement à voter » pour son candidat. Et de faire un pas de plus en direction d’une union des droites ?