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Mort de Nahel M. : dans le centre-ville saccagé de Montreuil, des commerces pillés et des feux de poubelles partout

Plusieurs centaines de jeunes, pour certains cagoulés, masqués et armés de bâtons, ont pillé les boutiques du centre commercial situé près de la mairie.

Par Rémi Barroux

Publié le 30 juin 2023 à 05h51, modifié le 30 juin 2023 à 10h32

Jeudi 29 juin au soir, jusque tard dans la nuit, un peu avant 3 heures du matin, Montreuil a connu sa deuxième soirée d’embrasement. Plus violents que la veille, les incidents se sont concentrés sur la place de la mairie, sur le boulevard qui mène au commissariat et, surtout, contre des boutiques du centre commercial à proximité de la mairie. Pas une n’a échappé à plusieurs centaines de jeunes, pour certains cagoulés, masqués et armés de bâtons. Pharmacie, magasin de téléphonie, d’optique, parfumerie, restaurant McDonald, distributeur de billets… tous ont été pillés. Les grandes baies vitrées du cinéma municipal, le Méliès, fierté des Montreuillois, ont, elles, été épargnées. Plusieurs voitures ont, comme la veille, été incendiées, les feux de poubelle étant généralisés, ainsi que quelques tentatives de dresser des barricades autour de la mairie.

 

A la différence de mercredi soir, les jeunes, venus de nombreux quartiers de cette ville de quelque 110 000 habitants, se sont donné directement rendez-vous devant la mairie, les affrontements commençant vers 23 heures. La veille, la stratégie semblait plutôt de multiplier les feux de poubelles, les tirs d’artifice et de mortier dans différents quartiers, La Noue-Clos Français, Jean Moulin, Le Morillon… avec pour but d’attirer les policiers dans des sortes de guet-apens, une stratégie qui n’a pas fonctionné, les forces de l’ordre étant restées, la plus grande partie de la soirée, dans et autour du commissariat.

 

Les violences ont de quoi peiner Patrice Bessac, le maire (PCF, sur une liste de rassemblement de la gauche) de la commune, élu en 2014 puis 2020. S’il n’a pas connu à Montreuil les émeutes de 2005 qui ont vu s’embraser de nombreuses villes en France, il sait que la ville avait été relativement épargnée. Rien de tel, au lendemain de la mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, mardi. L’édile est peiné, mais pas surpris. « Je comprends la colère de beaucoup de ne pas être entendus. Alors que quelques jours plus tôt, 15 000 personnes participaient à la fête de la ville, dans une super ambiance, tout d’un coup, cette violence nous tombe dessus. Ça fait mal au cœur, alors que c’est un problème qui nous dépasse. C’est l’état du pays, de ses difficultés, de ce qu’on cache sous le tapis », confie-t-il. Et d’exprimer sa détermination à voir notamment la doctrine du maintien de l’ordre repensée. « Il y a un déni de réalité sur le problème des rapports entre police et population. L’institution policière doit devenir intolérante à toutes les formes de brutalité, de discrimination. Le problème n’est pas de défendre une corporation mais une police républicaine, au côté du droit et de la justice », martèle-t-il.

 

Alors, toute la journée de jeudi, les réseaux – Montreuil compte quelque 450 associations – se sont activés pour éviter que la situation ne s’aggrave : associations de parents, sportives, doyens des foyers, médiateurs, « grands frères »… Fadimata Traoré, la présidente de Femmes du Morillon (un quartier de la ville) va mobiliser l’association. « J’ai été choquée par les événements de mercredi soir. Ce qui s’est passé est très triste, on peut être en colère mais tout brûler cela ne va pas. On va parler aux grands frères et, vendredi, après la prière, on parlera encore aux enfants », dit cette femme de 65 ans, installée à Montreuil depuis 1979.

Jeudi soir, jusque vers 21 heures, alors que la ville était encore calme, les « mamans » de l’Association des femmes étoiles de La Noue (AFEN) se sont retrouvées à l’abribus du Clos Français, détruit la veille, dans le quartier de La Noue. Sabel Koulibaly, la présidente de l’AFEN, créée en 2011, a appelé ses adhérentes à venir monter la garde. « On a été surprises, comme tout le monde, hier soir. J’ai dit il y a urgence, on n’a pas le temps de se réunir pour parler, et on a décidé d’être dans la rue ce soir. Les jeunes, ils n’aiment pas devoir passer devant nous, ils sont gênés quand ils nous voient. On leur parle, on leur dit d’arrêter les bêtises. Aux plus jeunes, on dit de rentrer à la maison », explique cette mère de cinq enfants de 59 ans, vivant depuis trente-cinq ans à Montreuil.

 

A ses côtés, distribuant gâteaux et verres de thé, Koné Korotounou, 54 ans, sept enfants et vivant à Montreuil depuis trente-quatre ans, n’était « pas contente du tout » de voir les événements de la veille. « Je suis une maman, j’ai peur pour les jeunes. Ils doivent faire attention à eux. Quand ils cassent, la police peut arriver et cela sera alors tout autre chose », dit-elle. A quelques mètres, au pied des grands immeubles de La Noue, les « jeunes », des garçons uniquement, sourient et disent aux « tatas » qu’elles peuvent rentrer, qu’il ne se passera rien ce soir. Rien dans le quartier, tout s’est passé à la mairie.

 

 

Mort de Nahel M. : à Montreuil, une « convergence des rages » contre la police

Dans la ville de Seine-Saint-Denis, jeudi 29 juin, des militants de la mouvance radicale ont rejoint les jeunes des quartiers, dont ils veulent se rapprocher, pour participer aux violences urbaines. Des initiatives similaires sont prises à Marseille ou à Toulouse.

Par Rémi Barroux

Publié le 01 juillet 2023 à 12h00

 

Un ennemi commun, Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, et « sa » police. Une cible évidente, le commissariat. Tels étaient les points de conjonction, jeudi 29 juin au soir, entre des militants radicaux (anarchistes, écologistes, extrême gauche…) et des groupes venus des différents quartiers de la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis).

A plusieurs reprises, de 200 à 300 jeunes, dans leur écrasante majorité, pour beaucoup cagoulés, armés de bâtons et faisant feu à l’aide de mortiers d’artifice, ont marché de la place de la mairie, où ils étaient rassemblés, vers le commissariat, où étaient retranchés des policiers visiblement en sous-effectif pour faire face à la foule menaçante. Une convergence des rages plus que des luttes. La mort de Nahel M., le jeune de 17 ans tué par la police à Nanterre, mardi 27 juin, est, sans aucun doute, le déclencheur de cette violence collective. Même si, en dernier lieu, certains semblaient plus intéressés par le pillage de magasins de téléphonie, de pharmacie ou de parfumerie que par l’affrontement avec les forces de l’ordre.

 

En se félicitant sur leur site, mercredi 28 juin, de l’organisation de « plus de 140 rassemblements » contre la dissolution de leur mouvement, Les Soulèvements de la Terre, dissous par le gouvernement une semaine plus tôt, n’avaient pas pu ne pas rendre hommage à Nahel M., mort la veille, et se féliciter des « tentatives de jonction avec le soulèvement de Nanterre ».

« Tous ensemble contre la police »

Dans les faits, des militants de la mouvance radicale étaient bien présents dans les manifestations et lors des affrontements dans de nombreuses villes comme Marseille ou Toulouse… jeudi soir. A Montreuil, ces groupes sont très actifs, notamment autour de squats comme ceux de la Baudrière, qui se définit comme « anarcha-féministe », de la rue Stalingrad, etc.

 

Un des cadres municipaux qui dit bien connaître cette mouvance montreuilloise confie même que ce serait l’une de ces militantes qui aurait tiré le premier mortier, jeudi soir. De fait, ils étaient nombreux à agir aux côtés des jeunes venus des quartiers, sur la place de la mairie. Habitué à l’affrontement avec les forces de l’ordre, l’un d’entre eux, portant une sorte de bouclier, se faisant appeler « Ludo », insiste sur la nécessité de se battre « tous ensemble contre la police ». Le fait de pouvoir compter sur des centaines de jeunes pressés d’en découdre avec les forces de l’ordre est une bonne opportunité selon lui.

 

Les différentes composantes de ce mouvement hétéroclite n’étaient pourtant pas d’accord au départ sur la cible principale : commissariat pour les jeunes des quartiers, mairie pour les militants, plus soucieux apparemment de vouloir affronter le pouvoir politique local. L’accord s’est conclu sur le commissariat. Et la mairie, jeudi, n’a essuyé aucun tir de mortier.

 

Tom (son prénom a été modifié), 27 ans, doctorant en physique, militant montreuillois d’Extinction Rebellion, explique aussi la nécessité de se rapprocher de ces jeunes en colère. Dans la mouvance des Soulèvements de la Terre – il était à la manifestation, très violente, contre la mégabassine de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, le 25 mars –, Tom dit qu’il faut que les mouvements climat et sociaux intègrent plus ces questions de répression policière, en proposant de former, par exemple, les jeunes des quartiers aux questions juridiques.

Réunion unitaire

En plus de cette présence de militants de la mouvance radicale, le ministère de l’intérieur pourrait avoir à surveiller une autre source de violence : si le service central de renseignement territorial a bien identifié « la présence massive de groupuscules de l’ultra-gauche parmi les émeutiers », il note aussi que des « individus et des groupes d’extrême droite sont en cours de constitution pour affronter les jeunes des quartiers dès ce week-end ».

Preuve de cette volonté d’en découdre avec ces jeunes et les militants d’extrême gauche, une vidéo, sur les réseaux sociaux, montrait une attaque de manifestants contre les violences policières, vendredi 30 juin, par des militants du groupe d’extrême droite angevin dissous L’Alvarium, armés de bâtons et masqués.

 

Pour « ne pas laisser la droite et l’extrême droite occuper l’espace politique », selon les mots de Youlie Yamamoto, porte-parole d’Attac, une réunion unitaire devait aussi se tenir, samedi 1er juillet au début de l’après-midi, convoquée par les syndicats CGT, FSU, Solidaires, ainsi qu’Attac et SOS Racisme. Devaient s’y retrouver, en ligne, de nombreuses associations, comme celles du mouvement climat, Les Soulèvements de la Terre, le collectif La Vérité pour Adama, la Marche des solidarités, ainsi que les organisations politiques, la Nupes, le NPA… Au menu : s’accorder sur une initiative de soutien la plus large possible aux manifestations contre la mort de Nahel M.