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Affaire Oudéa-Castéra : Mediapart publie le rapport sur Stanislas caché par

les ministres 

Depuis août, le ministère de l’éducation refuse de rendre publique l’enquête administrative visant
l’établissement privé catholique où sont scolarisés les enfants de la ministre. Discours homophobes,
sexisme, humiliations… : le rapport demande à Stanislas de se mettre en conformité avec la loi.  

David Perrotin -

 16 janvier 2024 à 17h56

« Je vais être très claire, ce rapport d’inspection n’est pas sur mon bureau », déclarait Amélie

Oudéa-Castéra vendredi 12 janvier au micro de Mediapart. Si la ministre affirme ne pas l’avoir, le rapport
a pourtant été remis au ministère de l’éducation le 1 août dernier. Depuis, Gabriel Attal comme Amélie Oudéa-
Castéra refusent de le rendre public. Mediapart le publie en intégralité.

Le portrait dressé de cet établissement privé sous contrat du VI  arrondissement de Paris, où sont scolarisés les
trois enfants de la ministre, est édifiant. Quatre
inspecteurs ont été saisis en mai 2023, après les
révélations de Mediapart sur l’établissement, et ont
auditionné 106 personnes avant de remettre leurs
conclusions cet été. 

Ce rapport de trente pages montre que l’établissement,
qui compte des classes de maternelle, primaire, collège,
lycée et classes préparatoires, ne respecte pas la loi en
obligeant tous ses élèves à suivre une heure
hebdomadaire de catéchèse (l’enseignement de la
religion catholique), de la maternelle aux classes prépa.
Dans ces cours, des intervenant·es tiennent des propos
homophobes, anti-avortement, font la promotion des
thérapies de conversion et demandent à « pardonner
aux violeurs »
.

Ainsi, tous les élèves sont contraints de se rendre à la
chapelle de l’établissement pour les temps consacrés à la
confession. Le rapport révèle aussi de graves dérives lors
de l’heure de catéchèse. « Certains catéchistes expriment
des convictions personnelles qui outrepassent les positions
de l’Église catholique, par exemple sur l’IVG en tenant des
propos remettant en cause la loi, ou susceptibles d’être
qualifiés pénalement sur l’homosexualité »
, peut-on lire. 

Les classes de 4 , par exemple, apprennent dans des
livrets de catéchèse que « l’avortement signifie [...]
toujours tuer volontairement une personne humaine
innocente ». 
Plusieurs parents interrogés estiment aussi
que cette formation a « une tendance au prosélytisme »,
qu’« il y a une incitation à être baptisé », « les élèves
baptisés devant lever le doigt... si vous 
[une élève] n’êtes
pas baptisée, vous serez damnée et irez en enfer »
,
ou qu’elles donnent lieu à des « critiques contre les
autres religions ».

Selon plusieurs témoignages, une intervenante à ces
cours de catéchèse a pu déclarer que « l’avortement était
encouragé parce que les fœtus étaient utilisés pour des
médicaments, le Doliprane notamment »
. Un autre que
« Francois Hollande était un danger pour la République
puisqu’il défendait la théorie du genre ».
 La mission
d’inspection a également reçu un signalement pour des
propos homophobes tenus par un catéchiste, un
intervenant du collège assurant la catéchèse : en janvier
2023, il aurait parlé « de sodomie qui apporte le sida, de
l’homosexualité qui est un péché, qui est une maladie qui
vient du fait que maman a trompé papa ». 

À propos d’un cours en mai 2023, un autre témoin
détaille auprès de la mission : « Il nous a parlé de
l’homosexualité comme d’une maladie, et que si l’on se
sentait homosexuel, il fallait se faire soigner dans une
structure religieuse au Canada, que l’homosexualité venait
du fait que quand la mère enceinte trompe son mari ou que
son mari trompe sa femme, le bébé ressent tout et a le cœur
brisé ; il nous a parlé de sodomie également. Il nous a parlé
de viol, en disant qu’il fallait pardonner au violeur et que
c’était difficile. » 
 

Si le catéchiste en question a été écarté depuis, les

inspecteurs pointent de graves dysfonctionnements et
des alertes de parents, à partir du mois de janvier 2023,
totalement ignorées. « La mission ne peut que s’interroger
sur le caractère répété de ces prises de position intolérables
de ce catéchiste qui est, selon la mission, dans le déni et qui
intervenait depuis trois ans devant des jeunes
 », relèvent-
ils. « Cette situation révèle un triple dysfonctionnement de
la catéchèse, aggravé par le fait qu’elle est obligatoire et
intégrée dans l’emploi du temps des élèves »
, ajoutent les
inspecteurs. « La gravité des propos est minimisée par
l’encadrement et leur possible impact psychologique sur
des adolescents n’est pas pris en compte. »

Interrogé à propos de cette situation, le directeur de
Stanislas a indiqué à la mission qu’il comptait élaborer
pour l’année prochaine une charte de déontologie pour
la catéchèse.

En contradiction avec la loi

Dans le détail, les inspecteurs documentent de graves
dérives dans l’application du contrat d’association avec
l’État. Selon la loi, dans le privé sous contrat, les cours et
les exercices religieux sont facultatifs. « Pourtant, les
familles qui souhaitent inscrire leur enfant à Stanislas
n’ont pas le choix, l’assistance aux cours religieux est
obligatoire »
, pointe la mission. Elle note toutefois que la
plupart des élèves auditionnés trouvent de l’intérêt,
même s’ils sont athées ou d’une autre confession, dans
cette catéchèse qu’ils reçoivent comme une culture
religieuse qui peut leur être utile.

Le collège-lycée Stanislas exige même dès l’inscription
une « adhésion au volet “formation chrétienne” du projet
éducatif »
, avec l’obligation pour chaque élève d’assister
aux cours religieux sous peine d’exclusion. Le dossier
d’inscription comprend des renseignements relatifs à la
religion, date et lieu du baptême, à la première
communion et à la confirmation. Ces précisions étaient
obligatoires jusqu’en 2022 et sont devenues facultatives
après les révélations de Mediapart. 

« Un élève d’une autre confession que catholique, ou bien
athée, est obligé de suivre ces cours de formation
chrétienne, présentés par la direction et l’encadrement de
Stanislas comme un apport culturel dans la formation de
l’élève »
, constate la mission d’inspection, qui
« s’interroge sur les conditions du respect de la liberté de

conscience auquel l’établissement s’est engagé en signant
le contrat d’association alors que, à l’inscription, est
exigé le respect par les élèves du caractère obligatoire de
la catéchèse ».

De graves dérives dans les autres cours 

Les inspecteurs ont constaté que le contenu des
enseignements en lien avec l’éducation à la sexualité, en
SVT (sciences de la vie et de la Terre) et en EMC
(enseignement moral et civique), ainsi que dans d’autres
disciplines, n’est que très partiellement, voire pas du tout
renseigné sur la plateforme numérique de l’école. Un seul
professeur de tout l’établissement respecte les
programmes officiels en traitant de la contraception en
classes de 4  et de 3 . « Tous les côtés que je considère
extrêmes à Stan viennent du fait que certaines familles
demandent ça. Sociologiquement, on a beaucoup de
familles catholiques un peu réactionnaires »
, justifie un
préfet (l’équivalent dans l’établissement du conseiller
principal d’éducation) interrogé par la mission. 

Des cours d’éducation affective sont parfois dispensés,
toujours lors de séances non mixtes, et sont dénoncés
tant par des élèves que par certains membres de
l’établissement. Ces séances remplacent les cours
d’« éducation à la sexualité », à proposer obligatoirement
sur le temps scolaire. « Il ne s’agit pas d’une simple
commodité de langage, mais d’un parti pris de mise à
distance de la sexualité »
, analyse la mission. D’après le
personnel de santé, des élèves de certains cursus n’en
suivent jamais et certains cours posent de sérieux
problèmes. L’une des dernières intervenantes disait
« des choses aberrantes, par exemple que les hommes
ont des pulsions que les femmes n’ont pas et qu’elles
doivent subir… »

« Le parti pris de certains professeurs de SVT de ne pas
parler des infections sexuellement transmissibles (IST), les
propos tenus lors des conférences d’éducation à la sexualité
sur les dangers de la contraception chimique, et enfin les
dérives relevées en catéchèse sont susceptibles pour la
mission de porter atteinte à la santé des élèves »
, pointent
les inspecteurs, qui dénoncent l’absence de contraception
d’urgence disponible dans l’établissement. 

« Bien avant l’article de Mediapart, j’ai été conduit à
reprendre un certain nombre de choses concernant
l’éducation affective et sexuelle »
, déclare le directeur de

Stanislas pour se défendre, évoquant une précédente
intervenante « malsaine ». 

Pédagogie « violente » et « humiliante » 

Si les parents rencontrés par la mission sont, dans leur
grande majorité, favorables à l’exercice de l’autorité tel
que pratiqué par les personnels d’encadrement, la
mission pointe de nombreuses dérives. Des préfets sont
mis en cause pour leurs méthodes brutales et
autoritaires. Une étudiante de classe préparatoire en 2020
et 2021 fait état de réflexions répétées sur sa tenue
vestimentaire, y compris à l’extérieur de Stanislas. Elle
évoque également la pression qu’elle a subie et l’absence
d’accompagnement alors qu’elle était très fragilisée à la
suite d’une agression sexuelle dont elle avait été victime
en dehors de l’établissement. 

« Elle évoque un rendez-vous fixé avec ses parents au cours
duquel elle a été contrainte de les informer de cette
agression, “sinon ce n’était pas vrai ou sérieux”, la menace
d’exclusion, les remarques humiliantes à répétition »
,
relèvent les inspecteurs. « La pédagogie de Stan est
violente. Leur but est que les élèves donnent le meilleur
d’eux-mêmes, non pas en les encourageant, mais en les
rabaissant »
, témoigne un autre. 

Lundi 15 janvier, Mediapart révélait comment Gabriel
Attal avait été alerté par un parent d’élève qui dénonçait
l’exclusion brutale de sa fille. Le motif ? Avoir dénoncé
le racisme et l’homophobie des membres du personnel
de Stanislas. 

Dans ce rapport, les inspecteurs confirment l’intégralité
de ces accusations et montrent que la direction de
Stanislas a « dissimulé la vérité » et même « monté dans
la précipitation »
 un dossier à charge pour tenter de
justifier l’exclusion de la jeune fille et travestir ses motifs.
Ils accusent à tort cette élève d’avoir harcelé des
camarades. « Il ressort des pièces transmises que le
problème posé par cette élève se situe ailleurs, dans un
conflit personnel entre le préfet et elle, relayé par le censeur
– directeur du lycée, en raison en réalité de ses prises de
position assimilées à du militantisme »
, relèvent-ils. 

106 personnes interrogées par la mission d’inspection

Pour réaliser son rapport, la mission d’inspection a interrogé

l’autorité académique, le directeur diocésain de l’enseignement

catholique de Paris, quatre inspecteurs du premier et du second

degré de l’académie de Paris chargés du suivi du collège Stanislas,

le personnel de Stanislas (le président directeur général de la

société anonyme (SA) Stanislas, directeur, censeurs – directeurs,

directeur académique de l’école primaire, préfets, documentalistes,

secrétaires, médecin...). Des professeurs, des agents, des surveillants

et des élèves...

La mission a aussi lancé un appel à témoignages auprès des

personnels et étudiant·es de l’établissement et a entendu 17

personnes à la suite de cet appel et recueilli quatre témoignages

écrits.

La mission a recueilli et étudié un ensemble de documents fournis

par l’académie de Paris, la direction diocésaine de Paris et le collège

Stanislas.

Au total, la mission a donc entendu ou rencontré 106 personnes

pour la conduite de l’enquête.

L’un des préfets de l’établissement reprochait à cette
jeune fille de porter « un pull LGBT » et était, selon
plusieurs témoignages, « familier de propos homophobes
et d’insultes envers les filles qu’il ne trouve pas
assez féminines ».

Pour la mission, « cette affaire témoigne de la méthode
brutale employée par l’établissement pour écarter une élève
brillante qui ne correspond plus à “l’esprit Stan” et qui
pourrait influencer d’autres jeunes »
. Son exclusion est
d’autant plus problématique qu’elle a été décidée de
manière totalement arbitraire, sans conseil de discipline
et sans informer le professeur principal. Aucun
accompagnement n’a été mis en place pour l’aider à
trouver un autre lycée. 

Un sexisme et une homophobie assumés 

Ce rapport permet de prendre conscience de l’inégalité
structurelle imposée par la direction de cet
établissement. Au collège, on dénombre cinq classes de
garçons, trois classes de filles et seulement deux classes
mixtes auxquelles s’ajoute une classe de Segpa (Section
d’enseignement général et professionnel adapté). En

lycée, la capacité d’accueil de l’internat des garçons est de

130 lits alors que celle de l’internat des filles est de 26. En
classes préparatoires aux grandes écoles, elle est de 473
pour les garçons et de 98 pour les filles. 

« Il est à noter que la situation des classes de garçons dans
l’organisation spatiale de l’établissement n’est pas
neutre »
, écrit la mission. Celles-ci sont installées dans le
bâtiment central de sept étages, où se trouvent les classes
du lycée, alors que les classes de filles et les classes
mixtes sont à la marge, dans un autre bâtiment. 

Pour la mission, la direction de Stanislas entretient des
stéréotypes sexistes, notamment à travers sa façon de
régir les tenues des filles. « La mission relève sur vingt ans
une préoccupation constante de l’apparence du corps
féminin, qu’il faut cacher : vêtements opaques, épaules
(couvertes), ventre (hauts sur le bas des hanches), cuisses
(longueur des jupes et des robes), poitrine (pas de
décolletés). Ce niveau de détails relève du sexisme. Il
renvoie la jeune fille à une image sexuelle de son corps qui
attire et perturbe les garçons. »

Parcoursup détourné

Les inspecteurs estiment aussi que la place des garçons et
cette culture de la non-mixité peuvent « favoriser un
climat propice à l’homophobie »
« Les filles qui ont les
cheveux courts, qui ne s’habillent pas avec une robe ont des
sous-entendus, de même pour les garçons efféminés »
,
reconnaît une membre du personnel interrogé par
la mission. Selon elle, l’homophobie était même
« ouvertement assumée » à l’époque de La Manif
pour tous.

Et la mission de souligner : « Si lors des auditions, la
mission n’a eu aucun témoignage sur des propos
homophobes tenus par les enseignants, quelques retours
font état d’interpellations de cette nature entre élèves :
“demi-hommes”, “demi-garçons” (visant des garçons des
classes mixtes), “pédés”, “tapettes”, propos que la direction
et l’encadrement disent ne pas tolérer et au besoin
sanctionner, mais inscrits dans une certaine conception de
la virilité. »

« L’Église est contre l’union homosexuelle et contre
l’avortement, que je sache, non ? Une école catholique ne
peut dire autre chose »
, assumait d’ailleurs le directeur,
Frédéric Gautier, interrogé en août 2023 par Le Monde.

Auprès de la mission, il assume : « Concernant les
problèmes liés à l’identité sexuée, ce que nous ne
souhaitons pas, c’est introduire un débat idéologisé,
marqué par une forme de militantisme. » 

Enfin, le rapport révèle un contournement de la
procédure nationale Parcoursup : « Certains élèves sont
incités à renoncer à leurs autres vœux dans Parcoursup au
moment de la finalisation du dossier en échange de la
garantie d’être admis sur leur vœu dans une classe
préparatoire de l’établissement. »
 Ce qui est contraire à la
philosophie initiale de la plateforme, qui consiste à
favoriser une égalité des chances sur le choix
d’orientation dans le supérieur.

En guise de conclusion, les inspecteurs livrent de
nombreuses recommandations pour que l’établissement
se mette en conformité avec la loi. Et notamment :

Faire respecter le caractère facultatif de l’instruction
religieuse.
Renforcer le contrôle sur les intervenants dans la
catéchèse afin de prévenir les propos contraires aux
valeurs de la République, voire pénalement
répréhensibles.
Demander aux corps d’inspection de contrôler
l’effectivité des enseignements de sciences de la vie et
de la terre (SVT) en lien avec l’éducation à la sexualité,
en particulier ceux relatifs à la prévention des risques
(grossesses non désirées, IST, VIH/sida) afin de ne pas
porter atteinte à la santé des élèves.
Demander aux corps d’inspection de contrôler
l’effectivité de l’information et de l’éducation à la
sexualité prévue par l’article L 312-16 du Code de
l’éducation.
Travailler à une évolution du projet éducatif et des
règles de vie, notamment relatives à la tenue
vestimentaire, afin de renforcer, conformément aux
valeurs de la République, l’égalité filles-garçons et le
respect des différences au sein de l'établissement...

Interrogés pour savoir si le ministère de l’éducation
comptait rendre public ce rapport, ledit ministère
comme Matignon refusent de nous répondre. Amélie
Oudéa-Castéra, qui a défendu Stanislas pendant
l’enquête selon nos informations, compte-t-elle suivre les
recommandations de la mission ou se déporter ? Ses
conseillers refusent eux aussi de nous répondre. Et
puisqu’elle l’a choisi pour ses enfants, la ministre

considère-t-elle ce type d’éducation comme un modèle
à suivre ?