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Vers une pénurie de neige généralisée dans les montagnes européennes

Sans politique d’atténuation efficace, le dérèglement climatique peut aggraver les évènements extrêmes dans les montagnes européennes et rendre la pénurie de neige une situation généralisée.  

Lan Wei

28 août 2023 à 19h41

 

DimancheDimanche 27 août, un important éboulement s’est produit dans la commune de Saint-André (Savoie), faisant chuter 700 mètres cubes de rochers en quelques secondes. L’évènement est survenu lors d’un « épisode pluvieux avec des ruissellements importants qui a suivi un épisode caniculaire dans toutes les Alpes », a expliqué dans la foulée Denis Roy, responsable du centre de montagne Alpes du Nord de Météo France. 

Si l’expertise sur les dégâts est toujours en cours, lundi, les circulations sur l’axe France/Italie du Nord restent fortement perturbées : la route départementale 1006, l’autoroute A43, ainsi que la voie ferroviaire sont interrompues et ne seront pas rétablies avant plusieurs jours. « On a frôlé la catastrophe », a déclaré Jean-Claude Raffin, le maire de Modane (Savoie) à France 3. Sa commune se trouve à 5 kilomètres du lieu de l’éboulement. 

 

Les températures particulièrement chaudes dans les Alpes ont aggravé la fonte des glaciers. Dimanche 20 août, à une trentaine de kilomètres au nord-est de l’éboulement le plus récent, dans le parc de la Vanoise, une crue démesurée a emporté la passerelle enjambant le Grand Pyx, fréquemment empruntée par les touristes. 

 

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De la mousse isolante recouvre une partie du glacier du Rhône, dans les Alpes suisses, pour ralentir sa fonte, à Gletsch, le 24 août 2023. © Photo Fabrice Coffrini / AFP

Recul des glaciers, baisse du manteau neigeux à basse et moyenne altitude, dégradation du permafrost… Le réchauffement place les hautes montagnes à un haut degré de risque. Le dégel du permafrost, par exemple, peut conduire à des éboulements rocheux. Selon Samuel Morin, directeur du centre d’étude de la neige Météo France/CNRS et auteur principal du dernier rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) qui porte sur l’évolution de l’océan et de la cryosphère, sous l’effet du dérèglement climatique, le risque des précipitations intenses dans les montages devient plus important, « même à de très hautes altitudes, dans les endroits où il neige habituellement ».

 

Sans politique d’atténuation qui permettrait de ralentir les émissions de gaz à effet de serre de façon efficace, le réchauffement risque également d’entraîner une pénurie de neige généralisée dans les montagnes européennes, selon une étude parue dans la revue Nature Climate Change lundi 28 août. Réalisée par un groupe de chercheurs européens dont Samuel Morin, cette analyse complète de 2 234 stations de ski dans 28 pays européens révèle que pour des niveaux de réchauffement global de 2 °C et 4 °C respectivement, 53 % et 98 % des stations seront confrontées à un risque très élevé d’enneigement insuffisant, indépendamment de l’échéance.

 

Dans les hautes montagnes, la poursuite de la fonte des neiges est malheureusement un avenir certain. Selon le dernier rapport de synthèse du Giec, les politiques relatives à l’atténuation – si les promesses des gouvernements seront tenues – dirigent la planète vers un réchauffement planétaire proche de 2 °C en milieu de siècle, et de 2,8 °C d’ici à 2100. Sans production de neige artificielle, l’or blanc disparaîtra dans plus de neuf pistes européennes sur dix à la fin du siècle (91 %). 

 

Des situations de très faible enneigement, qui survenaient en moyenne une fois tous les cinq ans entre 1961 et 1990, vont avoir lieu une année sur deux. « Cela signifie que des évènements relativement épisodiques, qui posent déjà des difficultés, deviendront quasiment systématiques », explique Samuel Morin. 

 

Conséquences de la maladaptation 

Ces dernières années, confrontées à de l’enneigement de plus en plus épars, beaucoup de stations de ski se sont lancées dans une course à la neige de culture. Entre 30 % et 40 % des surfaces des stations françaises et suisses sont dotées des canons à neige et autres appareils du même genre, relate Samuel Morin, et le pourcentage est bien supérieur en Italie et en Autriche. 

 

Cette tentative qui vise à adapter l’environnement aux besoins du tourisme soulève de multiples questions. D’abord, la production de neige impliquera une augmentation non négligeable de la consommation en eau et en énergie. Sous les scénarios de réchauffement de 2 °C et de 4 °C, sur une année, la production de neige artificielle qui permettra de couvrir la moitié des pistes françaises fera augmenter la demande d’eau et d’électricité de 23 % et de 32 %, tandis que l’empreinte carbone associée à la production de ces neiges augmentera de 17 % et de 19 %. 

 

Cela est d’autant plus problématique que la neige de culture porte des risques de maladaptation plus graves, car elle perpétue des activités qui sont elles-mêmes fortement émettrices, comme les moyens de déplacement utilisant du combustible fossile. Comptant pour seulement une part très limitée (entre 2 % et 4 %) dans l’empreinte carbone globale des territoires spécialisés dans les sports d’hiver, la production de neige artificielle contribue pourtant à « pérenniser un modèle de développement dont il faut réfléchir à la décarbonation », souligne Samuel Morin. Celle-ci « verrouille les territoires sur des activités fondées sur la neige, et réduit la résilience ainsi que la capacité du secteur à faire face au risque du réchauffement climatique », conclut-il.