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Covid long : «Nous créons les conditions potentielles d’une bombe sanitaire à long terme»

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Journal d'épidémie, par Christian Lehmann
Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d’une société traversée par le coronavirus.
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Un test anti-Covid dans un lycée à Paris, le 2 décembre 2020. (Denis Allard/Libération)

par Christian Lehmann, médecin et écrivain

publié le 30 décembre 2023

 

L’hiver est de retour, très en retard si l’on en croit le cortège de «maladies hivernales» qui nous assaillent depuis plus de deux mois, et dont certaines, comme le Covid, n’ont cessé de nous empoisonner l’existence même en plein mois d’août. Tout le monde tombe et retombe malade, mais nous nageons dans le flou. «C’est viral», «c’est la grippe», «cépalcovid j’ai fait un test». Les résultats des tests biologiques sont sans appel, la grippe ne représente actuellement qu’un faible pourcentage des syndromes pseudo-grippaux (fièvre brutale, grande fatigue, frissons, rhume, toux, courbatures, maux de tête). Le Covid diffuse à nouveau dans la population que le ministère de la Santé et de la Prévention, entre impétrant démissionnaire et intérimaire aux mains pleines, maintient dans l’ignorance du fait qu’avec les variants actuels, les autotests et les tests antigéniques réalisés en pharmacie ont un taux de faux négatifs dépassant les 60%. Autrement dit, qu’un résultat négatif en pharmacie a deux chances sur trois de masquer un vrai Covid. Mais le narratif gouvernemental impose de considérer que le Covid n’est ni plus ni moins qu’une grippe.

Présidente de l’association Winslow pour une santé publique collective et inclusive, Solenn Tanguy, conceptrice pédagogique, atteinte d’une maladie chronique, 43 ans, décrypte la manière dont le Covid a été normalisé :

«Un article du Times estimait récemment que la recherche sur le Covid long revenait à passer “des années et des centaines de millions de dollars supplémentaires à creuser un puits sec”. L’auteur assimile le Covid long à l’encéphalomyélite myalgique (EM) et en déduit par un magnifique fatalisme que, puisqu’il n’y a pas eu de traitement identifié pour cette pathologie, il faut stopper la recherche pour le Covid long. Avec à peine trois ans de recul, et des dizaines de millions de personnes touchées, il faudrait fermer le ban.

 

«L’EM est une maladie chronique dévastatrice et complexe, négligée depuis des décennies, qui touche différents appareils de l’organisme et nécessite aussi bien recherche que prise en charge sérieuse. Une partie des Covid longs développant une encéphalomyélite myalgique, cette urgence devient d’autant plus impérieuse. Cependant, ne considérer les deux que comme une seule et même maladie pour faire rentrer le Covid long dans un tiroir, c’est oublier qu’un virus très spécifique est à l’origine du Covid-19, avec des conséquences à long terme et une pathogénicité encore floues.

«L’à-peu-près érigé en nouvelle norme»

«Quelques jours auparavant et de façon inattendue, le Covars [Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires, ndlr] reconnaissait enfin l’existence du Covid long en tant que maladie, abandonnant la honteuse thèse psychosomatique jusque-là privilégiée en France. Mais, tout au long de l’avis, il choisit de ne pas reprendre le nom spécifique pourtant utilisé depuis le début par les médecins et les malades au niveau international, pour le ranger dans les “syndromes post-viraux”.

«La Société française d’hygiène hospitalière, dans ses dernières recommandations produites à la fin d’un mois de septembre battant des records inédits de chaleur et alors que les hôpitaux débordaient déjà d’infections de type respiratoire pour la troisième vague de 2023, classait Sars-Cov-2 dans les “viroses hivernales”. Et au même moment, dans la presse internationale, on voit fleurir des articles sur le “long flu”, ou plus vague encore, le “long cold”, la longue grippe, le long rhume.

Journal d'épidémie

 

«Et c’est ainsi, sous les applaudissements de sociétés savantes se satisfaisant de l’à-peu-près érigé en nouvelle norme, que meurt un des piliers de la médecine, l’étiologie, qui étudie les causes des maladies.

«Les tests PCR, les seuls réellement fiables aujourd’hui, sont relégués aux oubliettes. Le diagnostic de Covid peut être éliminé sur une impression clinique ou sur un autotest de fiabilité aujourd’hui très limitée.

«Une suspicion de Covid, maladie pourtant toujours à déclaration obligatoire, est dans les faits déjà de moins en moins testée en consultation, notamment pour les enfants. Si on ajoute l’amalgame du tableau clinique avec celui des autres virus, à quoi bon ? On valide ainsi une tendance déjà forte dans les pratiques, et plus personne n’est responsable d’avoir laissé transmettre un Sars-Cov-2 (comme c’était déjà le cas d’un VRS), et des conséquences qui en découlent.

«La méthode choisie, c’est ne rien faire»

«L’à peu près est à la mode, ça ne demande aucune adaptation et les “avantages” d’associer Sars-Cov-2 avec les “autres virus hivernaux” sont nombreux quand on ne veut pas agir. Malgré l’évidence des quatre à cinq vagues annuelles, malgré une saisonnalité réduite au seul fait de fréquenter davantage de lieux mal aérés en hiver qu’en été.

«Ce narratif évacue opportunément Sars-Cov-2 et sa succession de variants, source de tous les ennuis. Le but recherché c’est le statu quo, la méthode choisie c’est ne rien faire.

«Pour la recherche et traitements, on va renvoyer les Covid longs vers la recherche insuffisante des autres syndromes post-viraux. Cela permet d’occulter Sars-Cov-2 et sa circulation massive et permanente, écartant ex abrupto une partie des malades, et les atteintes spécifiques de ce virus comme les fibroses pulmonaires, les effets cardiovasculaires parfois décalés dans le temps, les décompensations de maladies préexistantes. Alors même que de nombreuses études dévoilent la persistance du virus à long terme dans certains organes chez certains malades, on évacue cette donnée en créant les conditions potentielles d’une bombe sanitaire à long terme. Et que devient la recherche sur les antiviraux, qui peuvent pourtant aider à la fois pour la phase aiguë et pour la phase longue ? On va orienter les patients vers des cliniques surchargées proposant… pas grand-chose, voire rien d’autre que des traitements symptôme par symptôme, et de la rééducation qui peut nuire au patient si elle ne tient pas compte des spécificités du Covid long et de la fatigabilité post-effort.

«Pour la prévention, on renvoie le Covid au néant de la santé publique en matière d’infections respiratoires, qui nous avait déjà conduits à accepter comme une fatalité les épidémies classiques, année après année. On ne va tout de même pas continuer à porter des masques dans les transports et commun ou dans les lieux de soins, ou investir dans la qualité de l’air intérieur comme l’avait pourtant promis Emmanuel Macron en campagne pour sa réélection.

«Aux premiers décès de ce nouveau coronavirus, beaucoup avaient cherché à rassurer en relativisant sa mortalité au regard de celle, déjà normalisée, de la grippe. Le bilan de Sars-Cov-2 a rapidement fait oublier tous les autres, mais l’obsession est restée de revenir à un niveau acceptable, .

«Quand à l’hiver 2022-2023 les épidémies classiques de grippe et de VRS [Virus respiratoire syncytial] ont frappé, s’ajoutant à l’épidémie permanente de Sars-Cov-2, les autorités ont un peu tremblé mais l’essentiel était fait : aux 10 000 morts usuels de la grippe, on avait ajouté 50 000 morts usuels du Covid, le tout enveloppé dans le parfait lexique d’une médecine très politique : les viroses hivernales.»

«Apprendre à s’en défendre»

Alors que le ministère de la Santé se vantait le 27 décembre de participer à la journée internationale de préparation aux épidémies – «La France est engagée pour mieux prévenir, se préparer et riposter aux épidémies» –, Emmanuel Caillet, 55 ans, architecte-graphiste et membre de l’association Winslow, dresse au contraire le constat de tout ce qui aurait pu être fait plutôt que de se gargariser de slogans creux :

«La pandémie de Covid-19 aurait pu être l’occasion de revenir sur les pratiques de santé publique, et mettre en place une politique préventive efficace de masques et d’aération /purification, sur la base de seuils et d’une surveillance efficace de la circulation virale. On ne l’a pas fait. On peut encore le faire.

«Car une chose est vraie dans l’association du Sars-Cov-2 avec les virus hivernaux : le mode de contamination est semblable. Ainsi, si l’on refuse le fardeau du Sars-Cov-2, on ne refuse par les mêmes gestes celui des autres virus à transmission similaire. Cela porte un nom : progresser, faire mieux, plutôt que pire. Baisser le seuil acceptable des morts et des handicaps du Covid-19, et ceux de la grippe, du VRS, du mycoplasma pneumoniae dans un cercle vertueux. Il n’y a pas de fatalité. Mais pour ça, il ne faut pas mettre Sars-Cov-2 sous le tapis de l’opportunisme lexical, il faut le nommer, l’étudier, l’utiliser pour apprendre à s’en défendre. Sans cela, on signera la fin de la prévention, la fin d’une recherche ciblée, et on achèvera la normalisation de la maladie et ses conséquences dans l’opinion publique, puis dans la santé de tous.»