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Transition énergétique : pour Agnès Pannier-Runacher, « la transformation à engager est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle »

La ministre de la transition énergétique expose, dans un entretien au « Monde », la vision de l’exécutif de la trajectoire à suivre pour permettre à la France de sortir progressivement de sa dépendance aux énergies fossiles.
Propos recueillis par Perrine Mouterde et Adrien Pécout
Publié aujourd’hui à
18h52, modifié à 19h18
Temps de Lecture 4 min.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique, met en consultation la stratégie française pour l’énergie et le climat. Ce document de quatre-vingt-cinq pages, présenté mercredi 22 novembre, doit déboucher, en 2024, sur une première loi de programmation. Une loi structurante, dont découleront les troisièmes éditions de la programmation pluriannuelle de l’énergie et de la stratégie nationale bas carbone.

 

 

 

Le gouvernement promet de faire de la France la première nation industrielle à sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Qu’est-ce que cela implique ?

Aujourd’hui, notre pays consomme environ 60 % d’énergies fossiles [pétrole, gaz et résiduellement charbon] dans son mix énergétique. Il faudra ramener le pourcentage autour de 40 % en 2030 et 30 % en 2035. C’est un rythme de diminution très fort, étayé par la réalité des usages. A partir de 2035, la vente de voitures thermiques neuves sera interdite en Europe et la consommation de carburants baissera drastiquement. De même, il n’y aura quasiment plus de chaudières au fioul.

 

Plus largement, la transformation à engager dans les trois prochaines décennies est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle. Le système énergétique doit être reconstruit et changer de philosophie : il est jusqu’à présent très centralisé, autour de quelques centaines de sites de production et de quelques grandes entreprises qui le pilotent. A l’avenir, des dizaines de milliers de sites seront à la fois producteurs et consommateurs.

A l’horizon 2050, la France prévoit aussi de réduire d’au moins 40 % sa consommation d’énergie. Là encore, qu’est-ce que cela signifie ?

Dans son ensemble, le pays a réussi à baisser sa consommation de gaz et d’électricité de 12 % cette année et cela n’a pas changé fondamentalement nos vies ni celle des entreprises. C’est une première marche. Plus largement, je veux centrer le message politique en matière de sobriété sur les bénéfices que les Français vont pouvoir en retirer, plutôt que sur la planète.
Passer d’une voiture thermique à une voiture électrique, c’est permettre des économies de carburant massives. C’est aussi diminuer drastiquement la pollution de l’air, avec un effet sur la bronchiolite du petit dernier ou l’asthme du cadet, voire sur les décès précoces de parents. Ce sont des choses que les gens comprennent très bien. A charge pour le gouvernement de faire en sorte que l’écologie ne soit pas un produit de luxe.
Nous avons aussi demandé aux gros acteurs et aux grandes entreprises de faire leur part. Par exemple, seulement 6 % des bâtiments sont équipés d’un système de gestion technique du bâtiment (GTB), qui apporte d’importants gains énergétiques. Je parle de ministères, d’entrepôts, de tours de la Défense.

L’ambition est aussi d’augmenter massivement la production bas carbone. Est-ce réaliste alors qu’une partie des précédents objectifs n’ont pas été tenus ?

Oui, car dans les trajectoires proposées, nous gardons un peu de latitude par rapport au potentiel annoncé par les développeurs d’énergie renouvelable. Par exemple, la filière photovoltaïque me jure qu’elle est capable de tripler le rythme de déploiement actuel. Dans nos projections, nous tablons sur un doublement, ce qui est déjà très bien. Nous n’avons pas toujours atteint nos objectifs de déploiement ; c’est un constat, je ne veux pas injurier l’avenir.

Pour la biomasse, les volumes font encore débat. Pour quelle raison ?

Il faut d’abord pouvoir produire la matière organique qui est ensuite transformée en énergie. Et cette production vient des forêts et de l’agriculture. Nous voulons agir prioritairement pour protéger notre puits de carbone avec une gestion durable des forêts. Nous faisons également de notre souveraineté alimentaire une priorité, car nous voulons éviter de passer d’une dépendance énergétique à un autre type de dépendance.

A l’inverse de l’éolien en mer ou du photovoltaïque, le secteur dont vous ne comptez pas rehausser l’objectif est celui de l’éolien terrestre…

Nous sommes capables de maintenir le rythme de déploiement de l’éolien terrestre observé en 2022, mais vouloir aller plus vite ne correspond pas à la réalité du terrain. Je souhaite rééquilibrer la présence des éoliennes sur le territoire. Des départements accueillent plus de 1 100 mâts, là où d’autres expliquent qu’ils ont fait des efforts considérables avec 30 mâts. Cela nourrit du ressentiment alors que nous avons besoin d’éolien.

Outre six futurs réacteurs, le gouvernement prévoit de se prononcer en 2026 sur l’intérêt ou non d’en construire huit autres, sur quels critères ?

Fin 2026, nous aurons connecté l’EPR de Flamanville [mise en service prévue en 2024, avec douze ans de retard] et nous aurons avancé sur notre programme de nouveaux réacteurs au Royaume-Uni et en France. Ensuite, nous aurons une vision plus précise du rythme de déploiement de chaque énergie. Ce n’est pas pour le plaisir que nous déciderons de construire des réacteurs, mais en fonction de notre estimation des coûts et des bénéfices.

Toutes ces transformations permettront-elles à la France d’atteindre ses objectifs climatiques en 2030 ?

D’abord, la France n’a pas à rougir de son bilan. C’est probablement le pays du G20 qui a la baisse des émissions de gaz à effet de serre la plus importante de ces dix-huit derniers mois. Nous serons au rendez-vous de la baisse de nos émissions brutes en 2030. Mais les premières hypothèses retenues pour le puits de carbone, qui contribue à la baisse des émissions nettes [l’objectif étant de les diminuer d’au moins 55 % en 2030 par rapport à 1990], ont été jugées un peu trop optimistes, les forêts se dégradant avec le dérèglement climatique.
Retrouvez notre enquête « Adaptation » : La forêt française sous le feu du réchauffement

 

 

Peut-on attendre, lors de la 28e conférence mondiale pour le climat à Dubaï, un engagement à sortir des fossiles ?

Ce qui compte pour nous, c’est d’aller plus loin que ce qui a été adopté à la COP26 de Glasgow sur la réduction du charbon. Il faut rendre la sortie de ce combustible rapide et irréversible. Ensuite, il faut une décision finale qui parle des autres énergies fossiles et qui aille dans le sens d’une diminution puis d’une disparition. Après, il peut y avoir différentes formulations pour faire en sorte que ce soit soutenu par les autres pays.

Que diriez-vous au dirigeant de TotalEnergies, Patrick Pouyanné, qui prévoit de produire davantage d’hydrocarbures à l’horizon 2030 ?

C’est un fait et je le regrette : les entreprises pétrolières et gazières veulent poursuivre leurs activités d’exploration et de production. Le premier sujet est d’obtenir de l’ensemble du secteur des décisions sur les émissions liées à la production [scopes 1 et 2]. Et pour agir sur les émissions liées à l’utilisation des hydrocarbures [scope 3], il faut des politiques de baisse de l’utilisation des fossiles. C’est ce que nous mettons en place : à un moment, le pétrole sera mécaniquement absent du mix énergétique français et ce sera pareil pour tout le continent européen. Alors pourquoi développer de nouveaux actifs ? Je le dis sans détour : une entreprise pétro-gazière qui ne sait pas inventer son modèle décaborné est sans avenir.