Amériques Analyse
Elon Musk, l’autre vainqueur de l’élection présidentielle états-unienne
Soutien omniprésent de Donald Trump, le milliardaire est appelé à avoir un statut à part aux côtés du futur président. Au-delà de la défense de ses intérêts et de ceux des géants du numérique, le milliardaire ne cache plus ses ambitions politiques pour promouvoir sa vision du monde.
C’est l’autre grand vainqueur de l’élection américaine : la victoire de Donald Trump ouvre des horizons inespérés à Elon Musk. « Jeu, set et match », a réagi le patron de X à l’annonce des résultats provisoires avant de diffuser sur son réseau social une image de sa fusée avec ce commentaire : « Le futur va être fantastique. »
Le patron de SpaceX, Starlink, Tesla et autres est désormais en orbite, en position pour revendiquer lui aussi un pouvoir sans limites, à la fois technologique, financier et politique, qu’il convoite depuis longtemps. « Le vrai vice-président », avait dénoncé le camp démocrate au cours de la campagne. Sans mandat électoral mais avec beaucoup de prérogatives à venir, semble-t-il.
« Si Donald Trump perd, je suis foutu », plaisantait Elon Musk lors d’une interview avec Tucker Carlson, ex-présentateur de Fox News. Ouvertement hostile au candidat républicain en 2016, le milliardaire a fait un virage sur l’aile depuis plus d’un an. Il a soutenu la candidature de Donald Trump dès les premiers instants, a été constamment présent dans la campagne, se dépensant et dépensant sans compter pour soutenir son champion.
Elon Musk sur scène avec Donald Trump lors d'un rassemblement électoral en Pennsylvanie, le 5 octobre 2024. © Photo Jim Watson / AF via AFP
Propriétaire de X, il a mis son réseau social à la disposition du candidat républicain, pour lui donner la visibilité et l’audience les plus larges possible. Réglant ses algorithmes pour relayer sans restriction et sans filtre ses messages et ceux en faveur du Parti républicain, tout comme les fausses informations contre Kamala Harris et le camp démocrate.
En créant une organisation politique, America PAC, pour soutenir Donald Trump, il a multiplié les dons. Dans les dernières semaines, il n’a pas hésité à offrir 1 million par jour à des électeurs et électrices de Pennsylvanie qui se déclaraient en faveur du candidat républicain. Au total, Elon Musk aurait dépensé, selon les premières estimations, plus de 130 millions de dollars (120 millions d’euros), se hissant au sommet des donateurs dans une campagne marquée par une débauche financière sans précédent.
Donald Trump considère que l’appui d’Elon Musk est si décisif qu’il n’a pas hésité, dès le discours durant lequel il a revendiqué sa victoire, à consacrer de longues minutes à remercier le patron de SpaceX. « On a une nouvelle star : Elon. C’est un mec incroyable. Il a passé deux semaines à Philadelphie à faire campagne pour moi. Vous avez vu cette fusée ? Si brillante, elle allait si vite. Je l’ai vue atterrir, elle est descendue, je me suis dit : il n’y a qu’Elon qui peut faire ça […] Qui d’autre peut faire ça ? La Russie ? non. La Chine ? non. C’est pour cela que je t’aime, Elon. C’est un super génie, on doit protéger nos super génies, on n’en a pas tellement. »
Un statut à part
Lors de sa campagne, Donald Trump avait déjà annoncé que s’il était élu, Elon Musk aurait un statut important et à part dans son dispositif présidentiel : il serait chargé d’auditer et de contrôler toutes les dépenses engagées par l’État.
Le milliardaire a déjà des idées très précises sur le sujet : il ambitionne de mener une contre-révolution, qui n’est pas très éloignée du programme libertarien extrémiste du président argentin Javier Milei. Dans cette optique, l’État doit être réduit au minimum en supprimant taxes et impôts ; le capital doit pouvoir se développer sans contrainte en faisant disparaître lois et autorités de contrôle, et tous les filets sociaux (sécurité sociale, aides, bons alimentaires) doivent être supprimés ou réduits au minimum afin d’éradiquer « le socialisme ».
Dans le même temps, le milliardaire, qui a été biberonné à l’argent public depuis ses débuts, compte faire rentrer parmi ses clients la totalité des agences fédérales et des ministères. En 2023, pas moins de dix-sept d’entre eux ont signé des contrats avec ses entreprises, pour une valeur dépassant les 3 milliards de dollars.
Mais Elon Musk veut plus : il attend que l’ensemble de l’appareil d’État se mette à sa disposition. À commencer par le Pentagone et la Nasa qui lui ont déjà accordé pour 15 milliards de dollars de contrats sur le long terme.
Pour la Nasa, l’affaire est déjà presque pliée : ses avancées spatiales spectaculaires d’un côté, les déboires de son concurrent Boeing de l’autre, lui ouvrent toutes les portes. D’autant que Boeing envisage de se séparer de toute son activité spatiale.
À terme, Musk ambitionne d’aller plus loin et d’imposer son réseau satellitaire Starlink comme le réseau états-unien, réduisant à la portion congrue, voire faisant disparaître tous les systèmes publics utilisés notamment par la Défense, pour ne s’en remettre qu’au seul pouvoir du privé. En l’occurrence le sien.
Certaines de ses sociétés, en particulier Tesla, ont été moins chanceuses que les autres. Le constructeur automobile de voitures électriques, leader sur le marché américain, n’a reçu que 350 000 dollars l’an dernier. Certaines comme Neuralink, qui projette d’implanter des puces dans les cerveaux humains – pour soigner les cas de tétraplégie, à ce stade –, se sont vu mettre des bâtons dans les roues par les agences de recherche et sanitaires, qui ont demandé un encadrement précis des développements de l’entreprise.
En finir avec toute réglementation, tout contrôle
C’est tout ce pouvoir réglementaire et de contrôle que le milliardaire prône de faire sauter. Dans sa ligne de mire, se trouvent notamment la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme boursier, les autorités antitrusts et le Département de la justice (DOJ) qui mène les enquêtes financières et lutte contre la criminalité en col blanc.
Elon Musk a à son endroit une vingtaine d’enquêtes et de poursuites judiciaires en cours. Il a été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par le gendarme boursier pour ses messages sur X au sujet des performances – alors erronées – de Tesla qui ont contribué à faire monter le cours du constructeur automobile, dont il est le premier actionnaire.
Il a également été convoqué par la justice, à la demande de la SEC, pour s’expliquer sur son rachat de Twitter, la SEC suspectant une enfreinte à la réglementation boursière. Jusqu’à présent, il a refusé de répondre à la convocation.
L’annonce du retour de Trump est saluée par une envolée des places boursières occidentales. À 16 h 30, heure française, le Dow Jones gagnait 3,18 % et le Nasdaq 2,43 %.
Mais au-delà de ses intérêts personnels, Elon Musk a bien l’intention de mener une lutte contre toutes les autorités boursières et de régulation financière par conviction : comme nombre de ses homologues milliardaires, il entend défendre auprès de Donald Trump, convaincu par avance, la mise en pièces de tout dispositif entravant le pouvoir financier.
Le Dodd-Frank Act instauré après la crise financière de 2008 pour tenter de contrôler – bien faiblement – les banques ? à démanteler le plus vite possible car il brime le monde financier et obère sa rentabilité. L’encadrement et le contrôle des cryptoactifs ? à supprimer au plus vite car il bride le développement naturel de ce secteur et ses technologies dont l’objectif final ne peut être que salué et encouragé : faire que la monnaie, toutes les monnaies, échappent au contrôle des États pour évoluer dans le monde libre et sans frontières du capitalisme privé.
Elon Musk se sait attendu sur ces sujets. L’annonce du retour de Trump est saluée par une envolée des places boursières occidentales. À 16 h 30, heure française, le Dow Jones gagnait 3,18 % et le Nasdaq 2,43 %. Et dans la nuit, le bitcoin a brisé un nouveau record à plus de 75 000 dollars, en hausse de plus de 9 %.
Ambitions politiques
Penser qu’Elon Musk va se contenter d’exercer son influence et sa vision pour défendre ses seuls intérêts financiers et d’affaires, et ceux de sa caste, est sans doute une erreur. Cela fait longtemps qu’Elon Musk lorgne sur le champ politique. Il a pu mesurer sa puissance d’influence grâce à X, qui lui a permis d’y faire ses premiers pas, y compris à l’international.
Il n’a ainsi pas hésité à intervenir directement dans le conflit ukrainien, suspendant l’accès de son réseau satellitaire Starlink aux forces ukrainiennes, puis proposant un plan de cessez-le-feu très proche de celui de Vladimir Poutine, qu’il a rencontré à plusieurs reprises, comme l’a révélé le Wall Street Journal.
À l’été 2024, il s’est permis de commenter les émeutes xénophobes survenues en Grande-Bretagne après le meurtre de trois fillettes par un commentaire définitif et pousse-au-crime : « La guerre civile est inévitable. » S’attirant les foudres du gouvernement britannique de Keir Starmer.
Mais la victoire de Donald Trump semble lui ouvrir de nouveaux horizons. Même s’il ne peut être candidat à une élection – il est né à Pretoria, en Afrique du Sud –, sauf si la loi américaine change, il a de plus en plus de difficulté à cacher ses ambitions politiques.
La victoire de Donald Trump à peine connue, le milliardaire s’est empressé de dresser un programme pour la suite. Il a annoncé que son organisation politique, America PAC, allait encore « peser lourdement » à l’avenir : « America PAC continue après cette élection – et se prépare pour les élections à mi-mandat [midterm – ndlr] et toutes les élections intermédiaires, ainsi que pour les élections des procureurs locaux et à toutes sortes de niveaux judiciaires. »
Car le milliardaire a des idées très arrêtées sur la façon dont il convient de conduire le pays et le monde. Enragé de toutes les technologies, il développe une vision d’ordre et de contrôle de tous les instants sur tous les individus.
Sa dernière obsession est l’effondrement démographique du monde – sous-entendu de l’Occident et de l’homme blanc, même s’il ne le dit jamais ouvertement. « Avoir des enfants devrait être considéré comme une urgence nationale », s’est-il répandu sur X. Il milite ouvertement pour les grandes familles et la fin du travail des femmes, se retrouvant en complète adhésion avec les mouvements évangélistes et anti-avortements.
Lui-même est prêt à payer de sa personne. Adepte de la procréation artificielle, il a conçu de cette manière la plupart de ses onze enfants. « Il a souvent proposé son propre sperme à ses amies et à ses connaissances », rapporte une enquête du New York Times. Il a aussi fait cette proposition à une candidate à la présidentielle – qui a décliné l’offre – comme à plusieurs salariées de ses entreprises, considérées à « haut potentiel ». Un eugénisme qui ne dit pas son nom.
À l’ère du techno-féodalisme
Face aux déclarations tonitruantes d’Elon Musk, la Silicon Valley a opposé le silence. La décision de Jeff Bezos, propriétaire d’Amazon, mais aussi du Washington Post, de refuser que le quotidien prenne position avant l’élection présidentielle est le reflet de l’attitude de tout le secteur.
D’ordinaire très présent dans le débat public, Mark Zuckenberg, le fondateur de Facebook – devenu Meta –, a été aux abonnés absents pendant toute la campagne. Son réseau a accepté le retour de Donald Trump, banni depuis le 7 janvier 2021, et a même accueilli des publicités diffusant de fausses informations sur Kamala Harris.
Bill Gates, devenu philanthrope après avoir quitté Microsoft, s’est refusé à toute déclaration publique pendant la campagne, même s’il a déclaré en privé « redouter un deuxième mandat de Donald Trump ». Google ou Apple, les autres géants du numérique, ont opposé le même silence embarrassé.
En quelques années, le secteur du numérique et de la high-tech a basculé. Il ne cherche plus à s’afficher comme un secteur créatif, tolérant, ouvert à tout.
La retenue des géants du numérique ne s’explique pas seulement par la position d’Elon Musk. Devenu l’homme le plus riche du monde, il domine certes la sphère technologique, entraînant à sa suite plus de 50 milliardaires dans la campagne. Mais le revirement du patron de SpaceX – adversaire de Donald Trump en 2016, soutien inconditionnel en 2024 – traduit aussi celui de la Silicon Valley.
En quelques années, le secteur du numérique et de la high-tech a basculé. Il n’est plus – ou plutôt ne cherche plus – à s’afficher comme un secteur créatif, tolérant, ouvert à tout. Les succès additionnés les uns après les autres, les dizaines de milliards de profits engrangés chaque année, les capitaux qui se déversent sans discontinuer de Wall Street et d’ailleurs pour profiter de leur expansion et surtout les avancées technologiques en particulier dans le développement de l’intelligence artificielle, ont fait tomber toutes les barrières. Cette puissance mondiale qu’ils cherchaient à minimiser voire à cacher, désormais ils la revendiquent et entendent en disposer sans limites.
La bataille qui s’est livrée l’an dernier autour du contrôle et des développements d’OpenAI, fondatrice de ChatGPT, illustre cette mutation. Après avoir réussi à se maintenir au pouvoir, son fondateur Sam Altman a exclu tous les contestataires puis organisé son pouvoir absolu. OpenAI qui était jusqu’alors une société à but non lucratif est en voie de transformation pour devenir une société comme les autres. Elle se promet de développer toutes les potentialités de l’intelligence artificielle, sans aucune restriction, malgré les mises en garde de nombre de chercheurs et scientifiques.
Comprenant que ces géants étaient en train d’acquérir un pouvoir gigantesque susceptible de contester son pouvoir et ses prérogatives, l’État fédéral, après des années de laisser-faire, s’est brusquement réveillé. Les lois antitrusts ont été réactivées. Google en a été la première cible, menacé de démantèlement par les autorités judiciaires et de la concurrence.
La menace aurait pu être mise à exécution en cas de victoire de Kamala Harris. Elle risque d’être vite enterrée par Donald Trump, surtout sous l’influence d’Elon Musk. Et c’est cela aussi qu’annonce l’ascension du milliardaire qui murmure à l’oreille du futur résident de la Maison-Blanche : la mainmise des géants du numérique sur le pouvoir politique. Facilitant l’émergence d’un techno-féodalisme mondialisé.