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«En Ile-de-France, 90% des hirondelles ont disparu depuis vingt ans»

Libération (site web)
Environnement, samedi 18 novembre 2023 918 mots

«En Ile-de-France, 90% des hirondelles ont disparu depuis vingt ans»

Julie Renson Miquel

 

Une enquête dénombrant les espèces d'oiseaux dans la région entre 2001 et 2021 met en évidence un effondrement. Pour le chercheur Grégoire Loïs, c'est le miroir grossissant d'un déclin dû à l'urbanisation ou à l'agriculture intensive.

 

Et si le chant des oiseaux disparaissait des campagnes franciliennes ? Jeudi 16 novembre, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) d'Ile-de-France et le Muséum national d'histoire naturelle ont rendu publics les résultats franciliens d'une enquête nationale dénombrant les espèces d'oiseaux de la région pour la période 2001-2021 et réalisée grâce à un réseau d'observateurs bénévoles. «Nous prenons la tension, la température ou l'analyse sanguine d'un méta organisme que serait la biodiversité. Et on constate qu'il n'est clairement pas en bonne santé», explique le naturaliste Grégoire Loïs, chargé de mission au Muséum, à l'Office français de la biodiversité et à l'Agence régionale de la biodiversité d'Ile-de-France. En vingt ans, 90% des hirondelles ont par exemple disparu d'Ile-de-France, et 86% des serins cinis ou 65% des faucons crécerelles. Pour l'ornithologue, la région est un miroir grossissant du déclin du vivant en France à cause de l'urbanisation, de l'agriculture intensive ou de la surfréquentation des massifs forestiers.

 

Comment se portent les oiseaux d'Ile-de-France ?

Comme chaque année désormais, c'est de pire en pire. En Ile-de-France, le déclin des espèces d'oiseaux est encore plus intense que dans le reste de la France. Au point que certaines espèces comme la Caille des blés ou le Bruant proyer ont quasiment disparu : leur nombre est si petit qu'on ne peut plus estimer les variations de leurs effectifs. C'est comme si l'on faisait des statistiques à partir des chariots à la sortie d'un supermarché : certains produits sont tellement rarement achetés qu'ils ne figureraient même plus dans l'étude.

 

Quelles espèces sont les plus touchées ?

Les espèces des milieux agricoles très ouverts comme les Alouettes des champs ou la Linotte mélodieuse. Elles ne trouvent plus les ressources nécessaires dans ces habitats marqués par l'effondrement des insectes. D'autres ont déjà disparu comme le Tarier des prés ou le Pipit farlouse. On estime également que 90% des hirondelles ont disparu depuis 2001. Le chiffre monte à 95% pour les Tourterelles des bois. C'est la catastrophe. J'ai 54 ans et quand j'avais une vingtaine d'années, le chant des tourterelles était dans les campagnes d'Ile-de-France. Aujourd'hui, leur joli roucoulement a complètement disparu.

 

Certaines espèces sont-elles épargnées ?

Oui, quelques-unes progressent même, à l'image de la Corneille noire ou du Pigeon ramier. Ces dernières sont dites «opportunistes», très plastiques, avec une grosse faculté d'adaptation. Elles bénéficient de la chute de compétition liée au déclin des autres espèces, se faufilent dans des niches écologiques vides. Toutefois le cortège d'espèces qui déclinent est de très loin supérieur à celui de celles en croissance. Nous sommes loin de l'équilibre : sur les 38 espèces étudiées, seules 5 augmentent, et 18 diminuent. La tendance globale est au déclin.

 

Comment l'expliquez-vous ?

L'Ile-de-France concentre 20% de la population française sur 2% du territoire français. Dans ce territoire très dense, la population et les marchandises circulent beaucoup. De plus, ce bassin limoneux est marqué par une agriculture très rentable depuis toujours, et extrêmement productiviste aujourd'hui. Résultat : les terres agricoles sont de moins en moins hospitalières pour les oiseaux. Sans oublier l'étalement des villes et la surfréquentation des forêts (Fontainebleau, Rambouillet, Saint-Germain, Notre-Dame), néanmoins très précieuses pour la qualité de vie des Franciliens. Le tout, dans un contexte où la ressource alimentaire fondamentale de toutes ces espèces - les insectes - s'effondre. Cette chute a aussi une incidence sur les oiseaux granivores qui nourrissent leurs poussins d'insectes au nid.

 

A quel point faut-il s'inquiéter du déclin des oiseaux ?

Autrefois, lorsque les mineurs de charbon descendaient au fond, ils emportaient avec eux un serin, un canari très sensible aux variations de gaz carbonique. Si l'oiseau cessait de chanter, s'allongeait en bas de sa cage voire mourait, cela indiquait une forte concentration de ces gaz toxiques et les incitait à remonter à la surface au plus vite. On peut facilement faire le parallèle avec la situation actuelle. Les oiseaux vivent dans le même environnement que nous : si celui-ci devient moins vivable pour eux, il le devient également pour nous. Le fait que plusieurs organismes vivants de différents groupes (oiseaux, insectes, chauves-souris) déclinent est un puissant signal d'alarme. Et puis, l'urbanisation, l'artificialisation des sols et l'intensification de l'agriculture ne baissant pas, la situation de l'Ile-de-France préfigure celle du reste de la France dans dix, vingt ou trente ans.

 

Que préconisez-vous pour briser cette spirale infernale ?

La situation ne se limite pas à l'Hexagone, le constat est européen comme l'a montré l'écologue Vincent Devictor dans une vaste étude scientifique parue en mai. Ce dernier est limpide : l'agriculture est le principal facteur de déclin des oiseaux, devant le réchauffement climatique. Il faut donc agir en priorité de ce côté-là. Visiblement, le «verdissement» de la PAC [politique agricole commune dans l'Union européenne, ndlr] n'a pas été efficace et demande encore être amélioré. Ce sujet doit devenir une priorité politique. Malheureusement, la décision prise jeudi par les États membres et la Commission de réautoriser le glyphosate pendant dix ans prouve que ce n'est pas du tout dans l'agenda politique. Nous, les naturalistes, sommes assez abattus par la situation. Mais nos travaux sont désormais cités à l'Assemblée nationale et si plusieurs ONG les ont récemment utilisés pour porter plainte contre l’État pour non-action. Si les gouvernements ne s'emparent pas suffisamment de cette problématique, on est contents de voir que la société civile, elle, va de l'avant.