ENQUÊTE - Les enquêteurs de la police ont effectué un travail colossal, tout
au long du mois de juillet, pour retrouver 314 délinquants qui avaient échap-
pé aux arrestations pendant les nuits de violence.
Tandis que la France chavirait soudain dans le chaos lors d’émeutes consécu-
tives à la mort de Nahel, tué le 27 juin dernier après un refus d’obtempérer à
Nanterre (Hauts-de-Seine), les forces de l’ordre ont dû encaisser un double
choc. D’abord celui, filmé heure par heure, d’un tsunami de violences qui
s’est soldé par un bilan de 3800 interpellations, commises en temps réel et en
flagrant délit, sur l’ensemble du territoire. Puis un second, beaucoup moins
connu, d’une traque judiciaire hors norme dont Le Figaro est en mesure de ré-
véler le détail. Selon un bilan qui s’arrête au 31 juillet dernier, pas moins de
314 émeutiers, casseurs et incendiaires supplémentaires ont été interpellés
par des services d’investigations de la sécurité publique et de la police judi-
ciaire. À elle seule, cette dernière s’est vu confier le soin de mener un peu
plus de 170 enquêtes particulièrement sensibles, portant sur les actes les plus
graves. «Dès les premiers jours, l’autorité judiciaire a ainsi saisi la PJ sur des évé-
nements emblématiques, qu’il s’agisse de destructions et d’incendies de mairies,
d’attaques de locaux de police ou de pillages importants, voire de menaces ou
d’agressions sur des élus, confie le contrôleur général Frédéric Laissy, chef du
service de la communication de la police nationale. Alors même que les dispo-
sitifs d’ordre public étaient encore maintenus à leur maximum, les premières in-
terpellations étaient effectuées à domicile, souvent avec le concours de la BRI ou
du Raid.»
Ainsi, dès le 5 juillet, la sûreté urbaine de Lille interpellait avec l’appui du
Raid une demi-douzaine de voyous impliqués dans l’attaque, menée lors de la
deuxième soirée des émeutes, de l’hôtel de police municipal abritant un
centre de supervision. Les assaillants ont notamment pu être confondus grâce
à leur ADN retrouvé sur des cocktails Molotov. Cinq d’entre eux ont été placés
en détention provisoire dans l’attente de leur jugement d’ici à la fin du mois,
tandis qu’un de leurs complices est activement recherché. Au même moment,
les policiers du Rhône ont appréhendé, au terme d’une enquête éclair, six des
délinquants à l’origine de l’incendie volontaire d’un immeuble d’habitation à
Saint-Fons, le 2 juillet dernier. Le feu avait été mis dans le local à poubelles
avant de se propager aux étages et de provoquer d’importants dégâts dans le
supermarché attenant. Là, les limiers de la sûreté ont obtenu des preuves par
l’image: l’exploitation de la vidéoprotection d’un commerce voisin a permis
d’identifier un premier suspect en raison d’une tenue caractéristique corres-
pondant à celle d’une personne contrôlée peu auparavant par la police muni-
cipale. Là encore, les incendiaires présumés ont été placés derrière les bar-
reaux en attendant d’être jugés, tandis que 62 personnes évacuées espèrent
toujours être relogées.
» LIRE AUSSI - Mort de Nahel: face à un tsunami de violences, les forces
de l’ordre serrent les rangs
À travers le pays et à la faveur des investigations, les unités spécialisées d’in-
1tervention ont investi à l’heure du laitier des dizaines de domiciles, alors que
le soufflé des violences destructrices n’était pas retombé. L’engagement hors
norme des policiers en civil et les opérations ciblées ont sans nul doute dou-
ché les ardeurs au cœur des quartiers, battant en brèche tout sentiment d’im-
punité et participant de facto à une stratégie globale de retour à l’ordre. «Si le
temps judiciaire est parfois considéré comme plus long, il faut bien constater que
la mobilisation des services d’enquête a joué un rôle à la fois dans la dissuasion
au moment des violences urbaines et dans la dissuasion à plus long terme, avec
des interpellations et des incarcérations décidées par les tribunaux qui ont pu
poursuivre sur la base d’investigations», assure-t-on à la Direction générale de
la police nationale. Sur le terrain, face à la déferlante, l’heure a été à l’union
sacrée. La PJ, fortement mise à contribution, a ainsi bénéficié de l’énorme in-
vestissement des petits groupes d’enquêtes dans les commissariats des villes
moyennes ayant elles aussi payé un lourd tribut en termes de dégâts. Ainsi, à
Niort (Deux-Sèvres), les policiers locaux ont multiplié les enquêtes de voisi-
nages et passé au crible des bandes vidéo avant de lancer un coup de filet.
Entre les 3 et 12 juillet, ils ont intercepté six membres d’une horde de jeunes
émeutiers qui avaient mis le centre-ville à sac, tendant des embuscades à la
police, pillant des commerces et brûlant des véhicules dans la nuit du 30 juin
au 1er juillet.
Jeunes «barbares»
À Mons-en-Barœul (Nord), ce sont les hommes en noir de la BRI (antigang)
qui sont allés chercher 11 jeunes «barbares» qui s’étaient introduits dans la
mairie le 29 juin à 0 h 30 avant de la livrer aux flammes, alors que trois agents
municipaux étaient pris au piège dans les locaux. Pour remonter la piste des
voyous, la PJ, comme à chaque fois, n’a pas lésiné sur les moyens. Chaque in-
dice a été exploité, ce qui a permis de trouver des traces de sang appartenant
à l’un des assaillants qui s’était blessé en brisant une vitre, de relever une em-
preinte sur un véhicule ayant échappé au feu ainsi que de l’ADN sur un engin
de mortier. Le suivi des réseaux sociaux, où les plus fanfarons avaient posté
des images de leurs «exploits», avait permis d’orienter les soupçons sur cer-
tains protagonistes. «Grâce à des constatations effectuées de manière très rigou-
reuse malgré la masse des indices relevés sur le terrain et à une forte mobilisation
des laboratoires pour obtenir des résultats rapides, l’apport de police technique et
scientifique a été décisif», souffle le contrôleur général Frédéric Laissy avant
d’insister: «Rien n’a été laissé au hasard.»
Avec méthode, les experts ont en effet passé au crible des pierres, des projec-
tiles divers, des armes de fortune retrouvées sur les champs de bataille, des
bouteilles utilisées pour les liquides incendiaires ou encore des traces de
sang. Même les briquets ou les étuis de mortiers abandonnés sur place ont été
soumis aux analyses. Selon nos informations, le Service national de police
scientifique, basé à Écully et qui dispose de cinq laboratoires, a été saisi de
317 dossiers, représentant près de 1800 scellés pour les affaires les plus im-
portantes et sensibles. La majeure partie de ces analyses ont abouti dans les
sections «biologiques» et «incendie-explosion». «À côté de ces exploitations
pour les affaires les plus sensibles, de très nombreuses saisines ont été assurées
sur la base de constatations des services locaux de police scientifique», précise-t-
on à la DGPN qui révèle un bilan de «1700 interventions sur le terrain, les-
quelles ont alimenté la cinquantaine de plateaux techniques de proximité mobili-
sés sur plusieurs milliers d’objets».
» LIRE AUSSI - Reconstruction post-émeutes: le vertige des maires
Outre l’analyse des indices, des réseaux sociaux et l’examen des vidéos -
même si un millier de caméras ont été détruites lors des émeutes -, les enquê-
2teurs se sont appuyés sur la connaissance de la population locale par les poli-
ciers de quartier, ainsi que sur la géolocalisation. À ce titre, un téléphone por-
table dérobé dans l’habitacle d’un camion de pompiers volé à Vernon (Eure),
au premier soir des émeutes, a permis de retrouver la trace d’un délinquant
puis de ses quatre complices. Le profil des interpellés, qui devrait faire l’objet
d’une analyse plus poussée, laisse apparaître, comme l’a révélé Gérald Dar-
manin le 19 juillet devant la commission des lois de l’Assemblée nationale,
que la moyenne d’âge est entre 17 et 18 ans. Les plus jeunes sont âgés de 12
ans et les deux tiers n’avaient jusqu’ici pas de casier.
Anticiper
Au total, plusieurs dizaines d’émeutiers ont été placés en détention provi-
soire, sachant que de multiples contrôles judiciaires ou convocations par offi-
cier de police ont été délivrés. En perquisition, les policiers ont retrouvé le
butin de pillages (vêtements, cartouches de cigarettes, tickets de La Française
des jeux…) et, de manière incidente, de la drogue par kilos. Amorcée depuis
un mois, la longue traque est loin d’être achevée puisque les enquêteurs at-
tendent encore des rapports d’analyses et guettent le retour de fuyards partis
se réfugier à l’étranger, notamment au Maghreb. Alors que la Place Beauvau
sort les muscles, les états-majors diffusent le même mot d’ordre: «Chaque au-
teur de violences doit se retrouver confronté à ses responsabilités.» Dans un cour-
rier adressé le 2 août dernier au préfet de police de Paris ainsi qu’aux patrons
de la police et de la gendarmerie, le ministre de l’Intérieur a demandé de «mo-
biliser l’ensemble des moyens nécessaires au suivi des individus et groupes d’indi-
vidus ciblés comme ayant été à l’origine des actions violentes lors des émeutes».
«Ce point, insiste Gérald Darmanin, doit constituer l’une de vos priorités tout au
long de ces prochains mois.» Les services de renseignements sont invités à
«renforcer, dès à présent, leurs dispositifs d’anticipation de ce type d’événement».
L’idée est de prévenir tout débordement à l’approche de la Coupe du monde
de rugby et des JO de Paris, lorsque les regards de la planète entière seront ri-
vés sur la France. La moindre faute de carre se paiera cash.
par 55 Cornevin Christophe ccornevin@lefigaro.fr Cornevin, Christophe