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Défi 2 Avril Grellou

J’ai beau y entrer chaque jour, je ne cesserai jamais de m’émerveiller de ce lieu qui contient mille cachettes et aux millions d’univers qui n’attendent que de s’ouvrir à vous. 

On est d’abord surpris par les couleurs chatoyantes des DVD et des BD sur les étagères, lorsque vous y jetez un coup d'œil lointain l’on ne distingue pas en détail ces œuvres pourtant si différentes les unes des autres, mais ce joyeux mélange fait aussi le charme du lieu. Cela vous donne envie de porter longuement votre attention sur la moindre BD, afin d’en saisir le propos, l’intérêt et de vous étonner que l’ordre alphabétique ait choisi de classer une histoire  post-apocalyptique violente à côté de nos légers compères Astérix et Obélix. 

 

Tout dans cette bibliothèque est une invitation à l’errance. Prendre plaisir à y errer c’est succomber à la distorsion du temps et de la réalité. Une fois que votre attention s’est portée sur un appareil à raclette à emprunter ou encore des jumelles, c’est trop tard, vous vous posez déjà un millier de questions et vous ne savez déjà plus trop ce que vous veniez chercher initialement ; tant pis, vous finissez inévitablement par errer dans les rayons qui vous ont dévoré. L’étroitesse du lieu participe à son charme : vous vous sentez comme étreint·e par les étagères. Les livres vous appellent et vous n’avez aucunement envie de partir ! 

Au fil de votre errance vous découvrez des ouvrages dont vous ne soupçonniez même pas l’existence : il y a vraiment des personnes qui ont écrit ces ouvrages si spécifiques et d’autres qui s’y intéressent, tant de créations qui se trouvent réunies en ces lieux : La poétique des codes sur le réseau informatique, Histoire de la sexualité, Le sexe des mots, Histoire de la femme cannibale, Apologie de la polémique, Les recettes inratables… Ces murs abritent une cité improbable où se mêlent tous les savoirs et leurs acteurs que des querelles savantes animent pourtant ; une cité où chaque genre peut cohabiter avec un autre malgré le monde théorique qui les sépare. Cette cosmopolitanie ne s’inscrit pas que dans les bouquins : au détour d’un rayon vous voyez des individus qui œuvrent à finir un puzzle alors qu’ils ne se connaissent pas. Cette vision attendrissante vous donne envie vous aussi de mettre votre pierre à l’édifice. Vous avez encore perdu votre temps, mais c’était une aubaine que de suspendre votre attention. Vous respirez, enfin.

 

Finalement, vous décidez d’user du temps qui vous reste jusqu’à la fermeture de ce lieu magique afin de lire un livre que vous avez choisi au hasard, mis en avant sur l’étagère des acquisitions récentes. Ce n’est pas un livre qui vient de sortir mais une nouvelle édition d’un livre connu assez fabuleuse pour vous taper dans l'œil. Vous prenez confortablement place dans un des quelques poufs moelleux mis à disposition des usagers les plus lascifs. Votre corps tout entier s’enfonce dans la mollesse, si bien que vous semblez tomber sur un de ces nuages de cartoons de votre enfance. Votre tête s’enfonce jusqu’à ce que vous en oubliez votre corps, la seule chose qui vous relie à ce monde c’est la sensation de vos doigts sur le rugueux de la couverture du livre. Vous êtes transporté·e dans l’univers de votre livre, seuls quelques stimulis extérieurs vous ramènent à la réalité par moments : les faibles chuchotements alentour, l’odeur printanière des fleurs à proximité de la fenêtre qui viennent vous chatouiller les narines, l’ombre portée joueuse d’une monstera qui bouge au gré du vent en jouant au chat et à la souris avec le soleil. 

Mais visuellement, voilà déjà que les lignes du livre s’effacent, votre corps s’est projeté dans celui d’un·e aventurier·e qui porte un lourd scaphandre et dont la respiration est saccadée. Vous - ou votre personnage - supportez la pression de l’océan et pourtant cela ne semble pas être un fardeau. Devant vous se dévoile un paysage aquatique presque lunaire tant il est inconnu. Tout est si sombre, pourtant vous n’avez pas peur. Votre lampe frontale vient caresser la vie sous-marine et vous offre ainsi un spectacle des plus beaux. Une étrange tortue aux couleurs imperceptibles passe près de vous tandis que vous discernez un banc de poisson agité au loin. Cette pieuvre au fond de l’eau a l’air d’avoir attrapé une proie et se dévoile de son camouflage. Des anémones fluorescentes abritent des poissons clowns rieurs. Les agrégats de coraux et algues vous font penser à une forêt sous-marine agitée, elle semble abriter une vie prolifique que vous n’avez pas envie de déranger. Alors que vous appréciez la vue de ce paysage poétique dans le silence cosmique de l’océan, l’eau semble se troubler, le sable au fond de l’océan se remue et les poissons s’agitent. Vous ressentez un changement qui n’est pas anodin, l’eau elle-même semble trembler. Soudain vous entendez un son indiscernable, déformé, qui vient rompre ce silence, vous l’associez immédiatement au danger. Deux lumières semblables à des feux follets semblent briller au loin et elles s’approchent à toute vitesse de vous, les poissons clowns se sont cachés au sein de l’anémone et vous aimeriez faire de même - et soudain : « Excusez-moi de vous déranger…C’est juste pour vous signaler que la bibliothèque ferme dans deux minutes. ». 

Vous soupirez, soulagé·e de ne pas avoir à affronter le monstre qui s’approchait dangereusement de vous. Puis vous vous souvenez un peu gêné·e que vous n’êtes pas Vingt mille lieues sous les mers mais que vous êtes bel et bien dans le monde réel, dans cette petite bibliothèque dont l’atmosphère presque magique a su vous transporter aussi loin.