JustPaste.it

Au Portugal, l’addition de mouvements sociaux fragilise le gouvernement socialiste

Enseignants, cheminots, soignants protestent contre les bas salaires et le coût de la vie, en particulier l’augmentation du prix des logements. Le premier ministre, Antonio Costa, pourtant doté d’une majorité absolue de députés élus il y a moins d’un an, est en difficulté dans l’opinion.

Par Sandrine Morel(Madrid, correspondante)

 

Des employés d’écoles publiques manifestent pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail, à Lisbonne, le 14 janvier 2023.

 Des employés d’écoles publiques manifestent pour obtenir de meilleurs salaires et conditions de travail, à Lisbonne, le 14 janvier 2023. PEDRO NUNES / REUTERS

Il y a à peine plus d’un an, la large victoire du Parti socialiste (PS) aux élections législatives portugaises le dotait d’une confortable majorité absolue au Parlement. Mais la lune de miel avec les électeurs semble avoir fait long feu. Depuis plusieurs mois, le gouvernement d’Antonio Costa est confronté à de multiples mouvements sociaux et à une rapide détérioration de sa popularité. Samedi 25 février, des milliers de Portugais devraient à nouveau descendre dans la rue sous une bannière commune, celle d’une nouvelle plate-forme intitulée Vie juste, appelant les Portugais à manifester contre l’inflation dans ce pays aux salaires bas et aux logements devenus hors de prix.


Selon un sondage de l’Université catholique pour les médias Publico, RTP et Antena 1, paru jeudi 23 février, 53 % des Portugais jugent la gestion du gouvernement « mauvaise » ou « très mauvaise », soit quinze points de plus qu’il y a huit mois, face aux 39 % qui la considèrent « raisonnable » et à peine 7 % « bonne ». Le PS chute aussi de six points dans les intentions de vote par rapport à juillet, à 32 %, talonné par le Parti social-démocrate (PSD, centre droit), à 31 %.

 

Symboles de la grogne sociale qui a gagné le pays, les enseignants manifestent régulièrement et massivement dans les rues de Lisbonne depuis plus de deux mois pour réclamer des hausses de salaire et de meilleures conditions de travail. Ils demandent le rattrapage de salaires gelés à la suite de la crise financière de 2008. Ils dénoncent aussi la précarité des milliers de contractuels, affectés à chaque rentrée scolaire à des dizaines, voire des centaines de kilomètres de chez eux. Leur salaire de 1 200 euros, qui ne tient compte ni de l’ancienneté ni des frais de déplacement et de logement qui en découlent, leur permet à peine de boucler le mois.

« Orthodoxie budgétaire »

« Le manque d’enseignants est de plus en plus criant et les mesures du gouvernement pour répondre aux besoins, en particulier dans les régions du sud de Lisbonne, où les loyers sont hors de prix, ne font qu’aggraver les conditions de travail des enseignants », assure Sandra Dias, porte-parole du nouveau Syndicat de tous les professionnels d’éducation. Pour cette professeure d’espagnol de 44 ans qui enseigne à Setubal, au sud de Lisbonne, et qui fut contractuelle pendant plus de dix-huit ans avant d’être titularisée, le gouvernement pèche par « arrogance », du fait de sa majorité absolue, et par « manque de volonté politique pour investir dans le secteur public, alors qu’il a distribué des millions d’euros à la compagnie aérienne TAP ou aux banques », menacées de faillite. Une opinion récurrente dans les cortèges de manifestants.

Ces dernières semaines, les enseignants ont été rejoints par les cheminots, qui étaient en grève jusqu’au 21 février, et par les soignants, qui en ont annoncé une les 6 et 7 mars, pour dénoncer la surcharge de travail et les bas salaires qui poussent de nombreux professionnels de la santé à partir exercer à l’étranger.

 

Malgré la montée de la colère, le ministre des finances, Fernando Medina, a refusé le rattrapage des années de gel de salaires et d’évolution de carrière au motif que « l’équilibre des comptes publics » reste une priorité et que les revendications des enseignants ne manqueraient pas d’être suivies par celles d’autres fonctionnaires. « Le gouvernement est très respectueux de l’orthodoxie budgétaire et des règles de la gouvernance européenne, au point qu’il semble à présent qu’il y a deux pays, celui de la macroéconomie, aux résultats remarquables, et celui de la vie des gens, confronté à un véritable problème de répartition des richesses, avec des profits qui augmentent beaucoup plus vite que les salaires, résume José Reis, professeur d’économie à l’université de Coimbra. Les gens attendent d’un gouvernement socialiste qu’il sache combiner les questions budgétaires et les besoins de justice sociale. »

Fin des « visas dorés »

Sur le papier, la reprise économique du pays est en effet enviable. La croissance a bondi de 6,7 % en 2022 et le taux de chômage se situe sous la barre des 7 %, tandis que la dette publique a baissé de plus de dix points, pour se situer à 115 % du PIB, avec un déficit public qui avoisine à peine 1 % du PIB. Dans la rue, les difficultés des Portugais, aggravées par l’inflation (9,6 % fin 2022) sont criantes. Près du quart de la population touche le salaire minimum qui, même revalorisé de 7,8 % en début d’année, est de 866 euros mensuels. Les vols dans les supermarchés ont bondi, au point que certains magasins ont mis les boîtes de thon sous antivol. Et les loyers, dopés par le succès du tourisme et l’engouement des retraités d’Europe du Nord pour y installer leur résidence secondaire, ont explosé.

Face à cette situation, et sans doute conscient de la nécessité de donner des gages aux électeurs progressistes qui l’ont porté au pouvoir, M. Costa semble avoir décidé de réagir. Le 17 février, il a annoncé un plan visant à freiner les hausses de prix de l’immobilier. Il devrait ainsi mettre fin aux « visas dorés », ces titres de séjour offerts aux étrangers qui investissent plus de 500 000 euros dans un bien immobilier, mais aussi interdire les nouvelles autorisations de logements touristiques dans les grandes villes, considérés comme un facteur de spéculation. Il entend aussi obliger les propriétaires des quelque 700 000 logements vides recensés à les louer à l’Etat pour que ce dernier les mette ensuite sur le marché locatif à un prix raisonnable pour une durée de cinq ans. Ces mesures, jugées encore trop timides par la gauche, lui ont valu d’être taxé de « communiste », voire de « bolchevique », par l’opposition de droite, qui y voit une attaque à la propriété privée. Ce plan devrait être présenté au Parlement en mars.

L’économie n’est pas le seul nuage qui pèse sur le gouvernement de M. Costa. De nombreux scandales ont touché plusieurs ministres et secrétaires d’Etat, provoquant une dizaine de démissions au sein de l’exécutif ces derniers mois. Cas de pantouflage et conflits d’intérêts, conjoint accusé de corruption et autres casseroles ont porté un coup à la crédibilité du gouvernement. Début janvier, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, a donné un an à Antonio Costa pour stabiliser son gouvernement, sous peine de dissoudre l’Assemblée et de convoquer des élections anticipées.

 

 

Les vols de nourriture dans les supermarchés en hausse au Portugal : « Des retraités, des étudiants ou des parents en sont réduits à cela »

Les ménages les moins aisés, mais aussi la classe moyenne, sont particulièrement affectés par l’inflation, alors que la pauvreté a nettement augmenté depuis la pandémie de Covid-19.

Par Marie Charrel

Publié le 03 novembre 2022

Des boîtes de thon sont équipées d’antivols pour faire face à la recrudescence des vols, dans une grande surface portugaise.

Des boîtes de thon sont équipées d’antivols pour faire face à la recrudescence des vols, dans une grande surface portugaise. DOCUMENT EXPRESSO

Ces images ont quelque chose de terrifiant. Elles en disent long sur la crise sociale engendrée par l’inflation au Portugal : dans certains supermarchés de Lisbonne ou de Porto, des boîtes de thon à 1,79 euro sont désormais vendues enserrées dans des coffrets plastiques antivol.

Et pour cause : depuis septembre, les vols de nourriture de base – thon, mais aussi pain, café, riz – décollent dans les supermarchés, en particulier dans les villes, se désole Gonçalo Lobo Xavier, le président l’Association portugaise des entreprises de distribution (APED), dans l’hebdomadaire Expresso du 21 octobre, citant également les témoignages d’agents de sécurité.

 

Si l’APED ne donne pas de chiffre précis, c’est que les agents de sécurité, justement, déclarent peu ces vols à la police. « Des retraités, des étudiants ou des parents qui ne parviennent plus à nourrir correctement leurs enfants, même avec deux salaires, en sont réduits à cela face à la flambée des prix, s’alarme le réseau européen de lutte contre la pauvreté (EAPN). Lorsqu’ils sont désespérés, les gens commettent des actes désespérés. » En septembre, l’inflation a bondi de 9,8 % – un niveau proche de la moyenne de la zone euro, à 9,9 % –, dont 17 % pour les produits alimentaires (conte 14,1 % en zone euro) et 21,7 % pour la viande (13,8 %).


Moins de 554 euros par mois

Surtout : ces hausses interviennent alors que le pays est sorti particulièrement affaibli de la pandémie de Covid-19. D’après les données publiées par Eurostat en septembre, le Portugal est l’Etat membre où le taux pauvreté a le plus progressé en 2021 : il est passé de 16,2 % à 18,4 % en un an, alors qu’il est resté stable, autour de 16,7 %, dans l’Union européenne.

En 2021, le produit intérieur brut par habitant était l’équivalent de 74 % de celui de la moyenne européenne. C’est moins qu’en 2019, avant la pandémie, où il était monté à 79 %. Aujourd’hui, près de 2 millions de personnes (sur une population totale de 10,3 millions d’habitants) vivent avec moins de 554 euros par mois.


« De nouvelles familles de la classe moyenne, que nous ne voyions pas auparavant, viennent demander de l’aide alimentaire, et une partie de celles qui pouvaient donner autrefois n’en ont plus les moyens », explique également Rita Valadas, présidente de Caritas Portugal, une ONG catholique aidant les plus démunis. De son côté, l’EAPN appelle le gouvernement à prendre de nouvelles mesures pour soutenir les ménages face à l’inflation.

 

Depuis cet été, une flambée des vols en rayon a également été observée au Danemark, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Espagne, pour les mêmes raisons. Certains supermarchés choisissent de fermer une partie des caisses automatiques pour limiter le phénomène. Outre-Manche, les chaînes Aldi, Tesco et Asda ont également posé des antivols sur certains produits de première nécessité.