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Mariam Abou Daqqa

Mariam Abou Daqqa : « Le gouvernement m’assimile à une terroriste parce que je dénonce les bombes israéliennes »

 

Assignée à résidence, la militante palestinienne et son ami Pierre Stambul, de l’Union juive française pour la paix, dénoncent la décision du ministère de l’intérieur.

Rachida El Azzouzi

18 octobre 2023 à 19h01

 

 

 

 

PierrePierre Stambul se souvient précisément du jour où il a rencontré Mariam Abou Daqqa à Gaza. C’était il y a sept ans. « Elle s’est présentée devant moi ainsi : “Je suis une femme palestinienne qui se bat contre l’occupation de mon pays et contre le patriarcat de ma propre société.” »

Voir cette figure militante et intellectuelle palestinienne, dépeinte selon lui comme une « dangereuse terroriste » par le gouvernement français, « choque profondément » le porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP), dont les parents ont débarqué apatrides à Marseille en 1938, d’un pays qui n’existe plus, la Bessarabie, entre la Moldavie et l’Ukraine. 

Pour ce fils de l’un des rares survivants du groupe Manouchian, qui fut déporté à Buchenwald, et qui rappelle d’emblée être également le petit-fils de deux rescapées du pogrom de Kichinev en Bessarabie en 1903, ce qui arrive à Mariam Abou Daqqa, âgée de 72 ans et originaire de la bande de Gaza, est « une dérive inquiétante de l’État français »

Lundi 16 octobre, au matin, alors qu’elle sillonne la France pour une série de quinze conférences prévues de longue date autour du conflit israélo-palestinien et qu’elle se trouve alors à Marseille, la militante féministe qui préside l’association Palestinian Development Woman Studies, soutenue par l’ONG Oxfam et qui est membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), a été interpellée à la gare Saint-Charles et assignée à résidence dans son hôtel de la cité phocéenne sur décision du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. 

Raison invoquée dans l’arrêté : dans le contexte actuel, le cycle de conférences auxquelles elle participe en France « est susceptible de constituer un trouble à l’ordre public qu’il s’agit de prévenir ». Son expulsion n’est cependant pas applicable immédiatement car « il est nécessaire de prévoir l’organisation matérielle du départ » de Mariam Abou Daqqa, compte tenu notamment du « document de voyage » qu’elle détient actuellement, note le ministère des affaires étrangères dans son arrêté. Contacté par Mediapart, ce dernier n’a pas répondu à nos questions.

 

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Mariam Abou Daqqa, 72 ans, au commissariat de Noailles à Marseille le 16 octobre 2023. © Photo Christophe Simon / AFP

Mariam Abou Daqqa est ainsi assignée à résidence pour quarante-cinq jours, jusqu’à la fin novembre, avec obligation de « se maintenir dans les locaux où elle réside à Marseille de 22 heures à 7 heures du matin » et de pointer tous les jours à 12 h 30 dans un commissariat des Bouches-du-Rhône. Plusieurs conférences, auxquelles elle devait participer, ont été interdites ces derniers jours par les autorités françaises, notamment à l’université Lyon-II sur pression de la préfecture du Rhône et à Martigues sur décision de la mairie communiste. 

La présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet s’est quant à elle catégoriquement opposée à sa venue dans l’hémicycle où Mariam Abou Daqqa a été invitée par La France insoumise, le 9 novembre, à l’occasion de la projection du documentaire Yallah Gaza dont elle est l’une des protagonistes tout comme le porte-parole de l’UJPF, Pierre Stambul.

« Donner la parole à une personne membre d’une organisation terroriste à l’Assemblée nationale donnerait une tribune à la violence, à la haine et porterait une atteinte grave à nos principes démocratiques, plus encore eu égard à la situation actuelle au Proche-Orient », a justifié Yaël Braun-Pivet dans un communiqué.

Le FPLP, auquel appartient Mariam Abou Daqqa, est une organisation marxiste-léniniste palestinienne, membre de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Elle figure depuis des années sur la liste officielle des organisations terroristes dans l’Union européenne mais aussi aux États-Unis et dans plusieurs pays occidentaux. Fondé en 1967 après la guerre des Six Jours par Georges Habache, le FPLP, qui compte aussi une branche politique, prône la lutte armée contre Israël et, a contrario de son rival du Fatah, s’est opposé aux accords de paix d’Oslo en 1993. Ses militants sont régulièrement invités par la gauche radicale partout dans le monde.

Pierre Stambul, qui était en Égypte, le 7 octobre, lorsque le Hamas a lancé une offensive meurtrière sans précédent dans le sud d’Israël, véhicule désormais « son amie palestinienne » afin qu’elle pointe à 12 h 30 au commissariat de police. Lorsque Mediapart la contacte, les deux militants sont ensemble. Entretien croisé.

Mediapart : Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre expulsion ? 

Mariam Abou Daqqa : Je suis choquée, je suis en règle, j’ai un visa valable jusqu’au 24 novembre qui m’a été délivré par les services consulaires français à Jérusalem en août, je n’ai jamais connu une pareille situation. J’ai pourtant voyagé dans le monde entier en tant que militante de gauche pour parler de la Palestine, des droits bafoués des Palestiniens par l’occupation israélienne ainsi que des droits des femmes, une cause qui m’a toujours animée. 

Parmi les motifs invoqués par le gouvernement, votre appartenance au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) fiché comme étant terroriste. 

Mariam Abou Daqqa : Je ne souhaite pas m’étendre sur les arguments fallacieux du gouvernement français. Je rappellerai seulement que le FPLP fait partie de l’OLP, l’Organisation de libération de la Palestine reconnue internationalement, y compris par Israël. Nous avons toujours pensé comme le Fatah que seule l’unité nationale palestinienne peut contribuer à la victoire contre Israël.

Aujourd’hui, le gouvernement français m’assimile à une terroriste parce que je dénonce les bombes israéliennes qui tuent des civils, des femmes, des enfants, des vieillards, bombardent des maisons, des hôpitaux. Parce que je dénonce le siège de la bande de Gaza qui prive plus de 2 millions de personnes de denrées et de biens essentiels pour survivre, l’eau, la nourriture. Parce que je dénonce l’occupation israélienne. C’est cela la démocratie française ? Ce n’est pas tolérable. Nous avons lancé une action en justice pour faire valoir mes droits. 

Le vrai terrorisme est là, dans l’occupation de la Palestine.

Mariam Abu Daqqa

Pierre Stambul, êtes-vous surpris par cet arrêté d’expulsion ?

Pierre Stambul : Cet arrêté d’expulsion est totalement surréaliste. Tout est mélangé : la guerre, l’attentat d’Arras, le mouvement BDS, le militant Georges Ibrahim Abdallah [un Libanais condamné à la prison à perpétuité en France depuis 1984, pour complicité dans l’assassinat de diplomates israéliens et américains à Paris, libérable sous conditions depuis 1999, conformément à deux décisions judiciaires, comme l’a rappelé la Ligue des droits de l’homme (LDH) en juillet 2023 – ndlr]. On est passé dans une phase de criminalisation de toute la Palestine, d’assimilation de la Palestine au terrorisme de la part d’un gouvernement qui laisse les migrants se noyer en Méditerranée. 

Mariam me répète ce que disaient mes parents quand ils ont émigré en France : « Je croyais que la France était le pays de Victor Hugo et des libertés et je découvre que ce sont des alliés des sionistes, et qu’ils nous maltraitent. » Tout de même, la mairie communiste de Martigues a interdit qu’elle puisse parler ! 

Comme le FPLP, le Hamas, le mouvement islamiste palestinien à l’origine des massacres du 7 octobre 2023, est classé terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Cette organisation politique et armée contrôle la bande de Gaza depuis 2007 et est critiquée par une partie de la population pour son autoritarisme, sa corruption, son incapacité à améliorer le quotidien des Palestiniens. L’avez-vous éprouvé en tant que militante féministe ?

Mariam Abou Daqqa : Je n’ai pas envie de parler du Hamas aujourd’hui. Oui, nous avons des problèmes à l’intérieur de Gaza. On va les régler démocratiquement. J’ai confiance.

Aujourd’hui, ce qui compte, c’est que nous soyons unis tous ensemble contre la colonisation et contre l’armée israélienne. C’est ça l’urgence. Nous vivons comme des animaux et d’ailleurs, c’est ainsi qu’Israël nous désigne. Nous vivons un blocus destructeur depuis dix-sept ans ! Imaginez, dix-sept ans ! La plupart des habitants de Gaza sont des réfugiés. Le chômage culmine à plus de 60 %. 

Notre organisation lutte pour la libération de la Palestine. À 15 ans, j’ai été emprisonnée parce que je suis palestinienne, parce que je milite pour les droits de mon peuple, pour ma terre. Le vrai terrorisme est là, dans l’occupation de la Palestine.

Vous partagez ce point de vue, Pierre Stambul ?

Pierre Stambul : Mariam ne supporte pas, et moi non plus, qu’on dise que nous sommes face à une guerre d’Israël contre le Hamas. C’est une guerre d’Israël contre le peuple palestinien. Et ça, tous les médias qui refusent de le dire ou de le voir ont une responsabilité certaine. Un peu la même responsabilité que la France avait lorsqu’elle parlait des terroristes du FLN en Algérie. Je trouve ça d’ailleurs intéressant qu’une dirigeante du FPLP et un animateur d’une association juive anticolonialiste soient à peu près d’accord. 

Notre correspondant à Gaza a violemment critiqué le Hamas et ses méthodes le 7 octobre. Mais à la minute où les Israéliens ont bombardé Gaza, en représailles, il s’est rangé derrière son peuple. Il faut qu’on arrive à comprendre ça. Ce n’est pas le luxe d’un occupé de dire « On est en désaccord avec telle ou telle pratique ». 

Les premiers responsables de ce qui est en train de se passer, ce ne sont pas seulement les suprémacistes et les fascistes qui sont au pouvoir en Israël, c’est toute la communauté internationale.

Pierre Stambul

Je regrette que l’opprimé passe par de tels moyens, mais on n’inverse pas les rôles. Il y a un oppresseur, il y a un opprimé, il y a un occupant, il y a un occupé. La société israélienne ne sera pas en sécurité tant que les Palestiniens continueront d’être détruits et tant qu’il n’y aura aucun avenir pour la Palestine autre que celui qui est donné actuellement.

Durant la guerre d’Algérie, c’est la SFIO [Section française de l’Internationale ouvrière – ndlr] qui a fait tourner la gégène en Algérie et qui a envoyé l’armée de Massu ramener l’ordre. On a ces contradictions-là à l’intérieur de ce qu’on appelle parfois improprement la gauche. Il y a des moments où il faut choisir. Moi, je serai toujours du côté de Frantz Fanon et des porteurs de valises. 

En Israël, le mot « pogrom » revient beaucoup pour qualifier les attaques du Hamas. En Palestine, on évoque une « épuration ethnique », un « génocide » pour nommer les représailles de l’État hébreu. 

Pierre Stambul : Mes deux grands-mères ont été des survivantes du pogrom de Kichinev en Bessarabie en 1903. Le génocide, c’est mon histoire intime. Comment nommer ce qui se déroule à Gaza ? Cela me fait penser à un génocide, à la destruction méthodique d’un groupe humain. Des centaines de milliers de civils sont déplacés, plus d’un million d’habitants ont été sommés de quitter le nord de Gaza, ils sont bombardés en chemin, des tours d’habitation sont abattues, des centaines de maisons sont détruites.

 

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Des Palestiniens évacuent après une frappe aérienne israélienne sur la mosquée Al-Sousi à Gaza le 9 octobre 2023. © Photo Mahmud Hams / AFP

Notre correspondant qui habite le centre sud de la bande de Gaza accueille en ce moment plus de cent réfugiés dans sa maison. Des centaines de milliers d’autres vivent dehors sans eau, sans nourriture. Quel est le projet israélien ? Je vais vous le dire : se débarrasser des Palestiniens avec la complicité de la communauté internationale, en annexant la Cisjordanie et en organisant une nouvelle Nakba, en expulsant les Gazaouis dans le désert du Sinaï, auxquels les Nations unies donneront de l’argent pour qu’ils puissent planter des tentes et survivre.  

Les premiers responsables de ce qui est en train de se passer, ce ne sont pas seulement les suprémacistes et les fascistes qui sont au pouvoir en Israël, c’est toute la communauté internationale. Ce n’est pas seulement la France, l’Allemagne, l’Union européenne, la Grande-Bretagne, l’Otan, c’est tous ceux qui donnent à Nétanyahou le permis de tuer sans être jugé et en prétendant que c’est un État démocratique et que ce sont les autres qui sont les terroristes.

Mariam Abou Daqqa, vous êtes originaire du sud-est de Gaza. Parvenez-vous à maintenir le contact avec votre famille sur place ? 

Mariam Abou Daqqa : C’est très difficile. Ma famille vit l’enfer. J’ai déjà perdu plus de trente membres de ma famille. Ils sont morts sous les frappes israéliennes. La situation sur place est effroyable. Ma maison a été détruite par les bombardements. J’ai perdu le sommeil. Comment le trouver face à de telles atrocités ?