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Covid-19 : l’Académie de médecine penche pour un accident de laboratoire

L’autorité médicale de référence en France a brisé le tabou d’une origine liée à des manipulations par des virologues à Wuhan.

Par Jérémy André

Vue aerienne du laboratoire P4 sur le campus de l'Institut de virologie de Wuhan, dans la province centrale du Hubei en Chine, le 27 mai 2020.

Vue aérienne du laboratoire P4 sur le campus de l'Institut de virologie de Wuhan, dans la province centrale du Hubei en Chine, le 27 mai 2020. © Hector Retamal/AFP

Publié le 20/04/2023 à 17h04

 

Le Covid-19 est-il issu d'un accident de laboratoire ? En 2020, si la question avait été posée officiellement à l'Académie nationale de médecine, les débats auraient fait la une des journaux. Aujourd'hui, une séance dédiée organisée par les académiciens Christine Rouzioux et Patrick Berche peut passer presque totalement inaperçue, tant le public paraît déterminé à tourner la page. Alors même que certains intervenants ont discrètement plaidé en faveur de l'hypothèse d'une origine liée à la recherche, qui constituerait à l'évidence le plus grand scandale scientifique de tous les temps…

Annoncé sur le site Internet de l'académie au début du mois d'avril, le programme était pourtant très explicite : « De l'origine du Sars-CoV-2 à la virologie/biologie dangereuse. » Lier origine de la pandémie et recherche à risque a pourtant longtemps été un angle mort des institutions scientifiques françaises. Et simplement évoquer les dangers de nouveaux champs de la virologie est une première en France dans une grande autorité médicale ou scientifique.

Les présentations de deux intervenants, l'ancien directeur de l'Institut Pasteur de Lille Patrick Berche et son confrère de Pasteur, le virologue Simon Wain-Hobson, portaient précisément sur les « expériences de gain-de-fonction », un champ très disputé de la virologie, jusque-là peu débattu dans l'Hexagone.

Mutations

Depuis une dizaine d'années, des virologues modifient des virus au point de leur donner un potentiel pandémique en accroissant par exemple leur transmissibilité pour l'homme. Le but est d'obtenir un coup d'avance sur des mutations qui pourraient se produire dans la nature, afin de préparer traitements et vaccins.

Mais des spécialistes, en particulier Simon Wain-Hobson, ont averti, dès 2012, que ces expériences étaient dangereuses. En causant une pandémie accidentelle, l'échappement des mutants ainsi créés pourrait en effet annihiler tous les bénéfices potentiels de ces recherches, les incidents de sécurité dans les laboratoires n'étant pas rares.

À l'opposé du programme de l'académie, les conférences scientifiques sur le sujet restent en général très prudentes. Reflet d'une conviction défendue âprement par une partie des virologues, la plupart des institutions et colloques ne développent que les travaux et discussions sur la piste d'une origine naturelle, et font l'impasse sur les éléments circonstanciels rendant plausible un accident de laboratoire.

« Théorie du complot »

Avant de s'atteler à ces questions de haut vol, la séance du 18 avril 2023 a commencé sur les affaires courantes, les annonces des décès de membres de l'académie et un rapport très technique sur les déserts médicaux et la pénurie de médecins généralistes. Puis sans transition, saut dans une autre dimension : la dispute géopolitique et scientifique autour du virus de Wuhan, digne d'un scénario de science-fiction.

La spécialiste du virus du sida Christine Rouzioux, co-organisatrice, a ouvert brièvement les communications : « Le débat sur l'origine de cette épidémie est vraiment important à soulever, a-t-elle reconnu. La première hypothèse est celle d'un virus modifié en laboratoire. » Une présentation qui contraste nettement avec la manière dont le débat s'est structuré en 2020, médias, revues et autorités scientifiques excluant cette piste comme une « théorie du complot ».

Christine Rouzioux mentionne l'hypothèse naturelle seulement dans un second temps en notant l'actualité de la « question du rôle des chiens viverrins », et citant les travaux d'une chercheuse française, Florence Débarre, qui a révélé, en mars dernier, que des séquences génétiques longtemps non publiées par la Chine confirmaient la présence, sur le marché de Wuhan, de ces mammifères susceptibles de porter des virus apparentés au Sars-CoV-2, le virus qui cause le Covid-19. « Les deux hypothèses n'ont pas le même niveau d'argument », résume l'académicienne, sans donner de préférence.

Une découverte au Laos

Plutôt que ces débats sur un potentiel passage de l'animal à l'homme sur le marché de Wuhan, la séance a abordé la piste de l'origine du virus dans la nature par l'autre bout, celui des chauves-souris qui sont les réservoirs naturels originels des virus apparentés au Sars-CoV-2. Le sujet était exposé, avec brio, par le virologue Marc Éloit, de l'Institut Pasteur, croqué dans un récent portrait du Monde comme un « pêcheur de virus » – par opposition à ses confrères, d'ordinaire plutôt comparés à des « chasseurs de virus ».

En 2021, son équipe a révélé avoir découvert, au Laos, le virus le plus proche du Sars-CoV-2. « On n'a pas pu travailler en Chine, note Marc Éloit en introduction. Donc, on a travaillé au sud de la Chine, au Laos. » Pékin a en effet banni sur son sol les recherches étrangères sur les virus apparentés au Sars-CoV-2 chez les chauves-souris.

À LIRE AUSSICovid : « La thèse du laboratoire de Wuhan n'est pas une théorie du complot » Les échantillonnages au Laos se sont révélés fructueux, permettant d'obtenir la séquence complète de cinq virus jusque-là inconnus et baptisés Banal. L'un d'eux, Banal-52, présentait 97 % d'identité avec le Sars-CoV-2, ce qui en a donc fait le plus proche parent connu à ce jour.

« On a la joie du pêcheur ou du chasseur », témoigne le découvreur, qui explique s'être alors « rué » sur une partie des séquences, le domaine de liaison au récepteur, une séquence clé qui permet au virus de se lier aux récepteurs de cellules des animaux qu'il infecte.

Or, plus encore que chez le Sars-CoV-2, ce domaine s'est révélé très adapté aux cellules humaines. Une qualité surprenante pour un virus de chauve-souris, mais qui démontre que cette partie du virus a pu évoluer totalement naturellement chez l'animal, contrairement à des spéculations initiales à l'apparition du Sars-CoV-2, qui voyaient dans son domaine de liaison au récepteur adapté à l'homme une supposée preuve de modification en laboratoire.

Le mystère du « site furine »

Cependant, cette partie des virus Banal a une différence majeure avec le Sars-CoV-2 : ils n'ont pas de « site de clivage à la furine », ou « site furine », une petite insertion totalement unique au Sars-CoV-2 dans sa famille de virus, les sarbecovirus (virus de la famille du Sars). Celle-ci rend le virus beaucoup plus transmissible chez l'homme.

Pour le comprendre, les travaux de Marc Éloit ont comparé les virus Banal sans site furine et le Sars-CoV-2 sur des modèles animaux. « Chez les macaques, Banal se comporte comme un virus entérite », a résumé Marc Éloit. Autrement dit, sans site furine, ce type de virus infecte d'abord le système digestif et pas les voies respiratoires. Alors qu'avec, le Sars-CoV-2 provoque les pneumonies et les toux qui le rendent si contagieux.

À LIRE AUSSIChine : au pays du mensonge et des dissimulationsMais comment le site furine est-il apparu ? Sur plus d'une centaine de virus de la famille du Sars découverts depuis vingt ans, aucun autre ne présente cette caractéristique unique au Sars-CoV-2. L'équipe de Marc Éloit a donc tenté de comprendre comment le « site furine » pouvait apparaître.

Leur expérience a consisté à effectuer des « passages en série » dans des souris de laboratoire dites « humanisées », c'est-à-dire modifiées génétiquement pour avoir des récepteurs cellulaires semblables à l'homme, fournissant donc un modèle pour un corps humain infecté. Ce type d'expériences, courantes en virologie, sert à évaluer comment un virus évoluerait et éventuellement s'adapterait au corps humain.

Forcer la nature

Les chercheurs de Pasteur ont effectué six passages, un « scénario du pire », considérant que les contacts avec ces virus de chauves-souris sont limités pour l'homme. Selon l'article de Pasteur, publié dans Nature en 2022, des études sérologiques sur les villageois les plus exposés autour de ces grottes ont en effet mis en évidence que seuls 4 % d'entre eux présentaient des anticorps indiquant qu'ils avaient été infectés par ces virus.

Pourquoi seulement six passages ? « On n'a pas voulu faire pire que la nature », a justifié Marc Éloit à l'académie. Intensifier plus encore l'expérience serait revenu à forcer la nature – et commencer à jouer les apprentis sorciers –, plutôt que chercher à la comprendre.

À LIRE AUSSISimon Wain-Hobson : « Un accident de labo serait le Tchernobyl de la biologie » Résultat : aucun site furine n'est apparu au cours de l'expérience. Suggérant que cette mutation clé n'est probablement pas née chez l'homme à la suite de contacts réguliers avec les chauves-souris, mais plutôt « soit chez la chauve-souris, soit chez un animal intermédiaire ».

Et Marc Éloit de conclure que son étude n'éclaire pas en revanche comment un virus dont les plus proches parents se concentrent au Laos et dans la province chinoise voisine du Yunnan soit ensuite apparu subitement à Wuhan, à plus de 1 000 kilomètres.

« Inexplicable »

Après lui, la communication de Patrick Berche s'est voulue beaucoup plus directement une présentation des arguments pour une origine liée à la recherche. En résumé, le virologue juge « inexplicable » qu'aucun indice convaincant d'une émergence naturelle n'ait été trouvé en trois ans.

Si le virus avait circulé à bas bruit avant d'être détecté à Wuhan, les hôpitaux chinois auraient dû enregistrer des cas de syndromes grippaux et pneumonies en amont et des enquêtes rétrospectives auraient dû identifier ces premiers cas. En outre, si l'épidémie avait pour origine l'élevage et le commerce animal, elle aurait, selon Patrick Berche, dû apparaître au travers de plusieurs foyers dispersés dans plusieurs marchés et élevages.

Ce fut le cas pour les précédents virus similaires, le premier Sars de 2003 et le Mers, un cousin de ces coronavirus découvert en 2012 au Moyen-Orient. « Aucun foyer n'a été déclaré avant [Wuhan]. Si des animaux vendus sur ce marché ont été porteurs du virus, ils ont quand même transité sur des centaines de kilomètres sans faire aucun cas ailleurs ? » interroge le chercheur.

Le projet « Defuse »

À l'opposé, pour l'académicien, les arguments en faveur d'une origine en laboratoire seraient désormais nombreux, au premier rang desquels la coïncidence géographique avec les centres de recherche de Wuhan. Brisant un tabou dans la communauté scientifique, le virologue a en particulier souligné la révélation, en 2021, d'un projet de recherche international en collaboration avec l'Institut de virologie de Wuhan, le projet « Defuse ».

À LIRE AUSSICovid-19 : ce que l'on sait, trois ans après le début de la pandémieRendu public par des enquêteurs indépendants d'un groupe surnommé Drastic, Defuse visait, entre autres, à insérer des sites furines dans des virus de la famille du Sars. Très rapide, la présentation n'a pas permis cependant de nuancer les arguments de part et d'autre. L'absence de preuves définitives d'une origine naturelle pourrait en réalité être la conséquence de l'obstruction systématique de Pékin, et n'atteste pas de l'inexistence d'un hôte intermédiaire.

Un accident de laboratoire n'est donc pas prouvé, mais en l'état des données disponibles, il faut bien admettre la troublante coïncidence avec les projets de recherche des laboratoires de Wuhan. Ce qui mène donc aux réflexions sur la nécessaire régulation portées dans les présentations suivantes par Simon Wain-Hobson, expert de longue date des recherches dites de gain-de-fonction, et par Patrice Binder, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, spécialiste de la biosécurité, et membre, comme Patrick Berche, du Conseil national consultatif pour la biosécurité.

« Les sociétés savantes ont failli »

Face à l'absence de débat dans les grandes institutions dans de nombreux pays européens malgré les alarmes des années 2010, Simon Wain-Hobson a osé un constat sévère : « Les sociétés savantes ont failli partout en Europe », a-t-il tancé en récapitulant l'histoire du débat, qui semblait effectivement avoir échappé à une grande partie de l'auditoire d'académiciens. Et d'appeler à un moratoire avant une possible interdiction de certaines recherches trop risquées.

Les réactions de l'académie étaient variées, de celui se disant « sidéré » par certaines des révélations des trois dernières années, à d'autres rappelant l'intérêt des données sur les chiens viverrins relançant la piste d'une origine naturelle.

Ancien président du conseil scientifique, Jean-François Delfraissy a finalement regretté l'absence de dialogue sur le sujet avec les autorités politiques, et en particulier le secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN), rattaché au Premier ministre, en charge des risques biologiques.

« La communauté scientifique et médicale n'est pas assez impliquée dans la vie du SGDSN », s'est avancé le président du Conseil national consultatif d'éthique. Au diapason de Christine Rouzioux, soulignant la nécessité d'une prise de conscience collective dans la communauté virologique : « Le mot responsabilité peut commencer à être évoqué », a conclu la maîtresse de cérémonie, appelant à désormais « former les jeunes chercheurs » à ces questions.