Trop âgées pour trouver un emploi, trop jeunes pour la retraite : les femmes de plus de 50 ans de plus en plus concernées

Gwenaelle Chauvin, ancienne entrepreneuse, aura épuisé ses droits au chômage en novembre, et basculera alors sous le régime du RSA. A Saint-Brieuc, le 14 octobre 2025. LOUISE QUIGNON POUR « LE MONDE »
Gwenaelle Chauvin n’a pas hésité à l’annoncer sur le réseau professionnel LinkedIn : faute de parvenir à retrouver un emploi, à bout de ressources financières, elle « vient de rentrer en Bretagne vivre chez maman ». Un gigantesque bond en arrière pour cette femme énergique de 55 ans. Trop vieille pour convaincre un employeur, trop jeune pour prendre sa retraite.
Pour elle qui, mère de deux enfants, a créé deux entreprises, dont l’une dirigée une douzaine d’années durant avec son compagnon, la spirale infernale débute lors de sa séparation. Alors contrainte de trouver un emploi, Gwenaelle Chauvin décroche d’abord un CDD dans une collectivité locale d’Occitanie, où elle vit, puis un deuxième, un troisième… Six contrats se succèdent en l’espace de treize mois. Puis plus rien. Malgré le millier de candidatures envoyées pendant une longue année et la participation à d’innombrables forums de l’emploi, elle n’a pas retrouvé de place dans une entreprise.
En novembre, l’ancienne entrepreneuse aura épuisé ses droits au chômage, et basculera dans le régime du revenu de solidarité active (RSA). Indépendante pendant de nombreuses années, elle ne pourra pas faire valoir ses droits à l’assurance-retraite avant l’âge de 67 ans, sous peine de subir une décote sur sa pension, comme toutes les personnes n’ayant pas atteint le nombre de trimestres exigé par la loi pour la toucher à taux plein. La voilà entrée dans un statut, ou plutôt un non-statut peu enviable, un entre-deux qui frappe de plus en plus de seniors en France, majoritairement des femmes : les « NER », « ni en emploi ni en retraite ».
Millefeuille d’inégalités
Si le sort des « NEET », ces jeunes « ni en emploi ni en formation », mobilise les gouvernements depuis les années 1980, certes sans grand succès (leur part est passée de 10,1 % des 15-34 ans début 2023 à 12,8 % au deuxième trimestre 2025, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, Insee), les seniors NER, eux, restent encore relativement invisibilisés.
Pourtant, ils représentent 21 % des 55-61 ans, selon les données issues du dossier « Emploi, chômage et revenus du travail » publié par l’Insee en juillet 2024. Le pic est atteint à 60 ans. Une partie de ces personnes s’est retirée du marché du travail pour des raisons de santé, de handicap ou autres. Mais un tiers d’entre elles subit cette situation, précise l’Insee. Parmi ce tiers, trois personnes sur quatre sont des femmes, et cette surreprésentation progresse avec l’âge : à partir de 62 ans, elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à n’être ni en emploi ni en retraite.
Sans surprise, ce déséquilibre est la conséquence du millefeuille d’inégalités qui s’accumulent tout au long des trajectoires professionnelles entre hommes et femmes. « Tous les facteurs qui caractérisent les carrières féminines, comme les trous dans le CV, les temps partiels et les moindres rémunérations, retardent significativement l’accès des femmes au taux plein nécessaire pour une retraite sans décote », explique Laetitia Vitaud, autrice de la note sur « Le coût de la séniorité des femmes » publiée par la Fondation des femmes en juin.
Un chiffre résume cette inégalité sur le marché du travail : passé 55 ans, les écarts salariaux entre les sexes se creusent pour atteindre 27,2 %, au détriment des femmes, contre 23,1 % entre 40 et 49 ans, selon les données 2023 de l’Insee.
Puiser dans ses économies
Compte tenu des interruptions de carrière liées à la maternité, à la garde des enfants et à la multiplication des temps partiels, les femmes donc sont plus nombreuses que les hommes à devoir attendre l’âge de 67 ans, auquel la décote s’annule, pour faire valoir leurs pleins droits à la retraite. En outre, elles partent en moyenne à l’âge de 63 ans, contre 62 ans et 4 mois pour les hommes, soit huit mois plus tard, selon le service statistique ministériel de la santé et du social, la Drees. La réforme des retraites votée en 2023 – dont le sort est actuellement en suspens – a aggravé cette inégalité, en repoussant l’âge de départ. Résultat : en cas de perte d’emploi à cet âge, « elles se trouvent dans une sorte de purgatoire entre l’activité et l’inactivité », explique Laetitia Vitaud, et ce purgatoire est bien plus long que celui subi par les hommes dans la même situation.
Véronique (elle n’a pas souhaité donner son nom de famille, comme les autres femmes citées par leur prénom), qui vient de fêter ses 62 ans, en a subi les conséquences. Cette ancienne cadre a quitté son entreprise à l’issue d’une négociation aux échéances savamment calculées : au terme des trois ans de chômage auxquels elle avait droit, elle devait enchaîner directement, en octobre, sur la retraite. Mais la réforme a bousculé ce calendrier. Finalement, Véronique ne pourra faire valoir ses droits à retraite qu’en août 2026, mais ses droits au chômage sont désormais épuisés. Face à la grande difficulté de retrouver un emploi à son âge, elle est contrainte de puiser dans ses économies.
Selon l’association Force Femmes, qui aide celles de plus de 45 ans au chômage à retrouver un emploi, 68 % des cabinets de recrutement considèrent l’âge comme un facteur discriminant et 47 % reconnaissent qu’il est difficile pour une femme de plus de 45 ans de trouver un poste. Cela, parce que, en plus des interruptions de carrière, certaines ont encore leur(s) enfant(s) à charge, et-ou s’occupent de leurs parents vieillissants, ce qui limite en outre leur possibilité de mobilité géographique.
« La réalité est que de nombreuses personnes n’ont pas la possibilité de se maintenir en emploi, ni de continuer à accumuler des droits à pension », souligne Christiane Marty, membre du conseil scientifique d’Attac, qui s’était émue, lors des débats sur la réforme des retraites de 2023, de ses conséquences pour les femmes.
Risque de précarité
Après un début de carrière dans le milieu du spectacle et de l’événementiel, où elle a enchaîné contrats et missions d’intérim, des changements de voie professionnelle ont ainsi pénalisé Laurence, 56 ans, sur le marché du travail. Depuis deux ans, elle est intermittente dans l’audiovisuel et désespère de trouver un poste pérenne. « Je n’ai réussi à décrocher que cinq entretiens en deux ans, alors que, compte tenu des trous dans ma carrière et l’enchaînement des CDD, j’ai encore entre huit et dix ans à travailler », se désole-t-elle.
Ces femmes qui se retrouvent sans revenu, dans une impasse professionnelle, courent le risque de glisser vers la précarité. Toujours selon l’Insee, seulement 58 % des personnes NER vivent en couple et peuvent s’appuyer éventuellement sur les revenus de leur conjoint pour traverser cette période difficile.
Nathalie, 62 ans, a quitté son dernier poste en avril 2018 pour déménager dans le sud de la France. Depuis, elle n’a pas retrouvé d’emploi, alors qu’elle ne pourra faire valoir ses droits à la retraite que dans dix-huit mois : d’ici là, il lui faut compter chaque euro dépensé, avec le douloureux sentiment d’être devenue une ombre. « Je suis entièrement dépendante de la retraite de mon mari », se désole-t-elle.
Celles qui sont seules se débrouillent comme elles peuvent, comme Gwenaelle Chauvin, retournée vivre chez sa mère. Selon les chiffres de la Drees, un tiers des NER entre 55 et 61 ans vivaient au-dessous du seuil de pauvreté en 2018. Faute de données réactualisées, il est difficile de savoir quelle est cette proportion aujourd’hui, mais étant donné la dégradation récente du marché de l’emploi, il est fort probable qu’elle n’ait pas diminué.