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Les circonstances d’un tir du RAID ayant blessé Aimène Bahouh à Mont-Saint-Martin toujours pas « éclairées »

Le policier qui aurait atteint la victime, blessée par une munition « beanbag » le 30 juin, a été identifié. Devant l’IGPN, il a assuré viser une voiture depuis laquelle des « individus cagoulés » étaient prêts à allumer un mortier. Mais ce véhicule ne correspond pas à celui que conduisait le jeune homme.

Par Mustapha Kessous

Publié le 08 août 2023

Une inscription en solidarité à Aimène Bahouh, blessé par un tir du RAID le soir du vendredi 30 juin 2023, à Mont-Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle, le 4 juillet 2023.

 Une inscription en solidarité à Aimène Bahouh, blessé par un tir du RAID le soir du vendredi 30 juin 2023, à Mont-Saint-Martin, en Meurthe-et-Moselle, le 4 juillet 2023. NICOLAS LEBLANC/ITEM POUR « LE MONDE »

 

C’est la question centrale de cette affaire : pourquoi, le 30 juin autour de 1 heure du matin, Aimène Bahouh, 25 ans, a-t-il été grièvement blessé après avoir été touché à la tête par un « beanbag », une munition tirée par un policier du RAID, à Mont-Saint-Martin (Meurthe-et-Moselle) lors d’une nuit d’émeutes, après la mort de Nahel M. à Nanterre le 27 juin ?

Selon les conclusions du premier rapport de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), dont Le Monde a eu connaissance, remises le 11 juillet au procureur de Nancy dans le cadre de l’enquête ouverte pour « violences volontaires avec arme commises par personne dépositaire de l’autorité publique », les éléments recueillis n’ont pas pu « éclair[er]précisément ni sur les circonstances des faits ayant conduit à la grave blessure de M. Bahouh ni sur les conditions légales d’usage de l’arme par le policier ».

 

Selon les deux amis qui l’accompagnaient, M. Bahouh – un agent de sécurité qui avait terminé son travail à 22 heures – conduisait une Clio blanche, vitre baissée, et se rendait au Luxembourg proche pour acheter des cigarettes dans une station-service. C’est au moment de franchir un ralentisseur de la rue de Verdun que le jeune homme a été atteint.

 

Le policier soupçonné d’être l’auteur du tir se souvient d’avoir visé un véhicule « de couleur claire » qui se trouvait rue de Marseille, avec à son bord des « individus cagoulés », dont l’un des occupants s’apprêtait à allumer un mortier. Mais cette voiture ne correspond pas à celle que conduisait M. Bahouh.

La procureure de la République de Val-de-Briey (Meurthe-et-Moselle), Catherine Galen, qui avait ouvert l’enquête de flagrance confiée à l’IGPN, avait indiqué que la participation de la victime aux violences urbaines n’était pas « établie » à ce stade, qu’il n’a pas commis de refus d’obtempérer et que, selon l’IGPN, « aucun indice ni présence d’objet en rapport avec la confection ou l’usage d’artifices » n’ont été constatés lors de la fouille du véhicule dans lequel se trouvait M. Bahouh.

« Effectifs pris à partie »

Au fil du rapport, qui conforte les révélations du Monde sur cette histoire, les enquêteurs de la police des polices reviennent sur cette nuit de tension du 29 au 30 juin à Mont-Saint-Martin. Onze agents du RAID (dix fonctionnaires et un médecin), provenant de l’antenne de Nancy, sont « engagé[s] » dans cette commune de 10 000 habitants pour « assurer la sécurité des personnes et des biens ».

 

Entendu par l’IGPN, le chef de l’antenne du RAID précise que deux groupes sont formés pour cette « mission » : « L’équipe Alpha en tenue vert kaki “ranger green”, aux moyens plus légers, destinée à faire de l’observation, et l’équipe Bravo, en tenue d’intervention noire. » Ces policiers sont armés de pistolets Glock 17, de quatre lanceurs de balles de défense (LBD) de trois modèles différents, trois fusils semi-automatiques Molot calibre 12 et deux fusils à pompe calibre 12 (un Keltec KSG et un Beretta M3P), approvisionnés avec des munitions beanbags, un projectile sous forme de sachet de coton contenant de minuscules plombs.

Le groupe Bravo se positionne à l’angle des rues de Marseille et de Verdun – à l’endroit où le drame aura lieu –, « sur un site découvert » d’où il peut « observer les mouvements suspects ». Au cours de la soirée, les « effectifs sont pris à partie par de nombreux individus très hostiles qui tentaient de les encercler à pied ou en voiture », relate le chef d’antenne du RAID lors de son audition. Tirs tendus de mortiers, insultes, menaces de tirs « à balles réelles »… Les policiers utiliseront, cette nuit-là, « 34 munitions de LBD 40 mm », ou encore « 27 munitions calibre 12 de type beanbag ».

Le responsable de l’unité d’élite de la police continue son récit en précisant que « les opérateurs du RAID avaient dû user de leurs moyens de force intermédiaire, notamment en direction de deux jeunes à vélo qui leur jetaient des pierres ». L’un d’eux, âgé de 15 ans, a reçu dans le dos un beanbag, lui causant « une plaie purulente d’environ 5 cm ». Le second, âgé de 18 ans, a fini en garde à vue pour outrage et jet de projectile. Ce jeune homme, qui dit avoir été « molesté » avec son ami, dément avoir jeté des pierres en direction de la police.

« Nous sommes face à un tir illégitime »

Le tireur qui a touché le mineur a été identifié, mais son nom et prénom n’apparaissent pas dans le rapport de l’IGPN : il est cité par son matricule RIO (pour référentiel des identités et de l’organisation) et a été entendu par l’IGPN sous le statut de suspect libre. C’est aussi lui qui est suspecté d’avoir tiré sur Aimène Bahouh. Répondant à une demande de l’IGPN – « quels effectifs avaient pu tirer des munitions bean bags sur un véhicule ? » –, le chef d’antenne a désigné cet « opérateur ».

Deux de ses collègues ont expliqué à leur tour pourquoi ils ont dû utiliser leurs armes, « mais aucun d’entre eux n’était témoin direct du ou des tirs pouvant correspondre aux faits dont était victime M. Bahouh », est-il écrit dans le rapport. D’autant que, comme le souligne l’IGPN, « l’unité ne disposait pas de captation d’image, notamment pas de caméras-piétons. Quant au drone engagé, il n’enregistrait pas durant le service et n’était pas doté d’une caméra thermique pour les images de nuit ». En outre, les conversations radio « étaient opérées par réseau interne du RAID, démuni d’enregistrement ». Enfin, les images de la vidéosurveillance (sous scellé) de la ville entre minuit et 2 heures, recueillies autour du secteur concerné, « n’ont pu être exploitées » par l’IGPN « durant le temps de l’enquête ».

Dans le quartier du Val-Saint-Martin, où a eu lieu le drame, des habitants, qui disent ne pas avoir participé aux émeutes,avaient assuré au Monde qu’ils avaient été « pris pour cible » par des membres du RAID lors de cette nuit « qualifiée d’intense » par l’unité d’élite de la police. C’est sur le chemin du retour, après 4 heures, que les policiers ont appris qu’une personne avait été blessée et admise à l’hôpital d’Arlon, ville proche située en Belgique.

Pour Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille, « nous sommes face à un tir illégitime qui a atteint Aimène à la tête après l’avoir éclairé avec une lampe torche, et ce alors qu’il ne participait pas aux émeutes et n’avait commis aucune infraction, comme l’a fait remarquer la procureure de la République. Pourtant, le policier tireur n’a pas été placé en garde à vue et n’a pas été mis en examen ». Selon lui, « le policier qui a tiré semble être protégé par la justice ». L’avocat a demandé, le 1er août, que l’affaire soit dépaysée vers « une autre juridiction ».

 

De son côté, Aimène Bahouh va mieux : après vingt-cinq jours de coma, il s’est réveillé le 25 juillet. « Les médecins ont dit qu’Aimène est un miraculé », raconte avec soulagement Yasmina, sa mère. Son fils est rentré à la maison le 2 août.