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Les dérives naturopathes sectaires ont fleuri depuis le Covid : il est temps que l'Etat sévisse

Les dérives naturopathes sectaires ont fleuri depuis le Covid : il est temps que l'Etat sévisse

Par Christian Lehmann

 

Le Covid a durablement affecté la confiance du public dans le système de santé et dans ses médecins. Eux-mêmes pris de court par la pandémie, qu'ils ont affrontée au départ sans moyens de protection, et dans un environnement sanitaire profondément dégradé par des décennies de gestion comptable, ils ont dû faire face aux mensonges par omission du gouvernement, aux délires des complotistes, mais aussi à ceux d'entre eux qui, grisés par leur reconnaissance sur les plateaux télé, ont aligné des certitudes sans jamais se remettre en cause. Des médecins, classés ensuite aussi bien dans le clan des conspirationnistes que dans celui de la médecine officielle, ont joué un jeu dangereux pour nourrir leur vanité personnelle : de la promotion de remèdes miracles qu'un «ils» jamais défini refusait à la population, à la négation de la possibilité d'une seconde vague, au mépris affiché pour les patients atteints de Covid long. De la minimisation des effets secondaires du vaccin AstraZeneca aux affirmations péremptoires sur la supériorité des vaccins russe ou chinois. Dans cette atmosphère délétère, trois éléments ont contribué pendant le confinement à l'émergence sans précédent de pratiques alternatives à la médecine traditionnelle : l'isolement, l'inquiétude, et l'impuissance.

 

Dans les Dissidents (ed. R. Laffont), le journaliste Anthony Mansuy, immergé pendant une année dans la bulle conspirationniste, avait analysé le parcours de celles et ceux qui sont tombés dans le labyrinthe du lapin blanc, (comme Alice dans le livre de Lewis Carroll), et avait noté comment «le covido-scepticisme est l'oeuvre de millions de coscénaristes de leur propre réalité parallèle, une grande campagne de désinformation en peer-to-peer où chacun peut apporter sa pierre à l'édifice, devenir influenceur à son tour». Et si tout le monde ne peut pas, à l'instar d'un Christian Perronne ou d'une Alexandra Henrion-Caude, avoir table ouverte sur CNews ou Sud Radio pour s'offusquer d'être traité de complotiste tout en alignant des sornettes indignes, participer à la gigantesque pyramide de Ponzi des pseudothérapies est à la portée de tous.

 

Les mordus du développement personnel, nouvelle religion nombriliste, après avoir beaucoup dépensé auprès de stars spécialisées dans les conseils barrés comme dans le recyclage de leurs propres urines, se découvrent, au sortir du confinement et des ruptures qu'il a pu entraîner dans des parcours de vie fragiles, une nouvelle voie : «Je me dis que j'irai certainement mieux en aidant les autres, et c'est ce que j'ai voulu faire toute ma vie, confie l'une d'entre elles à Anthony Mansuy, je me dis aussi que je pourrais être indépendante financièrement en montant ma petite structure, et peut-être réaliser mon rêve de me rapprocher de la nature.» Tout est dit dans ces quelques phrases : le désir enfantin de soigner sans en avoir acquis les compétences, l'illusion d'un enrichissement toujours possible sans autre formation que celle qu'on a acquise auprès de crapules qui ont recouvert d'un vernis politique antiscience leur recherche de profit sur le front du bien-être, et la multiplication de minuscules structures vivotant, mal, entre argilothérapie, naturopathie, irrigation du côlon et ondobiologie.

 

Adoubement de Didier Raoult

En 2021, 4 000 signalements ont été traités par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, une hausse sans précédent, comme le note Marc Samson, auteur sous pseudonyme, dans un article publié sous l'égide de Terra Nova : Une leçon du Covid : le renouveau des phénomènes d'emprise à consonance sectaire , publié un mois avant les Premières assises nationales des dérives sectaires, les 9 et 10 mars à Paris, sous l'égide de Sonia Backès, secrétaire d'Etat chargée de la Citoyenneté, et du préfet Christian Gravel, président de la Miviludes.

 

La démultiplication des gourous 2.0 entraîne son lot de drames, de pertes de chance pour certains patients convaincus qu'ils sont responsables de leur cancer que la médecine traditionnelle ne pourra soigner, et d'emprises sectaires. Et la responsabilité de l'Etat est fréquemment mise en cause, tant son inaction ces dernières années a été flagrante. Le tapis rouge déroulé pour les complotistes dans les médias, sans remise en cause significative par l'Arcom, même quand de fausses informations potentiellement délétères pour la santé sont véhiculées au nom du pluralisme d'expression, l'adoubement dès avril 2020 par Emmanuel Macron lui-même d'un Didier Raoult qui avait déjà à cette époque enfreint les bonnes pratiques scientifiques avec l'aval d'une pléthore de politiques prêts à suivre le premier homme providentiel venu, mais aussi, partout sur le territoire, la porosité de certains hôpitaux empilant ostéopathes, spécialistes du reiki et autres naturopathes dans des unités de bien-être destinées aux patients... et aux professionnels de santé. Le CPF vantant des pseudo-formations aux thérapeutiques alternatives avec l'argent public. Les chroniques santé de nombreux magazines féminins aux mains de naturopathes et autres gourous du bien-être, participant d'une économie parallèle mafieuse. Le Monde publiant, après une longue série en faveur de l'anthroposophie, un article de Raphaëlle Bacqué vantant les stages de jeûne de sa naturopathe. Et que dire de Doctolib, qui pendant des années a laissé de pseudo-thérapeutes squatter sa plate-forme de réservation médicale et être mis en avant, encore aujourd'hui, sur le même plan que des professionnels de santé ?

 

Participation à la mise en danger d'autrui

En août 2022, Stéphane, un jeune réanimateur, interpellait la plate-forme : «Bonjour @doctolib. Je découvre en tapant par hasard que vous proposez des consultations... de naturopathie. C'est comme si Blablacar avait ouvert une rubrique Emile Louis. Vous voulez exterminer les gens ? Vous vous rendez compte que votre sceau les valide ? #fakemed #naturopathie.» Après une première réponse dilatoire, en mode «Nous considérons que ce n'est pas le rôle de Doctolib de trancher ces débats», la plate-forme est obligée de faire volte-face et de se séparer des «professions non réglementées», après une polémique née de la mise à jour de propos et de pratiques de la papesse de la naturopathie Irène Grosjean , entre déni du sida, allégations délirantes sur les tumeurs «des agglomérats de colle, de viscosités, que le corps ne peut pas éliminer à travers la peau... L'huile de ricin va travailler merveilleusement pour dégager toutes ces matières» , et conseils d'attouchements des parties génitales des petits enfants pour faire baisser la fièvre. Seule la chambre d'écho des réseaux sociaux et des médias, puis le réveil tardif des ordres professionnels, ont amené Doctolib, «licorne» française vantée par Cedric O dès son arrivée au poste de secrétaire d'Etat au Numérique en mars 2019, à revenir sur sa réponse dédaigneuse de départ, trop tardivement d'ailleurs pour pouvoir étouffer le scandale lié à son âpreté au gain.

 

Mais plus de six mois plus tard, on trouve encore sur Doctolib des naturopathes adeptes de l'irrigation colique ou de la friction génitale des enfants, au prétexte que contractuellement, la plate-forme ne peut rompre le contrat qui la lie à ses clients avant un délai de six mois, alors qu'en l'espèce elle participe activement à la mise en danger de la vie d'autrui. Miguel Barthéléry, naturopathe qui organisait des stages avec Irène Grosjean, est condamné pour exercice illégal de la médecine après la mort d'un patient, mais continue ses téléconsultations depuis le Maroc. La police fait un appel à témoins pour retrouver des victimes d'Eric Gandon, naturopathe mis en examen pour homicide involontaire, abus de faiblesse, mise en danger de la vie d'autrui et exercice illégal de la médecine, après la mort de trois malades au cours d'un jeûne. Thierry Casasnovas, adepte famélique du crudivorisme, est placé en garde à vue pour emprise mentale et exercice illégal de la médecine. Une nébuleuse se met en place autour de Louis Fouché, médecin réanimateur antivax, qui amalgame autour de lui au sein de Réinfocovid Fabien Moine et Jérémie Mercier, éducateurs en santé auto-proclamés aux théories fumeuses. Louis Fouché qui expliquait récemment que même si l'Etat cherchait à les réintégrer, de nombreux soignants suspendus feraient autre chose, lui même ayant l'intention d'animer des stages de yoga, tandis que Denis Agret, un autre suspendu, coache des stages de jeûne. Le terrain est fertile, sous couvert de créer une nouvelle société, pour profiter des dividendes de la crédulité et de l'inquiétude de personnes laissées à la dérive par l'effondrement du système de santé. Il n'est que temps pour l'Etat de prendre ses responsabilités.