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L’agence Fitch dégrade la note de la France à AA– sous l’effet de l’« impasse politique » et des « mouvements sociaux »

L’une des quatre principales agences chargées d’évaluer la solvabilité de l’Etat déplore « un risque pour le programme de réformes de Macron ». Bruno Le Maire y voit une « appréciation pessimiste ».

Par Elsa Conesa et Audrey Tonnelier

Publié aujourd’hui à 02h41, modifié à 02h46

 

 

 Le siège social de l’agence Fitch Ratings, à New York, en 2013.

Le siège social de l’agence Fitch Ratings, à New York, en 2013. REUTERS / BRENDAN MCDERMID

 

C’est un camouflet financier, mais aussi politique pour Emmanuel Macron. Vendredi 28 avril dans la soirée, Fitch, l’une des quatre principales agences chargées d’évaluer la solvabilité de l’Etat français, a abaissé d’un cran la note de la France, à AA– avec perspective stable. En cause, non seulement la trajectoire de dette et de déficit du gouvernement, jugée sujette à caution, mais aussi « l’impasse politique et les mouvements sociaux [parfois violents] » que connaît le pays, a indiqué l’agence dans un communiqué. Ces derniers « constituent un risque pour le programme de réformes de Macron et pourraient créer des pressions en faveur d’une politique budgétaire plus expansionniste ou d’un renversement des réformes précédentes », déplore Fitch.

Or, le chef de l’Etat a toujours justifié la nécessité de la réforme des retraites par des raisons d’abord budgétaires. Le 16 mars, au moment d’actionner l’article 49.3 de la Constitution qui a permis de faire adopter le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans sans vote, mais qui a aussi relancé les protestations partout en France, le président en avait même fait son principal argument : « En l’état, les risques financiers, économiques sont trop grands [pour courir le risque que la réforme ne soit pas adoptée] », assurait-il à ses ministres.

 

« Cette décision résulte notamment d’une appréciation pessimiste de Fitch quant aux perspectives de croissance (…) et de dette », a immédiatement réagi Bruno Le Maire dans un communiqué, rappelant « la détermination totale du gouvernement à rétablir dans les quatre années qui viennent les comptes publics ». L’agence « sous-évalue les conséquences des réformes de structures adoptées depuis plusieurs mois », a encore estimé le ministre de l’économie, citant la réforme de l’assurance-chômage, celle des retraites et la baisse des impôts de production.

 

Des « progrès modestes dans la consolidation budgétaire »

Dans son avis, Fitch précise en effet s’attendre à une amélioration « modeste » du ratio français de dette rapporté au PIB, en raison de « déficits relativement importants et de progrès modestes dans la consolidation budgétaire ». L’agence craint une croissance plus faible et des dépenses gonflées par l’inflation. Ce faisant, elle enfonce un coin dans le programme de stabilité, ce document présenté mercredi en conseil des ministres et qui doit être envoyé à Bruxelles, afin de détailler le chemin que la France compte suivre pour revenir aux 3 % de déficit public à l’horizon 2027. Il indiquait justement que la France compte « accélérer son désendettement ». Las, les moyens d’atteindre la trajectoire de moyen terme que s’est fixée Bercy « doivent encore être précisés », pointe Fitch. L’agence table sur une dette de 114,3 % du PIB en 2027, quand Bercy prévoit 108,3 % (contre 111,6 % en 2022)…

 

Concrètement, si la capacité de la France à se financer sur les marchés n’est pas remise en cause – la dette française fait régulièrement figure de valeur refuge, et Paris n’a pas de mal à trouver des investisseurs –, elle sera toutefois susceptible de payer plus cher pour emprunter. L’Etat doit lever la somme record de 270 milliards d’euros de dette cette année, soit 10 milliards de plus qu’en 2022.

 

Ce coup de semonce survient une semaine après qu’une autre agence, Moody’s, a laissé inchangée sa propre note (Aa2 avec perspective stable). En revanche, en décembre 2022, Standard & Poors, arguant d’un ralentissement de la croissance et d’une dégradation des finances publiques liée à la crise de l’énergie, avait prévenu qu’elle pourrait abaisser la note de la dette française à moyen terme – sa décision est attendue le 2 juin.

 

Bercy mise sur l’inflation

La remontée des taux d’emprunt des Etats depuis un an, passés pour la France de 1 % à 3 %, a conduit à replacer les agences de notation au centre du jeu. La crédibilité de ces dernières avait été affaiblie par la crise des crédits « subprimes » en 2008, dont elles avaient attesté de la qualité avant que ceux-ci ne fassent défaut en cascade. La longue période de taux négatifs qui avait suivi, extraordinairement favorable aux emprunteurs, avait rendu leurs analyses moins essentielles pour les investisseurs.

A ce stade, pour améliorer les finances publiques, Bercy mise principalement sur la sortie des mesures de soutien face à la flambée des prix de l’énergie, et surtout sur l’inflation, qui dope silencieusement le PIB et les recettes fiscales. L’exécutif espère aussi qu’une croissance plus dynamique permettra de parvenir au plein-emploi et contribuera à réduire le déficit. Matignon a également lancé une revue des dépenses publiques, censée permettre d’identifier quelques milliards d’économies pour le budget 2024.

 

Un scénario peu convaincant, selon le Haut Conseil des finances publiques : dans son avis publié mercredi, l’instance, adossée à la Cour des comptes, a jugé « optimistes » les perspectives de croissance qui sous-tendent la trajectoire française, notamment en termes de consommation des ménages. Quant à l’inflation, elle est « sous-estimée ». Enfin, la hausse de l’emploi nécessaire à ce rapide désendettement, « liée notamment aux réformes des retraites et de l’assurance-chômage, paraît surestimée », indique l’avis. Les experts estiment que pour atteindre l’objectif du gouvernement, il faudrait que « les mesures annoncées de baisses de prélèvements obligatoires ne soient pas intégralement mises en œuvre, ou qu’elles soient compensées par des hausses d’autres prélèvements ou des réductions de dépenses fiscales ».

 

Or, depuis mercredi et la feuille de route tracée par Elisabeth Borne, le gouvernement fait soudainement miroiter de nouvelles baisses d’impôt « pour les classes moyennes qui travaillent », possiblement dès cette année. Une manière, selon l’exécutif, de répondre aux tensions du pays et de clore la séquence des retraites. Mais, sauf freinage massif de la dépense, cette mesure semble à rebours des engagements pris par la France en matière de finances publiques.

 

 

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