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Loi immigration : ces mesures litigieuses que le Conseil constitutionnel pourrait censurer 

Le président de la République a annoncé sa volonté de saisir le Conseil constitutionnel sur le projet de loi immigration dès ce mercredi. Plusieurs dispositions, de l'avis des juristes, mais aussi de l'aveu même du gouvernement, sont sujettes à caution.

 

« La politique, ce n'est pas être juriste avant les juristes », s'est justifié le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à la tribune du Sénat mardi, au sujet du projet de loi sur l'immigration adoptée en commission mixte paritaire ce même jour. Une façon de reconnaître la séparation des pouvoirs ? Plus vraisemblablement une façon de se défausser sur le Conseil constitutionnel après l'adoption sous tension du texte .

Le président de République, par la voie du porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a en effet annoncé qu'il transmettrait dès ce mercredi au Conseil constitutionnel le projet de loi adopté la veille. De l'aveu même d'Elisabeth Borne, certains articles de la loi seraient hors des clous , plus d'une vingtaine aux dires de Matignon, notamment suite aux amendements du Sénat.

Cavalier législatif

Une attitude qui ne manque pas d'étonner les juristes : « Tout gouvernement devrait normalement s'opposer à l'adoption d'un texte qu'il juge pour partie inconstitutionnel », selon Bertrand Mathieu, professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne. « Cela me paraît surréaliste. Ce mélange du juridictionnel et du politique devient dangereux pour la démocratie », alerte-t-il.

Mais attention, « ce n'est pas parce que l'exécutif dit que certaines mesures sont inconstitutionnelles que c'est forcément le cas », rappelle, prudemment, Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l'université de Lille. Avant d'ajouter : « Il y a des mesures pour lesquelles le doute de constitutionnalité est toutefois assez sérieux. »

 

Parmi les dispositions les plus contestables figurent les restrictions apportées à l'acquisition de la nationalité française via le droit du sol. « Dans le présent projet de loi, ni son titre ni ses dispositions initiales ne portaient sur les questions de nationalité. Dès lors, les amendements sénatoriaux encourent le risque d'être qualifiés de cavaliers législatifs par le Conseil constitutionnel, en raison de leur défaut de lien avec le projet de loi déposé par le gouvernement », écrivait dès le mois dernier le professeur de droit à l'Université Côte d'Azur, Jules Lepoutre.

Une injonction au Parlement

Autre point de fragilité : l'instauration de quotas fixés par le Parlement pour plafonner le nombre d'étrangers admis sur le territoire. L'instauration de quotas n'est pas en soi inconstitutionnelle, et d'autres pays le font déjà, mais le Parlement ne peut pas recevoir « d'injonction » de la part du gouvernement, comme l'a déjà rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision de novembre 2003.

 

Conditionner l'octroi de la nationalité au conjoint d'un ressortissant français à son niveau de connaissance de la langue française pourrait aussi être considéré comme non proportionné, un point qu'a soulevé la Première ministre elle-même.

Enfin, le volet des aides sociales, et notamment le fait de réserver le versement des APL aux immigrés légaux qui travaillent (ceux qui ne travaillent pas devront justifier d'une présence de cinq ans sur le territoire) est également sujet à caution. Cette conditionnalité temporelle existe déjà pour le RSA , soutiennent les défenseurs de la mesure, mais « l'objet du RSA est bien l'intégration sur le marché du travail, il y a un lien direct. Ce qui n'est pas le cas des APL qui concernent davantage l'accès à des conditions de vie digne. Nous ne sommes pas dans le même champ », explique un constitutionnaliste.

Validité de la procédure d'adoption de la loi

Le Conseil constitutionnel sera aussi amené à se prononcer sur la procédure d'adoption de la loi elle-même, la tenue de la commission mixte paritaire notamment. Si un vice de procédure est reconnu sur l'adoption du texte, la loi est jugée globalement inconstitutionnelle.

 

Bertrand Mathieu met en garde toutefois : « Il faut garder en tête que la remise en cause de droits acquis n'est pas nécessairement inconstitutionnelle. On peut estimer qu'il y a une régression, mais c'est un jugement politique, pas forcément juridique. Essayer de faire jouer au Conseil constitutionnel un rôle qui n'est pas le sien le met naturellement dans une position difficile. »

Les oppositions, notamment les sénateurs et députés socialistes, ont également annoncé leur volonté de déposer un recours. Quel que soit le nombre de recours, le Conseil constitutionnel a un mois pour se prononcer, dans un seul et même texte, à partir de la date de dépôt du premier recours.

 

Par Marie Bellan

Publié le 20 déc. 2023 à 17:52Mis à jour le 20 déc. 2023 à 18:24