JustPaste.it

Cinq mois avant les Jeux olympiques, les tests commencent pour la vidéosurveillance algorithmique

 

Florian Reynaud, Martin Untersinger

 

Une caméra de surveillance, en haut de la tour Montparnasse, à Paris, le 23 février 2024. Une caméra de surveillance, en haut de la tour Montparnasse, à Paris, le 23 février 2024. MARTIN BUREAU / AFP

Après les débats, voici venu le temps des tests. Neuf mois après la promulgation de la loi sur les Jeux olympiques et de son article 10 permettant l’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique, des policiers vont tester pour la première fois cette nouvelle technologie censée détecter automatiquement un certain nombre de situations anormales. Un essai est, en effet, prévu dimanche 3 et mardi 5 mars, en marge du concert du groupe britannique Depeche Mode à Paris.

Le ministère de l’intérieur, relayé par l’Agence France-Presse, a fait savoir que six caméras, dopées au logiciel de la société Wintics, Cityvision, allaient scruter la voie publique aux alentours de l’Arena de Bercy, dans le 12e arrondissement, où se déroulent les concerts. Il s’agit, toujours selon cette même source, de « tester et paramétrer les solutions logicielles » et non pas d’utiliser la vidéosurveillance algorithmique à proprement parler. Un cas de figure prévu par les textes, qui permet d’éprouver le système avant son utilisation réelle et dispense la police d’un arrêté préfectoral en autorisant le déploiement.

Ce premier test ouvre une période attendue par les industriels du secteur. Ces derniers se plaignent depuis longtemps de ne pas suffisamment confronter leurs solutions d’analyse des images de vidéosurveillance à des situations réelles et de ne pouvoir profiter pleinement d’un marché qui se superpose à celui de la vidéosurveillance. Ils ont été entendus par la loi sur les Jeux olympiques : le texte a clarifié le cadre légal applicable à la vidéosurveillance dite « augmentée » et libéré leurs mains pour déployer leurs solutions lors d’une période qui englobe les Jeux olympiques et paralympiques et court jusqu’au 31 mars 2025.

Trois sociétés retenues par le ministère

Un décret, adopté pendant l’été, précise le type d’événements que rechercheront les logiciels de vidéosurveillance algorithmique : la présence d’objets abandonnés, la présence ou l’utilisation d’armes, les mouvements de foule, les départs de feu, les chutes, le « non-respect par une personne ou un véhicule, du sens de circulation commun »« le franchissement ou la présence d’une personne ou d’un véhicule dans une zone interdite ou sensible » et une « densité trop importante de personnes ».

 

Alors que les logiciels d’analyse automatisée de vidéosurveillance n’ont jusqu’ici jamais prouvé leur efficacité, les entreprises du secteur espèrent convaincre les pouvoirs publics. Cette période d’expérimentation va permettre de « tester de manière expérimentale un nouveau mode d’utilisation qui a déjà fait ses preuves à des fins statistiques. La technologie a déjà prouvé sa capacité. La nouveauté est d’aller envoyer une alerte dans un poste de commandement », assure Matthias Houllier, cofondateur de Wintics.

Trois sociétés retenues par le ministère de l’intérieur pour mener à bien cette expérimentation seront en première ligne. Wintics, qui collabore déjà avec plusieurs collectivités françaises, a remporté le marché pour l’Ile-de-France et les transports. Videtics, implantée près de Nice, aura pour zone d’activité les régions Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes, la Corse et les régions d’outre-mer (où auront lieu plusieurs épreuves olympiques : le football, la voile et le surf). Chapvision, un conglomérat français très implanté dans le secteur régalien, opérera, lui, dans les autres régions françaises.

De futurs tests avec la SNCF et la RATP

Outre ce premier essai en marge d’un concert, le ministère de l’intérieur a aussi annoncé que d’autres tests seraient réalisés avec la SNCF et la RATP. Aucune date n’a été annoncée, mais ces expérimentations devraient avoir lieu dans les prochaines semaines.

 

A moins de cinq mois de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, le délai semble extrêmement court pour roder des systèmes à l’efficacité incertaine. D’autant plus que du retard a été pris : le ministère de l’intérieur ambitionnait un « déploiement dès le mois de novembre 2023 pour encadrer les manifestations liées à la période de Noël ». Un recours en justice intenté – et perdu – par une société éconduite de l’appel d’offres du ministère a fait traîner les choses.

La période de test de la vidéosurveillance algorithmique devra aussi dissiper les vives et multiples inquiétudes exprimées par la société civile et l’opposition au Parlement en matière de libertés publiques. La vidéosurveillance algorithmique n’est pas une simple amélioration de la vidéosurveillance déjà existante, a rappelé la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le gendarme des données personnelles, en 2022. En abolissant les limites humaines qui empêchaient le visionnage de l’intégralité des bandes vidéo, en s’ajoutant de manière invisible aux caméras déjà existantes et en se concentrant sur des lieux où s’exercent des libertés fondamentales (liberté d’aller et venir, d’expression, d’association, etc.), l’instance relevait que ces technologies constituaient un « changement de nature » dans la surveillance de l’espace public.

 

Florian Reynaud et Martin Untersinger