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Sainte-Soline : l’enregistrement qui prouve que le SAMU n’a pas eu le droit d’intervenir

Alors qu’une polémique s’est installée sur la possibilité de secourir les blessés lors de la manifestation contre la mégabassine, samedi 28 mars, une équipe de la Ligue des droits de l’homme a eu, en direct, confirmation que les forces de l’ordre interdisaient au SAMU d’intervenir. « Le Monde » a eu connaissance de cette conversation téléphonique.

Par Franck Johannès

 

La jambe d’un manifestant blessé, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars 2023.

La jambe d’un manifestant blessé, à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), le 25 mars 2023. PASCAL LACHENAUD / AFP

 

Les secours n’ont pas été empêchés d’accéder au site de Sainte-Soline lors de la manifestation contre la mégabassine du samedi 25 mars, a affirmé Farnam Faranpour, le chef du pôle des urgences de Niort, dans les Deux-Sèvres. Il a en revanche reconnu qu’il y avait eu des difficultés pour accéder aux blessés les plus graves, notamment aux deux jeunes gens entre la vie et la mort.


« Pour ce jeune homme gravement blessé, il y a eu un premier appel aux pompiers qui sont partis, mais la géolocalisation n’a pas permis de trouver le lieu, a expliqué l’urgentiste à France 3 Nouvelle-Aquitaine, mardi 28 mars. Donc, nous avons attendu d’autres appels pour préciser le lieu et nous avons finalement envoyé le SMUR de Ruffec qui était le plus proche des lieux. » Mais quand l’équipe est arrivée, elle a été arrêtée par des manifestants blessés qui avaient besoin de soins.

La Ligue des droits de l’homme (LDH) et plusieurs associations estiment, au contraire, que les forces de l’ordre ont interdit au SAMU 79 de se rendre sur le terrain de la manifestation, et disposent d’un enregistrement téléphonique qui semble l’établir. La LDH avait envoyé samedi six équipes de trois observateurs sur le terrain, en liaison avec quatre autres personnes, restées en appui dans une salle, dans la commune de Melle (Deux-Sèvres). Parmi eux, trois avocats, Sarah Hunet-Ciclaire, Chloé Saynac et Pierre-Antoine Cazau, ainsi qu’un médecin Jérémie F., généraliste en centre de santé, qui ne souhaite pas donner son nom.

« Pas opportun »

C’est dans cette salle qu’a été enregistrée, par la LDH, la conversation de 7 minutes 30 avec le SAMU, que Le Monde a pu consulter. Le téléphone du médecin sonne constamment, les équipes sur place lui signalent ici une plaie cervicale, là une mâchoire fracassée ou une fracture ouverte ; et il est convenu qu’il peut servir de coordinateur. Il a déjà appelé le médecin régulateur du SAMU, d’abord pour réclamer un hélicoptère, ensuite parce que les observateurs de la LDH lui ont dit que les secours n’arrivaient pas, et qu’il y avait au moins un blessé dont le pronostic vital était engagé.

Il est 14 h 50 lorsque le docteur F. rappelle les pompiers.

« − Un pompier : Je viens d’avoir le SAMU sur place qui me dit, on n’envoie personne sur place, le point de regroupement des victimes est à l’église de Sainte-Soline, une fois qu’ils seront là-bas, l’engagement des moyens sera décidé.

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− Le médecin : Ecoutez, je pense que c’est une, que ce n’est pas, enfin, je pense que ce n’est pas opportun comme décision.

− Le pompier : Alors moi je suis ni décideur, ni…


− Le médecin : Attendez, attendez. Mais moi je vais vous expliquer. Moi, je suis médecin et en fait, là, il y a des observateurs de la LDH, la Ligue des droits de l’homme qui sont sur place, qui disent que c’est calme depuis une demi-heure. Donc en fait, vous pouvez intervenir et moi, mon évaluation à distance avec des éléments parcellaires que j’ai, c’est qu’il faut une évacuation immédiate.

− Le pompier : Je vais vous repasser le SAMU. Ne quittez pas. (…)

− Le SAMU : Allo, oui le SAMU, bonjour.

− Le médecin : Oui, c’est vous que j’ai eu tout à l’heure au téléphone ?

− Le SAMU : Oui.

− Le médecin : Super. Vous en êtes où, là, de la plus grosse urgence absolue de ce que j’ai comme impression, moi, de loin ?

− Le SAMU : Alors déjà le problème, c’est que vous n’êtes pas sur place, donc c’est un peu compliqué. On a eu un médecin sur place et on lui a expliqué la situation, c’est qu’on n’enverra pas d’hélico ou de SMUR sur place, parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de l’ordre.

− Le médecin : OK, est-ce que… Alors moi je suis avec des observateurs de la Ligue des droits de l’homme qui disent que leurs observateurs sur place disent que c’est calme depuis trente minutes et qu’il est possible d’intervenir ?

− Le SAMU : Je suis d’accord avec vous, vous n’êtes pas le premier à nous le dire. Le problème, c’est que c’est à l’appréciation des forces de l’ordre dès qu’on est sous un commandement, qui n’est pas nous.

− Le médecin : D’accord.

− Le SAMU : Donc, pour l’instant, on attend de rassembler les victimes au niveau de l’église de Sainte-Soline, c’est ce qui est en train d’être fait, avec des moyens pompiers qui se déplacent sur site pour prendre en charge et ramener. Pour l’instant, pas de moyens de SMUR ou d’hélico qui peuvent se pointer sur place.


− Le médecin : La LDH me dit qu’il y a des médecins militaires qui viennent d’arriver sur place. Est-ce que vous avez cette information vous aussi ou pas ?

− Le SAMU : Les médecins militaires, ils sont là pour les forces de l’ordre. C’est leur service de médecine pour les forces de l’ordre.

− Le médecin : La Ligue des droits de l’homme a demandé s’il y avait un contact au niveau du commandement à transmettre pour qu’on puisse intervenir ?

− Le SAMU : Négatif, négatif.

− Le médecin : Est-ce que vous voulez que je vous passe la Ligue des droits de l’homme ?

− Le SAMU : Non plus. On gère les victimes pour l’instant et les secours, j’aurais pas le temps d’aller…

« On n’a pas l’autorisation »

− Le médecin : D’accord, d’accord, je veux juste faire accélérer le truc.

− Le SAMU : Il faut qu’ils fassent le point, dans ce cas il faut qu’ils contactent la préfecture.

− L’avocate de la LDH Chloé Saynac : Vous avez interdiction d’intervenir ? Vous confirmez que vous avez interdiction d’intervenir ?

− Le SAMU : On n’a pas l’autorisation d’envoyer des secours sur place, parce que c’est considéré comme étant dangereux sur place.

− L’avocate : Et si vous n’y allez pas, ce ne serait pas une non-assistance à personne en danger ?

− Le SAMU : Nous devons avoir nos secours en sécurité également, malheureusement on n’a pas l’autorisation de les envoyer comme ça.

− L’avocate : Vous n’avez pas l’autorisation des forces de l’ordre ? Ou de ?

− Le SAMU : On n’a pas l’autorisation de toutes les institutions sur place, pour l’instant, on est sous leur commandement.

− L’avocate : Quelles institutions du coup ? On a besoin d’analyser très clairement parce qu’il y a quelqu’un qui peut décéder, donc pour que les responsabilités soient établies on a besoin de savoir.

− Le SAMU : On fait au mieux, mais malheureusement, il y en a d’autres…


− L’avocate : Qui interdit l’accès à ces personnes en danger grave, vital ?

− Le médecin : Et donc vous confirmez que c’est la préfecture qui a interdit l’accès ? C’est ça, en fait ?

− Le SAMU : Non, c’est pas la préfecture qui interdit l’accès, je vous dis que c’est le commandement sur place.

« On ne peut pas faire plus »

− Le médecin : OK. Comment on fait pour contacter le commandement sur place ?

− Le SAMU : Ben, il faut passer par la préfecture. Je ne peux pas vous les passer directement.

− Le médecin : OK. Est-ce qu’on peut faire le 17 ? On peut avoir le commandement sur place ? Vous croyez ?

− L’avocate : Et c’est quoi, vous, votre contact avec eux ?

− Le SAMU : Nous, malheureusement, le SAMU, on est juste là, en fait on nous demande d’envoyer des moyens qu’on envoie à des points donnés, on ne peut pas faire plus.

− L’avocate : Je sais bien, je comprends, mais on essaie de vous permettre de travailler là, parce que vous êtes empêchés de travailler.

– Le SAMU : Oui, oui, mais du coup, on monopolise une ligne une urgence. Merci beaucoup, au revoir. »

Le SAMU 79 a indiqué sur Twitter : « La justice fera son travail, et nous nous mettrons à leur disposition pour leur donner l’ensemble des informations nécessaires comme nous le faisons dans chaque enquête. »