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Journal d'épidémie

Covid-19 : «Le taux de positivité explose et on ne surveille plus le virus», Christian Lehmann

 

Aujourd’hui, une myriade de professionnels de santé témoigne de la recrudescence des cas et de l’incrédulité des patients.
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«Dans les établissements de soins, on découvre des clusters avec du retard car le dépistage n’est plus un réflexe», témoigne Maxime Libert, biologiste de 40 ans. (Magali Cohen/Hans Lucas via AFP)

 

Depuis le début de la semaine, les consultations et téléconsultations s’enchaînent pour des symptômes pseudo-grippaux, avec une majorité de patients incriminant dans un premier temps les changements de temps, la climatisation, ou les fameux virus hivernaux de l’été dont les ont abreuvé les rassuristes de plateau, avant d’acquiescer lorsque je leur recommande de réaliser un PCR, et de me rappeler, dans un tiers des cas au moins, avec un test positif. Et c’est le cas un peu partout en France, comme en témoignent de nombreux soignants.

Gregory, infirmier au bloc opératoire

«Les symptômes viraux sont en très nette augmentation mais aucun test Covid n’est effectué dans les services.»

 

Barbara, infirmière libérale dans l’Orne

«J’ai plusieurs patients dont la symptomatologie évoque fortement le Covid mais quels que soient mes arguments ils refusent de se tester : “Ça ne peut pas être ça, c’est n’importe quoi !” Et, en période estivale, leur médecin étant absent ou surchargé, donc difficilement joignable, pour appuyer mon conseil, ils restent sans diagnostic au sein de leur famille.»

Sandrine, pharmacienne

«J’ai pas mal de demandes de Humex rhume au comptoir en ce moment et quand, devant les symptômes énoncés, j’évoque le Covid, les gens me regardent avec des yeux ronds.»

Ingrid, infirmière dans les Côtes-d’Armor

«Je fais des tests antigéniques à mes patients malades, par acquit de conscience. Ils sont quasiment tous positifs. Mais sans PCR, aucune déclaration n’est possible, et cerise sur le gâteau, je ne suis pas payée.»

Sacha est étudiant en 5e année de pharmacie et l’une des personnes derrière Vitemadose et Covidtracker

«On a une recrudescence de patients qui viennent avec mal de gorge, mal de tête, petite fièvre, le médecin ne les a pas fait tester, la pharmacie non plus souvent. Quand on leur propose un antigénique, ils refusent en disant qu’ils feront un autotest. Quant aux gens qui arrivent positifs, ils sont souvent renvoyés chez eux, même quand ils ont 65 ans et des facteurs de risque, tout le monde semble avoir oublié l’existence du Paxlovid. J’ai l’impression que personne n’a rien retenu de cette pandémie, on se fait traiter d’alarmistes, on prend des «tu ne penses qu’au Covid», comme si on faisait ça par choix, comme si ça nous amusait…»

Criblage a été arrêté depuis le 1er juillet

Comment en sommes-nous arrivés là, trois ans et demi après le début de la pandémie, alors que nos ministres de la Santé, l’un après l’autre, nous assurent doctement que la France est prête à toute éventualité et surveille avec zèle et vigilance la situation sanitaire ? Maxime Libert, biologiste de 40 ans, estime que le gouvernement français a en fait choisi l’aveuglement volontaire :

«Depuis le début de la crise sanitaire, la France s’est dotée d’un outil de suivi des détections du Sars-CoV-2 avec le Système intégré de dépistage populationnel (Sidep) : les résultats des tests PCR (depuis juin 2020) et antigéniques (depuis novembre 2020) étaient intégrés dans une base de données nationale. Les laboratoires d’analyses médicales, les pharmaciens d’officine, les infirmiers libéraux, les médecins de ville devaient ainsi saisir dans cette base de données chaque test Covid réalisé (positif ou négatif). Ce dispositif permettait d’une part d’assurer un accès du patient à ses résultats (envoi d’un mail, d’un SMS, consultation sur un site web, édition d’un certificat de test…) et d’autre part d’alimenter en sources ouvertes des fichiers anonymisés permettant de suivre l’évolution des nouveaux diagnostics (avec date, département, tranche d’âge des patients). Ces outils ont montré depuis trois ans leur capacité à anticiper les pics hospitaliers liés au Covid, et par là-même servir d’outil pour mener si besoin des actions de prévention et tracer l’évolution de l’épidémie. A la suite de la fin de l’état d’urgence sanitaire, le Sidep a été anonymisé (destruction de l’ensemble des données nominatives) et réservé aux résultats des seuls tests PCR depuis le 1er juillet : les résultats des tests PCR sont donc transmis au ministère, mais ne sont plus accessibles en sources ouvertes (ni même sous forme de synthèse, contrairement à ce qui avait été annoncé). La situation est même paradoxale car le Covid est donc devenu à cette même date la 37e maladie à déclaration obligatoire… mais dont la déclaration ne peut être réalisée que par un biologiste médical suite à un PCR positif (pas de prise en compte des tests antigéniques). Une remise à plat des outils de suivi épidémiologiques est prévue avec la future plate-forme LABOé-SI qui devrait prendre la suite de Sidep et l’élargir au suivi d’autres pathologies, mais a priori rien ne sera prêt avant mi-novembre.

«Autre exemple de la perte de réactivité de nos dispositifs de suivi : la France s’était dotée d’un système dit de «criblage» permettant, sur chaque test PCR positif, de rechercher des mutations d’intérêt et de les identifier en moins de vingt-quatre heures (contre cinq à dix jours pour un séquençage). Ce criblage a été arrêté depuis le 1er juillet alors qu’il aurait pu mettre en évidence le nouveau variant sous surveillance BA.2.86 qui inquiète actuellement l’OMS. Les capacités de séquençage ont elle aussi subi un arrêt quasi complet : la France était devenue une des nations réalisant le plus de séquençages en 2022 (avec près de 18 000 /semaine), mais les consignes ont été modifiées au 1er janvier, ce qui conduit à ne réaliser que quelques centaines de séquences hebdomadaires.. bien loin d’autres pays qui ont maintenu cette surveillance et peuvent alerter en cas d’apparition d’un nouveau variant.

Net changement des comportements

«On voit chacun de notre côté les vagues de contamination par l’évolution du taux de positivité, et celui-ci explose en ce moment : on atteint 25 %, pire qu’aux pics de débuts d’année ! Le même phénomène se produit dans les établissements de soins, où on découvre des clusters avec du retard car le dépistage n’est plus un réflexe… Disons les choses franchement, il s’agit parfois d’un choix délibéré de ne pas réaliser de test afin de ne pas risquer qu’un Covid découvert lors d’un séjour hospitalier soit considéré comme une infection nosocomiale. Le suivi de l’impact hospitalier est lui aussi largement supprimé : les données hospitalières (nombre de patients Covid hospitalisés, type de service d’hospitalisation, âge…) étaient saisies dans une base SI-VIC (Système d’identification unique des victimes). Cette saisie était déjà devenue très incomplète en pratique depuis plusieurs mois, mais les consignes de saisies sont désormais levées. Pour parler clairement, nous ne connaissons plus le nombre de patients hospitalisés avec un Covid en France.

«L’immense majorité des cas passe sous le radar, entraînant des contaminations en chaîne. On ne surveille plus ce virus qui a tant muté pour déjouer l’immunité depuis le début, on ne sait pas combien de patients présentent des formes graves… Bref, on est dans le brouillard et on le sera encore davantage à la rentrée avec une probable augmentation des cas : la population n’a pas acquis les réflexes de prévention (et on a constaté que c’est seulement un test positif qui les conduisait à adopter certains gestes de prévention), la politique de test est inconnue (Quel type de test ? A la recherche conjointe du VRS et de la grippe ?) et la politique de séquençage pour identifier des évolutions du virus est à l’abandon. Enfin, on constate un net changement dans les comportements depuis la fin du printemps – surtout en fait au moment où un test positif ne nécessitait plus d’isolement (malgré le risque persistant de contamination) et ne permettait plus de bénéficier d’un arrêt de quelques jours. Pour la majorité des Français, cela a constitué le signe que “le Covid c’est devenu un simple rhume“ ou encore que “c’est fini désormais”. Actuellement, il n’y a quasiment plus aucun patient qui vient se faire tester spontanément. Dans la majorité des cas, ils vont voir leur médecin pour une fatigue, de la fièvre, un mal de gorge, une toux, sans avoir pensé au Covid (ou s’être basé sur un seul autotest négatif), et ont fait le diagnostic sur prescription d’un PCR par le médecin. Les patients sont souvent surpris : “Mais je pensais qu’il n’y en avait plus ? On n’en entend plus parler…”»