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Le retour du Covid, qui aurait pu le prédire ?

Libération
Société, jeudi 10 août 2023 1224 mots

Le retour du Covid, qui aurait pu le prédire ?

Christian Lehmann

 

Christian Lehmann est médecin et écrivain. Pour «Libération», il tient la chronique d'une société longtemps traversée par le coronavirus. Aujourd'hui, il pointe le refus collectif de réagir face à la recrudescence des cas de Covid en plein coeur de l'été.

 

Qui aurait pu prédire ? Mon premier signal d'alerte, c'était en fin de semaine dernière dans cette grande pharmacie de Bayonne où, de manière très inhabituelle, toutes les préparatrices portaient un masque. C'est en déchiffrant la une du journal régional Sud-Ouest sur un présentoir que j'ai compris que la chenille avait redémarré : «Je n'en reviens pas, ça explose !» Le Covid refait surface après les fêtes de Bayonne 2023. Et dans les jours qui ont suivi, j'en ai eu la confirmation, quand les amis qui avaient fait les fêtes six jours auparavant et avaient traîné leur rhume, leur toux et leur mal de gorge d'apéro en soirée familiale se sont fait tester en entendant dans le poste que c'était reparti.

 

Yann a 56 ans, il est brocanteur et fait partie des personnes vulnérables. Immunodéprimé traité par immunoglobulines en milieu hospitalier, insuffisant respiratoire, il avait jusqu'ici échappé au Covid en restant extrêmement prudent : «Je fais super gaffe depuis des années et j'étais resté à zéro-Covid. J'ouvre le journal local vendredi matin et j'apprends qu'il y a une grosse vague. Depuis quelques heures je ressens des symptômes ORL, des tremblements, des courbatures et puis une fièvre violente. J'ai évité les fêtes mais je connais les chaînes de contamination. Les jeunes s'infectent, ramènent le virus en famille auprès de leurs aînés, et le virus se diffuse chez les gens fragiles dans un second temps. Je fais un premier autotest, négatif. Le lendemain matin, un second, positif. Débute la galère... On est samedi, pas de médecin, S.O.S médecins est submergé, le 15 n'a pas de solution pour moi, alors que mon état nécessite une prescription de Paxlovid, car je suis à risque de développer une forme grave.»

 

Il reprend : «Je me souviens de mon interniste hospitalier, vu trois semaines auparavant, qui s'était inquiété de mon état... psychique : "Vous prenez quelque chose pour votre anxiété ? Vous vous rendez compte que vous êtes là seule personne dans l'hôpital à porter un masque ?" Lorsque je lui ai demandé si je devais me revacciner, il a haussé les épaules : "On ne vaccine plus, le Covid, c'est fini." J'ai réussi à trouver un pharmacien qui m'a avancé du Paxlovid avec la seule boîte qui lui restait en acceptant que mon généraliste régularise par la suite. Et deux jours après, je suis allé à S.O.S Médecins pour réaliser un PCR afin d'avoir une trace du diagnostic au cas où par la suite je développerais des séquelles. Là, tout le monde portait un masque, sauf le médecin. L'infirmière m'a confirmé ce que je craignais : les tests antigéniques ne sont pas décomptés, et les PCR, c'est très flou. Il est censé y avoir une déclaration obligatoire mais je ne pense pas que ce soit colligé.»

 

Volontarisme aveugle

L'épidémie était pourtant terminée, et celles et ceux qui s'en inquiétaient encore étaient, comme Yann, taxés d'anxiété phobique ou d'un syndrome de Stockholm. «Il est très intéressant de noter que si l'on tweete que la pandémie est derrière nous, quand bien même on assortit son message d'un rappel à la vigilance en signalant l'incertitude sur l'avenir, on se reçoit une bordée de messages furieux, frisant parfois l'injure», tweetait le 30 juillet le professeur Antoine Flahault, professeur de santé publique à l'université de Genève ayant, depuis le début du Covid, joué un rôle important de prévention... «Trois hypothèses (non exclusives) pour expliquer pareil courroux chez certains twittos : certains souffrent encore du Covid et se sentent rejetés par ces propos ; d'autres sont perdus par les infos contradictoires ; D'autres seraient atteints d'un syndrome de Stockholm.

 

Une relation affective se serait tissée entre le SARS-CoV-2 et certains de ses otages. Le comportement paradoxal - celui de ne pas se réjouir de la nouvelle que la prise d'otages est terminée - semble alors incompréhensible à ceux qui ne l'ont pas vécue (ou pas de la sorte).»

Qui aurait pu prévoir ? Depuis des mois, le gouvernement a choisi le volontarisme aveugle. Emmanuel Macron qui, en mars 2020, nous avait mis en garde contre un ennemi invisible, avait décrété la fin de partie, et le ministère de la Santé avait suivi. Pas de masque dans les lieux de soins, pas d'investissement dans la qualité de l'air en lieu clos malgré les promesses électorales, pas de politique de test, pas de surveillance des eaux usées, pas d'isolement pour les personnes malades et éventuellement de rares arrêts de travail au compte-gouttes si les personnes malades et contaminantes ne pouvaient vraiment pas se traîner à leur poste pour aller y disséminer leurs miasmes.

 

La France avait tellement bien vaincu le Covid que Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, pouvait sans sourciller se scandaliser de l'augmentation des arrêts de travail ces dernières années, et l'Assurance maladie balancer des pourcentages d'arrêts de travail autodéclarés injustifiés sortis du chapeau. Nous avancions dans l'été sans aucun moyen de surveillance, tandis que, dans de nombreux pays, les prémisses d'une nouvelle vague apparaissaient. Et alors qu'il aurait fallu rappeler quelques mesures simples, toute la semaine, les habituels suspects rassuristes avaient fait le tour des plateaux, la palme revenant une nouvelle fois au docteur Gérald «Pas de test, pas de Covid» Kierzek.

 

Cascade réservée aux professionnels

Le 7 août, dans l'émission Télématin, le directeur médical de Doctissimo nous expliquait doctement que «ces espèces de petits virus de l'hiver» avaient refait surface en profitant du temps maussade. «Mais vous avez remarqué, on ne parle pas du SARS-CoV-2, le Covid, on n'en parle pas du tout, on fait plus de tests d'ailleurs, il est probable que si on faisait des tests comme on en a fait à l'époque, disons il y a deux ou trois ans, on retrouverait des virus apparentés au SARS-CoV-2, mais heureusement - et je ne vais pas vous dire qu'il faut faire des tests - on ne fait plus de test Covid.» Interrogé sur la reprise du Covid à Bayonne, il bottait en touche sur les rhinovirus : «Covid ou pas Covid, finalement, ça ne change pas grand-chose.»

 

Alors que les infections répétées de Covid peuvent entraîner jusqu'à 10 % de séquelles invalidantes à type de Covid long, ce genre de cascade, me suis-je dit, est réservé aux professionnels de plateaux télé. Il poursuivait avec quelques conseils sanitaires quand même : aérer dix minutes, au moins deux fois par jour, se passer les mains au gel hydroalcoolique, éternuer dans son coude, ne porter un masque que si on est malade, et encore... J'hallucinais, on se serait cru renvoyé en mars 2020.

 

Quelque part dans ma tête, Bill Murray avalait son micro, la marmotte retournait dans son terrier. Quelqu'un avait rembobiné la cassette VHS d'Un jour sans fin. Alors qu'il n'aurait pas été si difficile de donner quelques conseils de prévention simples, peu intrusifs : le Covid est toujours là, et ne disparaîtra pas de sitôt. Les vaccins protègent des formes graves mais leur effet contre la transmission est fugace. Les infections répétées peuvent entraîner des séquelles. Aérez au maximum et, si vous êtes malades, portez un masque FFP2 ou isolez-vous le temps de vous tester afin d'éviter de contaminer vos proches et, parmi eux, les plus vulnérables.