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entre souverainisme et confusionnisme

À Béziers, une soirée Ménard-Montebourg entre souverainisme et confusionnisme

 

14 juin 2024 | Par Prisca Borrel

 

Le maire de Béziers a accueilli jeudi l’ex-ministre socialiste en grande pompe sur les planches du théâtre municipal. Pendant près de deux heures, les deux hommes ont affiché une amitié et une proximité nouvelles.

Béziers (Hérault).– Il l’a annoncé sans détour, s’il est venu jusqu’ici, c’est pour parler économie. Mais entre les lignes, sur les planches du théâtre municipal de Béziers jeudi 14 juin, la politique était partout. L’ex-ministre socialiste Arnaud Montebourg avait répondu à l’invitation de Robert Ménard et de son think tank pour une causerie autour du « made in France », dont le Bourguignon est devenu l’ambassadeur après son pseudo-départ de la scène politique en 2014.

Mais au lendemain de la dissolution de l’Assemblée nationale, et à quelques semaines des législatives qui ont déjà largement rebattu les cartes de l’échiquier politique, cette rencontre a pris l’allure d’un étrange raout souverainiste entre amis.

Élu avec le soutien de l’extrême droite en 2014, Robert Ménard n’a pas caché sa joie de recevoir celui qu’il considère comme « un ministre à part ». Montebourg, « c’est le type qui défend le made in France », et pas un « technocrate ». Son principal défaut ? « Il n’était jamais venu à Béziers », s’est étonné Ménard, ignorant que l’ancien rénovateur du PS s’était par le passé rendu de nombreuses fois dans la cité biterroise, mais conforté par les quelque 300 spectateurs et spectatrices au son d’un grand « Ouuuhh ! ».

 

7ea08555d82f6f354681dcbe4213789b.jpgArnaud Montebourg (à gauche) et Robert Ménard, à Béziers, jeudi 13 juin 2024. © Photo Prisca Borrel / Mediapart

 

Jusqu’ici, les deux politiques avaient toujours milité dans des camps opposés. En 2017, Montebourg avait même tenté un come-back lors de la primaire du PS, avant de soutenir Hidalgo (Parti socialiste) en 2022 à la présidentielle, puis en mai Roussel et Deffontaines (Parti communiste français) pour les européennes. Au fil de son intervention, celui qui s’est reconverti dans la création d’entreprises s’est d’abord évertué à justifier sa présence, assurant les spectateurs d’une expertise économique « transpartisane ».

Mais après avoir fustigé le millefeuille administratif, les limites de l’Europe, l’inertie des dirigeants successifs et la façon dont « la France s’est fait racheter en pièces détachées », l’ancien ministre a fait le show en empruntant le lexique populiste de Ménard, et en surjouant la carte de l’identification au public biterrois.

Pour l’occasion, l’ancien ministre a rappelé qu’il était un « enfant du Morvan », convaincu qu’il ne fallait pas attendre que « Paris » se saisisse du problème de la désindustrialisation de la France. « On s’en sortira par le bas, via les territoires et les chefs d’entreprise », a-t-il insisté. Après sa carrière politique, l’homme assure être reparti de zéro. « Je n’ai pas de soutien, je n’ai pas d’argent, je n’ai pas de compte en Suisse… J’ai fait de la politique honnêtement, je ne suis pas Cahuzac », assène-t-il, face à un public hilare. « Non, mais puisqu’on est au théâtre… », cabotine-t-il.

« Vous êtes une énigme »

Comme happé par son public du jour, issu du monde de l’entreprise pour l’essentiel, Arnaud Montebourg s’est complètement délesté du bagage socialiste qui était le sien. « On ne peut pas régler les problèmes par des visions idéologiques tranchées », martèle-t-il au côté de Ménard, qui a déjà lui-même largement ratissé l’échiquier politique de droite et d’extrême droite, et qui ne cesse d’acquiescer.

Sur la scène, Montebourg a lui aussi accumulé les références à sa propre ambivalence politique. Comme lorsqu’il a raconté être intervenu à Sciences Po, une institution réputée de gauche, « où même les directeurs s’étaient déplacés pour écouter toutes les horreurs qu[’il] allai[t] déclamer devant leurs étudiants naïfs », ironise-t-il.

Ce que Montebourg n’a pas dit en revanche, c’est qu’il est aussi très proche du milliardaire d’extrême droite Pierre-Edouard Stérin – propriétaire du journal Valeurs actuelles – et dont il a été l’un des représentants, le 12 juin, dans le cadre des négociations de reprises du journal Marianne. Il n’a rien dit non plus sur le fait que son récent entretien avec le philosophe Marcel Gauchet, dans lequel il appelle entre autres à remettre en cause la justice européenne, a été relayé sur le réseau social X avec enthousiasme par Marine Le Pen.

« Vous êtes une énigme pour moi », l’a finalement interpellé un spectateur peu réceptif au spectacle, pointant l’étrange dichotomie entre son discours et celui de sa « classe politique » :« Pourquoi avez-vous choisi un parti de gauche, plutôt qu’un parti de droite ? »

Une question à laquelle Montebourg ne répondra pas. Ni le lieu ni le moment. « Chaque politique a un hémisphère droit et un hémisphère gauche », a préféré rétorquer l’ancien ministre, qui n’a d’ailleurs pas pris position pour les législatives à venir, et qui analyse ses propres contradictions à l’aune de ses racines et de son histoire personnelle.

On connaissait déjà ses origines algériennes côté maternel (depuis la primaire socialiste de 2011), mais jeudi, c’est son père et ses oncles, des artisans bouchers « partisans de la droite poujadiste », qui furent à l’honneur.« C’est pas honteux, il fallait tenir la boutique ! », a même surenchéri Montebourg, avant d’en assumer ouvertement l’héritage : « Les gamètes se sont mélangés, et je suis né. »

Coming out populiste, ou posture spécialement ficelée pour l’occasion ? Seule certitude, ce soir-là, les deux hommes semblaient en osmose. Même vision, même façon de brouiller les pistes. Même pratique du revirement politique… Au premier rang, la députée Emmanuelle Ménard, qui se présentera sans le soutien du RN pour la toute première fois le 30 juin prochain, n’en perdait pas une miette. De quoi alimenter encore ce confusionnisme qui traverse la classe politique après la claque des européennes.

« Vous voyez, il est à la hauteur de sa réputation », s’est emballé Ménard en fin de soirée, dans ce théâtre à l’italienne qui leur a fourni l’écrin idoine. Tout pile sous les joueurs de lyre et de pipeau du magnifique plafond peint.