Le chef de la BRAV-M a été mis en examen en janvier pour des violences lors d’une manifestation à Paris
EnquêteLe 28 novembre 2020, le commissaire S. a fracturé le nez d’un journaliste syrien et frappé un étudiant au sol au cours d’une manifestation contre la loi dite « de sécurité globale » à Paris. Il est notamment poursuivi pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ».
Le commissaire S. (anonymisé sous la lettre P. dans de précédents articles), qui dirige les compagnies d’intervention et la brigade de répression de l’action violente motorisée (BRAV-M) de la Préfecture de police de Paris, a été mis en examen en janvier, a appris Le Monde de source judiciaire. Depuis, ce jeune commissaire de 33 ans continue de participer aux opérations de maintien de l’ordre parisiennes et dirige toujours les mille trois cents agents placés sous sa responsabilité. Selon les informations du Monde, son remplacement serait prévu pour après les Jeux olympiques.
Les faits qui lui sont reprochés, révélés en 2021 dans une enquête vidéo du Monde, lui valent d’être poursuivi pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique » et pour « violences volontaires ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours par personne dépositaire de l’autorité publique et avec arme ».
Le 28 novembre 2020, au cours d’une manifestation contre la loi dite « de sécurité globale », le commissaire S. a fracturé le nez d’un journaliste syrien, Ameer Al-Halbi, à l’aide de sa matraque télescopique, et a frappé un étudiant effondré au sol, rue de la Bastille, à Paris. Au cours de la même charge, menée après des affrontements intenses avec des manifestants violents, le policier a porté onze coups, en moins de vingt secondes, sur des journalistes ou des manifestants lui tournant le dos.
Plus de trois ans après les faits, Ameer Al-Halbi souffre encore de séquelles physiques, son nez étant toujours déformé malgré une opération chirurgicale. « Monsieur Al-Halbi attend beaucoup de cette procédure judiciaire car, plus de trois ans après les faits, il reste traumatisé physiquement, psychologiquement et professionnellement, affirme Hugo Lévy, son avocat. Après avoir traversé la guerre en Syrie entre 2011 et 2016, être blessé, en France, en 2020, en faisant son travail de journaliste, c’est difficile pour lui, et il ne l’acceptera pas. »
Après avoir rapidement bouclé son enquête administrative, quelques semaines après les révélations du Monde, l’inspection générale de la police nationale (IGPN, la police des polices) a proposé à la hiérarchie du commissaire que celui-ci écope d’un blâme. En réponse, Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation (DOPC), et supérieur du commissaire, a suggéré de revoir cette proposition de sanction à la baisse et d’opter plutôt pour un avertissement. Depuis fin 2022, le dossier se trouve sur le bureau du préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, qui ne s’est toujours pas prononcé : aucune sanction n’a donc été prise.
En revanche, pour son comportement au cours de cette même journée de manifestations émaillée de violences, le préfet de police de l’époque, Didier Lallement, a décerné au fonctionnaire une médaille de bronze pour acte de courage et de dévouement. Dans sa lettre de félicitations, il lui écrivait : « Je tiens à saluer les qualités dont vous avez fait preuve (…).Dans des conditions particulièrement difficiles, vous avez assuré votre mission avec une détermination et un engagement exemplaires. »
« Jeune fonctionnaire particulièrement motivé »
Au moment des faits, le jeune commissaire avait rejoint la préfecture de police de Paris en tant que chef adjoint de la division d’information et d’intervention (DII), qui regroupe entre autres les compagnies d’intervention, dont la BRAV-M, chargées d’assurer des missions de maintien de l’ordre dans Paris et sa petite couronne. A moins de 30 ans, il impressionnait déjà ses supérieurs, à court de superlatifs pour qualifier sa compétence. Six mois après son arrivée, ils évoquaient déjà un « jeune fonctionnaire particulièrement motivé et disponible qui démontre des qualités exceptionnelles », « sportif, intelligent, professionnel et pédagogue », « sans doute promis à la réussite dans toutes les fonctions qu’il exercera car son implication et sa soif d’apprendre sont à la hauteur du bagage qu’il possède déjà ».
Le commissaire s’est également distingué par une approche du maintien de l’ordre sensiblement différente de ses prédécesseurs. Là où, traditionnellement, sont attendus sang-froid, hauteur de vue et retenue – notamment dans les ordres donnés aux effectifs sur le terrain –, il semble privilégier une autre ligne de conduite. Ainsi, le 28 novembre 2020, il mène les charges matraque en main, en tête de ses agents.
Cette approche semble séduire, à en croire les louanges appuyées de son supérieur, Jérôme Foucaud : « [S.] représente la nouvelle génération de commissaire DOPC. Très engagé, volontaire, extrêmement courageux, il est un guide solide pour les unités avec lesquelles il travaille », écrit ce dernier dans une évaluation de l’attitude du commissaire S., sans crainte de se contredire. Dans un entretien publié la même année par un site consacré aux questions de sécurité, M. Foucaud préconisait en effet une autre stratégie pour ses cadres : « Je dis à mes commissaires qui partent en chargeant que ce n’est pas leur place, car ils doivent avoir une vue d’ensemble afin d’organiser les manœuvres. C’est uniquement de cette façon qu’il est possible d’éviter des dérapages. »
« Indices graves et concordants »
Le commissaire S. prend la tête de la DII au mois de septembre 2022, trois ans après son arrivée. Très impliqué dans les opérations de maintien de l’ordre, lui-même estime avoir participé à plus de deux cents dispositifs par an. Certains lui valent d’autres déboires, tant administratifs que judiciaires. Son nom apparaît ainsi dans l’enquête sur la gestion des supporteurs anglais à l’occasion de la finale de Ligue des champions au Stade de France, le 28 mai 2022. En 2023, il faisait également l’objet d’un signalement à l’IGPN après avoir notamment insulté un émeutier interpellé pendant les manifestations du 1er Mai, à Paris. « Ta gueule ! », « Grosse merde ! », lui avait-il notamment lancé au cours d’une séquence filmée puis diffusée sur les réseaux sociaux. Le signalement n’a pas eu de suites.
Dernier épisode en date, à l’issue d’un interrogatoire en vue d’une éventuelle mise en examen, le commissaire a finalement été placé sous le statut plus favorable de témoin assisté, en janvier 2024, pour « violences volontaires par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente », selon une source judiciaire confirmant une information de l’AFP. Au cours d’une manifestation contre la réforme des retraites, le 23 mars 2023, une grenade de désencerclement de type GENL lancée par le commissaire avait éborgné Sébastien N., syndicaliste Sud-Rail. Celui-ci se tenait non loin d’affrontements entre des agents du commissaire et des manifestants, mais n’y prenait pas part et tournait le dos au commissaire, les mains dans les poches, au moment du lancer.
Il est également reproché au commissaire S. de ne pas avoir rempli de fiche TSUA (traitement relatif au suivi de l’usage des armes), une formalité à laquelle est censé se plier tout agent ayant utilisé une arme. A propos du placement sous le statut de témoin assisté, l’avocate de Sébastien N., Me Aïnoha Pascual, s’étonne « que l’on considère comme normal qu’un commissaire puisse ne pas remplir sa fiche TSUA, qu’il puisse lancer une grenade sans sommation, bref, qu’il ne respecte pas les dispositions légales. Ça devrait constituer des indices graves et concordants suffisants pour une mise en examen. »
Me Anne-Laure Compoint, qui défend le commissaire S. dans ces deux affaires, a tenu à rappeler que ce dernier restait présumé innocent. Contactée, la préfecture de police de Paris n’avait pas répondu au moment de la publication de cet article.
Mise à jour le 23 juillet à 18 heures : suppression de la mention du placement sous contrôle judiciaire du commissaire S.. Le parquet de Paris a infirmé cette information, qu’il avait pourtant confirmée au Monde avant publication.