Peut-on traiter efficacement son eau du robinet ?
Par Pascale Krémer
Publié le 07 mars 2025
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Dorénavant, chaque fois qu’ils ouvrent le robinet de la cuisine pour remplir un verre, ils doutent. Est-ce bien prudent de boire cette eau ? Une moitié (49 % exactement) des Français jugent insuffisantes les actions mises en place par les pouvoirs publics pour préserver la qualité de l’eau du robinet, révèle le baromètre Kantar-Cieau 2024, publié le 11 février. Ils sont 54 % à s’estimer insuffisamment informés sur les polluants émergents – PFAS (dits « polluants éternels ») et microplastiques en tête.
Lancées jusque dans les rapports officiels, les alertes répétées sur la baisse de la qualité de l’eau potable, massivement contaminée par les pesticides et leurs produits de dégradation, inquiètent de plus en plus. Bien que coûteuse, l’eau en bouteille plastique n’est pas davantage préservée (des microplastiques, notamment) et, par ailleurs, écologiquement peu soutenable. Alors nombre de particuliers se sont équipés ou s’interrogent sur l’acquisition d’un système individuel de filtration. Toujours selon le baromètre Kantar-Cieau, 19 % des Français interrogés tentent de se protéger des polluants avec une carafe filtrante. Dans le même objectif, 13 % ont installé un filtre à leur robinet.
En fait, l’offre de purificateurs d’eau domestiques est pléthorique, peu compréhensible pour quiconque n’est pas féru de physique-chimie, et laisse bien des doutes sur son efficacité réelle. Revue de détail.
Les graines de Moringa et perles de céramique, contre les bactéries et le chlore
Réduites en poudre, les graines de l’arbre Moringa oleifera, originaire d’Inde et du Sri Lanka, libèrent des protéines qui se lient aux impuretés présentes dans l’eau et les agrègent. Par coagulation, ce dépolluant naturel diminue la turbidité de l’eau et lutte uniquement contre virus et bactéries.
Les perles de céramique, venues du Japon, sont de petits tubes creux constitués d’une argile censée contenir des micro-organismes, neutraliser le chlore et réduire le calcaire. Elles améliorent le goût de l’eau, mais n’ont pas d’efficacité prouvée contre les micropollutions chimiques.
Le charbon actif, contre les pesticides
La majeure partie des systèmes de filtration actuellement vendus reposent sur les vertus du charbon actif. Cette matière organique végétale (bois de chêne, bambou, écorce de noix de coco…) est soumise à un traitement thermique qui accroît la capacité de sa surface poreuse à fixer certaines molécules nocives très fines.
Le charbon actif est utilisé brut sous forme de bâtonnet (comme le Binchotan de chêne japonais ou le charbon de bambou de la marque Le Charbon actif français) directement glissé dans la carafe remplie d’une eau qu’il est censé purifier en quelques heures. « L’eau n’étant pas suffisamment en contact avec le charbon, la rétention des micropolluants organiques comme les pesticides semble assez limitée », note Bernard Legube, professeur émérite à l’université de Poitiers, spécialiste de la qualité et du traitement de l’eau.
Mais ce charbon activé est le plus souvent couplé à une membrane de filtration céramique et/ou métallique. C’est le principe de fonctionnement des filtres low tech d’origine sud-américaine, associant charbon actif et argile de poterie. C’est également celui des carafes et gourdes filtrantes (comme la fameuse carafe Brita). Et celui des purificateurs à gravité (British Berkefeld, Berkey…), bonbonnes en inox dans lesquelles l’eau versée manuellement traverse progressivement (à la seule force de la gravité) une cartouche de filtration, avant d’être extraite par un petit robinet situé à la base.
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Filtre à eau au charbon actif Black & Blum. BLACK & BLUM
Cette microfiltration associant charbon actif, filtres mécanique et céramique est encore déployée dans les systèmes placés sous l’évier ou sur ce dernier, ou même directement sur le bec du robinet (Doulton, Culligan, Pureva, Brita…). Grâce à la pression, l’eau est instantanément filtrée en traversant la cartouche.
Dès 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) publiait un avis sur les dangers d’une mauvaise utilisation des carafes filtrantes : insuffisamment nettoyées, elles se transforment en nid à bactéries. Leur cartouche, une fois saturée, relargue les polluants captés – elle doit donc être remplacée aussi régulièrement que le prévoit la notice d’utilisation. Chlore neutralisé, l’eau doit être conservée au frais et consommée dans les vingt-quatre heures. Quant à leur efficacité dans la captation des contaminants, « les revendications devraient systématiquement être vérifiées par des essais normalisés », suggéraient, dubitatifs, les experts de l’Anses.
Ces limites d’efficacité valent pour tous les filtres sous ou sur évier, ou à gravité, ajoute Bernard Legube : « Le charbon actif et le préfiltre métallique ou céramique ont un intérêt contre les pesticides, mais aucun contre les nitrates. Ils ont un effet limité sur les métaux lourds et sur les PFAS, ces composés qui ne s’absorbent pas très bien, donc ne sont pas retenus longtemps. » Certains fabricants de carafes, comme ZeroWater, assurent pourtant que leur filtre élimine une grande partie des polluants éternels. Dubitatif, M. Legube ajoute : « Si l’entreprise vendeuse du dispositif a testé son efficacité sur les PFAS, je conseille surtout de respecter scrupuleusement les consignes de changement de cartouche filtrante. »
L’osmose inverse, efficace contre les PFAS, mais coûteuse et contraignante
Une étape supplémentaire de filtration est ajoutée. En plus des filtres à sédiments et à charbon actif, les osmoseurs disposent d’une membrane si fine que ses alvéoles laissent uniquement passer les molécules d’eau. Installés sur l’évier ou au-dessous, ces appareils (Oja, Culligan, BWT…) qui ressemblent à un alignement d’éprouvettes, à des tours d’ordinateur ou à de grosses cafetières rectangulaires, sont raccordés à l’électricité et à l’eau, ce qui implique l’intervention d’un plombier, le suivi régulier du fabricant, l’installation d’un adoucisseur (en cas d’eau très calcaire, puisqu’elle affecte le fonctionnement de l’osmoseur)… et le fait d’être propriétaire de son logement.

Le bouton permettant de délivrer de l’eau purifiée par l’osmoseur Click & Drink Premium de Culligan. RÉMI DÉPREZ / CULLIGAN
Les osmoseurs domestiques rejettent les polluants captés dans le réseau d’eau. Pour chaque litre d’eau épuré, sous haute pression, plusieurs litres d’eau potable sont utilisés – sauf osmoseurs « à faible rejet ». Ce procédé d’osmose inverse, selon le professeur Legube, est « indiscutable en matière de traitement des polluants puisqu’il enlève absolument tout, sauf les molécules d’eau, si la membrane n’est pas perforée et le dispositif bien entretenu ». Mais, poursuit-il, « l’eau est distillée, complètement insipide, elle n’apporte plus aucune minéralisation. Il faut donc reminéraliser ensuite avec un filtre de carbonate de calcium ». Et prévoir un budget frôlant les 500 euros, pour du sérieux, sans même compter le coût des cartouches et de l’eau consommée.