JustPaste.it

Crise des opioïdes : Publicis devra verser 350 millions de dollars

Le Monde (site web)
économie, vendredi 2 février 2024 - 03:06 UTC +0100 1028 mots

Crise des opioïdes : Publicis devra verser 350 millions de dollars dans le cadre d’un accord avec la justice américaine

Arnaud Leparmentier

 

« Il s’agit du premier règlement avec une agence de publicité pour son rôle dans la crise des opioïdes », s’est réjouie la procureure de New York Letitia James. L’épidémie a fait quelque 700 000 morts en un quart de siècle.

 

Le géant français de la publicité Publicis va payer aux Etats-Unis 350 millions de dollars (environ 320 millions d’euros) pour son implication dans la crise des opioïdes. C’est ce qui résulte d’un accord scellé, jeudi 1er février, entre Publicis Health, filiale américaine de Publicis, et Letitia James, procureure de l’Etat de New York, qui menait les négociations au nom de tous les Etats et territoires américains. « Il s’agit du premier règlement avec une agence de publicité pour son rôle dans la crise des opioïdes », s’est réjouie Mme James.

 

La crise sanitaire fut déclenchée par Purdue Pharma, propriété de la famille Sackler, qui mit sur le marché en 1996 un opioïde très puissant et très addictif, l’OxyContin. Il le vendit auprès des médecins grâce à un marketing très agressif et provoqua, avec d’autres opioïdes, une épidémie faisant quelque 700 000 morts en un quart de siècle, alors que ce type de médicament, à l’origine, était destiné aux patients atteints d’un cancer en phase terminale.

 

Ce compromis, approuvé par un juge, permet d’éviter un procès qui se profilait notamment dans le Massachusetts, mais dans son communiqué, Letitia James met violemment en cause Publicis.

« Pendant une décennie, Publicis a aidé les fabricants d’opioïdes comme Purdue Pharma à convaincre les médecins de prescrire trop d’opioïdes, alimentant directement la crise des opioïdes et provoquant la dévastation de communautés à l’échelle nationale », déclare la procureure.

« Aucune somme d’argent ne peut compenser les vies perdues et les dépendances subies, mais avec cet accord, Publicis mettra fin à son comportement illégal et versera 350 millions de dollars pour aider nos communautés à se reconstruire », poursuit Mme James.

 

Campagnes de marketing agressives

Les États toucheront 343 millions de dollars tandis que 7 millions rembourseront les frais de justice. Parmi les plus gros bénéficiaires, la Californie va toucher 34 millions de dollars, la Floride 24 millions, le Texas 21 millions et New York 18,5 millions. Publicis doit verser les fonds dans les deux mois. L’accord lui interdit expressément d’accepter tout contrat ou engagement futur lié à la commercialisation ou à la vente d’opioïdes.

 

Selon le communiqué de la procureure, de 2010 à 2019, Publicis a travaillé avec Purdue Pharma pour développer des campagnes marketing et du matériel faisant la promotion des opioïdes, notamment OxyContin, Butrans et Hysingla.

 

« Publicis était responsable de la création de publicités et de matériels promotionnels, tels que des dépliants et des brochures, promouvant l’OxyContin comme étant sûr et ne pouvant pas faire l’objet d’abus, même si cette affirmation n’était pas vraie », détaille le parquet de New York, qui accuse l’entreprise de publicité d’avoir « conspiré » avec le cabinet de conseil McKinsey et la chaîne de santé Practice Fusion « pour promouvoir des stratégies fausses et trompeuses afin d’augmenter les ventes d’opioïdes de Purdue ».

 

« Ces campagnes de marketing agressives ont fonctionné : elles ont abouti à une augmentation spectaculaire des prescriptions d’opioïdes à l’échelle nationale, ce qui a entraîné une augmentation dévastatrice de l’abus d’opioïdes, de la dépendance et des décès par surdose. » Le parquet de New York conclut que « Publicis et ses clients ont alimenté et profité de l’épidémie d’opioïdes ».

 

Comme très souvent dans ces négociations qui permettent d’éviter un procès, l’accord précise que « les Etats concernés reconnaissent la bonne foi et le comportement citoyen d’entreprise responsable de Publicis Health pour parvenir à cette résolution » tandis que « Publicis Health n’admet aucune violation des lois des lois de l’Etat de New York et n’admet aucun des actes répréhensibles qui ont été ou auraient pu être allégués par la procureure générale avant la date du jugement ».

 

Publicis, déterminé à « contribuer » à la lutte

Dans un communiqué publié dans la foulée de l’accord, Publicis estime avoir fait un travail « toujours parfaitement conforme à la loi », et qu’il avait été « mené principalement par Rosetta, une petite agence fermée depuis dix ans, qui travaillait déjà avec des clients pharmaceutiques produisant des traitements à base d’opioïdes lorsqu’elle a été rachetée, il y a treize ans, en 2011 ».

L’agence précise que son travail « n’a été utilisé qu’auprès de prestataires de soins de santé, jamais auprès des consommateurs » et avec des outils et des terminologies « approuvés par la FDA [Food and Drug Administration, l’agence américaine des médicaments] ». Depuis toujours, c’est le formidable effort marketing de la famille Sackler pour promouvoir ses opioïdes auprès des professionnels de santé qui est en cause.

 

Publicis précise que sur les 343 millions versés aux Etats, 130 millions ont déjà été payés par ses assureurs, qu’elle a provisionné le solde soit 213 millions avant impôts. In fine, la charge exceptionnelle à enregistrer pour l’exercice 2023 se limite à 160 millions de dollars, soit 148 millions d’euros. « La lutte contre les opioïdes aux Etats-Unis nécessite une collaboration entre les industries, le législateur et les communautés, et nous sommes déterminés à y contribuer », écrit Publicis.

 

Aux Etats-Unis, tout le monde contribue dans cet immense scandale sanitaire. Comme le rappelle le Washington Post, les fabricants de médicaments, les grossistes, les chaînes de pharmacies (CVS, Walgreens, Walmart…) ou encore le cabinet McKinsey ont signé des accords avec les autorités américaines pour un montant total de plus de 50 milliards de dollars.

 

L’un des accords les plus importants concerne celui avec Purdue Pharma. Il prévoit le paiement de 6 milliards de dollars et le dépôt de bilan du groupe. La manœuvre protégeait la famille Sackler de poursuites financières personnelles et a été contestée en justice. Le cas fut examiné en décembre 2023 par la Cour suprême des Etats-Unis, qui semblait manifestement divisée. L’arrêt est attendu en milieu d’année.