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L’impact des écrans sur le développement de l’enfant dépend de l’environnement familial et du mode de vie, selon une étude

L’analyse d’une vaste cohorte d’enfants suggère que le contexte d’utilisation et l’environnement familial joueraient un rôle plus important que le temps passé devant un écran. Un résultat à prendre avec précaution, selon plusieurs spécialistes.

Par Florence Rosier

Publié le 14 septembre 2023

A Toulouse, en 2020.

A Toulouse, en 2020. LYDIE LECARPENTIER / REA

 

Dans quelle mesure les jeunes enfants exposés aux écrans voient-ils leur développement altéré ? En publiant une nouvelle étude dans The Journal of Child Psychology and Psychiatry, le 29 août, une équipe française relance ce brûlant débat.

L’étude, en effet, conduit ses auteurs à relativiser l’impact négatif des durées d’exposition à la télévision, aux ordinateurs, aux consoles de jeux, aux tablettes et aux smartphones sur le cerveau des enfants de 2 ans, de 3 ans et demi ou de 5 ans et demi. Ils qualifient même de « modeste » l’effet délétère de ces écrans, une fois pris en compte l’environnement familial et les modes de vie de l’enfant. Ces résultats à peine publiés, toutefois, leur interprétation divise les experts, certains alertant sur les dangers qu’il y aurait à minimiser les méfaits des écrans, loin d’être anodins.

 

« Le contexte d’utilisation des écrans jouerait un rôle important, sans doute plus que le seul temps passé devant les écrans », résume Jonathan Bernard, du Centre de recherche en épidémiologie et statistiques (Institut national de la santé et de la recherche médicale [Inserm], Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, universités Paris Cité et Sorbonne-Paris-Nord), qui a dirigé cette étude.

Les auteurs ont analysé les données de près de quatorze mille enfants suivis au sein de la cohorte française ELFE [étude longitudinale française depuis l’enfance]. Soit la première cohorte, en France métropolitaine, consacrée au suivi régulier des enfants nés en 2011 depuis leur naissance jusqu’à l’âge adulte.

Les chercheurs ont ensuite évalué le développement du langage de ces bambins à 2 ans, leur raisonnement non verbal à 3 ans et demi et leur développement cognitif global à 3 ans et demi et 5 ans et demi. Ils ont aussi mesuré le poids, dans ce développement, de nombreux autres facteurs liés au statut socio-économique de leur famille (niveau d’étude des parents, temps de travail, revenu, présence de frères et sœurs…), à l’enfant lui-même (sexe, naissance avant terme ou non) et à ses activités quotidiennes (modes de garde, fréquence des activités partagées avec les parents, durée de sommeil, temps passé dehors, jeux sans écran…).

L’importance du cadre familial

Le temps d’exposition aux écrans nuit en effet au développement du cerveau de l’enfant, confirme cette équipe. Mais elle nuance ce constat : cette relation « apparaît beaucoup plus faible lorsque le cadre de vie familial est correctement pris en compte ». Selon les observations des auteurs, l’impact des écrans sur le développement cognitif baisse de 40 % à 80 % une fois le poids des facteurs familiaux pris en compte, et de 10 % à 20 % supplémentaires une fois les autres activités de l’enfant également considérées. Un enfant qui lit beaucoup, par exemple, aura un meilleur développement cognitif qu’un enfant qui lit peu, toutes choses égales par ailleurs, ce qui doit être pris en compte selon les auteurs.

 

L’impact de toute heure quotidienne passée devant un écran équivaudrait à 0,5 point de QI en moins, une fois les biais éliminés, un effet jugé modéré par les auteurs. Pour autant, « les 2 % ou 3 % d’enfants qui consomment quatre heures d’écran par jour, aux âges respectifs de 3 ans ou de 5 ans, verraient leur QI baisser de 2 points », souligne Jonathan Bernard.

De plus, chez les 41 % d’enfants de 2 ans, dans la cohorte, qui regardaient la télévision durant les repas familiaux, l’acquisition du langage oral était affectée. Soit « une baisse équivalente à 1,5 point de QI en moins », précise Jonathan Bernard, par rapport à ceux qui ne la regardaient pas. Or, le langage influence la pensée, qui elle-même influence le comportement…

 

Il y a quelques mois, ce chercheur avait chiffré les temps d’écran des jeunes enfants en France. Avec des résultats édifiants, publiés le 12 avril dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire. A 2 ans, les enfants passaient en moyenne cinquante-six minutes par jour sur un écran ; à 3 ans et demi, une heure et vingt minutes ; et à 5 ans et demi, une heure et trente-quatre minutes (ces données ayant été respectivement collectées en 2013-2014, en 2014-2015 et en 2017).

Autrement dit, les temps d’exposition de nos enfants apparaissent bien supérieurs aux recommandations émises, tant en France qu’à l’international. L’Organisation mondiale de la santé préconise ainsi de ne pas exposer les enfants de moins de 2 ans aux écrans, puis de limiter le temps à une heure par jour entre 2 et 5 ans. En France, Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail fixent la même limite, tandis que le Haut Conseil de la santé publique et l’Académie nationale de médecine recommandent, en l’absence d’un adulte, de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans. L’Association française de pédiatrie ambulatoire, quant à elle, précise des temps à ne pas dépasser : vingt minutes entre 3 et 6 ans, trente minutes entre 6 et 8 ans, quarante-cinq minutes entre 8 et 10 ans, une heure après 10 ans… On en est bien loin.

 

« Les méfaits des écrans durant les repas »

L’étude prend appui sur l’appréciation des parents : ce sont eux qui devaient rapporter le temps d’écran quotidien de leur enfant aux âges de 2 ans, de 3 ans et demi et de 5 ans et demi. C’est une des faiblesses de l’étude, que pointent les auteurs eux-mêmes : certains parents tendent ainsi à sous-estimer ce temps, tandis que d’autres le surestiment. Autre limite : ces données ont été collectées entre 2013 et 2017, quand l’usage des tablettes et des smartphones était plus restreint.

Nonobstant ces points faibles, l’analyse souligne « quelques faits intéressants, notamment quand elle éclaire les méfaits des écrans durant les repas », estime la psychologue canadienne Linda Pagani, chercheuse à l’université de Montréal. Et « les effets modestes mais significatifs de l’exposition aux écrans » que trouvent les auteurs persistent, même après qu’ils ont éliminé le poids des facteurs individuels et familiaux, souligne-t-elle.

 

Mais fallait-il éliminer ces facteurs de l’impact final, en les considérant comme de simples « biais de confusion » ? Non, tranche Michel Desmurget, directeur de recherche à l’Inserm à l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod (CNRS) à Lyon. « Cette étude est intéressante, car elle confirme les effets directs et indirects des écrans sur le développement de l’enfant », explique-t-il d’abord. On sait que les écrans exposent l’enfant à une surstimulation sensorielle, notamment au bruit et aux images. « Ils altèrent ainsi son attention, son impulsivité et ses apprentissages », note le neuroscientifique.

Mais, juge Michel Desmurget, les effets indirects des écrans, plus insidieux, « pèsent encore plus lourd ». Ainsi, parce que la durée d’une journée n’est pas extensible, les activités de l’enfant entrent en compétition les unes avec les autres. « Plus un enfant a le nez collé à l’écran – et ses parents aussi –, moins il interagit avec ses parents, moins il passe de temps à parler, à lire, à faire du sport et à dormir », liste le chercheur lyonnais. Or, les interactions précoces – dialogue avec les parents, lectures et jeux partagés – ont des effets massifs sur le développement du langage et le succès scolaire ; le sommeil et l’activité physique aussi. L’imagerie cérébrale, par ailleurs, a révélé les ravages des écrans sur la mise en place des réseaux cérébraux du langage.

 

 

Ignorer le poids de ces effets indirects revient donc, selon lui, à minimiser fortement l’impact des écrans sur le développement de l’enfant. Il ne faudrait pas véhiculer « un message erroné selon lequel les écrans sont inoffensifs »,insiste Linda Pagani. De plus, les auteurs n’ont pas analysé les compétences sociales, la motricité ni la corpulence des enfants, « qui chacune influence la santé mentale et physique à long terme », regrette-t-elle. La psychologue se livre à un bref calcul : si les parents se conformaient aux recommandations pédiatriques sur les temps d’écran chez l’enfant – ce qui n’est pas le cas –, « leur enfant, à l’âge de 18 ans, aurait passé plus d’une année entière devant un écran en moyenne… au détriment d’autres formes de stimulations humaines ».

 

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