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Alors, Monsieur Macon, heureux? Michel Wieviorka sociologue.

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Auteur d'un livre sur le Président, le sociologue Michel Wieviorka aborde les enjeux centraux qui devraient dessiner les contours du second mandat qui s'ouvre.
Le sociologue publie un livre (1) en forme d'avertissement à celui qui vient d'être réélu, et auquel l'auteur dresse une liste de griefs en forme de feuille de route pour l'horizon 2027 : respect des corps intermédiaires, retour aux libertés publiques d'avant-Covid, inflexion de la politique migratoire. fin de la gouvernance technocratique...

 

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Michel Wieviorka esquisse ce que devrait être, selon lui. ce second mandat Macron. Entretien avec 

Var Matin 26 avril 2022 PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT/ALP

 

VM: Pourquoi avoir voulu vous adresser ainsi, et sous cette forme, à Emmanuel Macron ?


Je me suis demandé si, une fois réélu, Emmanuel Macron pourrait se sentir heureux de ce qu'il avait accompli. S'il éprouverait une sorte d'accomplissement ou si, au contraire, les « jours heureux » qu'il avait un temps appelés de ses voeux se faisaient attendre et lui laissaient des regrets. Sachant que, pour moi, les jours heureux ne peuvent se vivre qu'en démocratie, ce système un peu ennuyeux, qui demande de l'écoute, du temps, de la concertation... Je me suis donc dit que j'allais l'interpeller directement à ce sujet.


VM: Vous pensez sincèrement qu'Emmanuel Macron a oeuvré pour affaiblir la démocratie ?


Je pense qu'il n'a rien fait pour la renforcer. Face aux forces extrêmement puissantes qui la menacent, on peut dire qu'il a été un rempart, qu'il a évité les pires dérapages, mais je retiens aussi qu'alors qu'il disait vouloir affaiblir l'extrême droite, il l'a en réalité renforcée.  Et cette erreur trouve notamment sa source dans la disparition des médiations entre le pouvoir et le peuple.


VM: Vous pointez effectivement du doigt le fait que les corps intermédiaires ont été mis de côté pendant ce quinquennat. Avec quelles conséquences ?


S'il n'y a pas de corps intermédiaires, donc pas de temps pour le débat, le dialogue, c'est la porte ouverte à l'autoritarisme. Dans certains cas, en temps de guerre ou d'épidémie par exemple, on peut être amené à prendre des décisions rapides. Mais pour tout le reste, le fait de tenir compte des apports, des analyses, des points de vue différents, est absolument nécessaire. Surtout, cela évite la frustration, te ressentiment, la mésentente, dans certains cas la violence voire le chaos. Je ne dis pas qu'Emmanuel Macron a eu une pratique du pouvoir
autoritaire, mais en laissant les corps intermédiaires perdre de leur influence, il a laissé le vide s'installer là où nous avons au contraire besoin de négociations et de discussions.


VM: Parmi les griefs que vous lui adressez, il y a aussi la question des libertés publiques, entamées depuis les attentats puis à nouveau avec la crise sanitaire. Quel risque y voyez-vous ?


Cela n'a pas démarré sous Macron, mais sous Hollande, avec les attentats de 2015. Ces mesures d'exception sont pour certaines devenues la règle, mais le fait que les Français avaient besoin d'être protégés a rendu cette acceptation plus facile. Avec la crise sanitaire, en revanche, ces mesures d'exception ont été beaucoup plus difficilement acceptées. C'est pour cela que te Président ne pouvait pas revendiquer le fait de vouloir "emmerder"  les antivax. Quand on est en position dominante, qu'on exerce le pouvoir, il faut tout faire pour favoriser les conditions du dialogue. Même si les protestataires, comme les « gilets jaunes » en leur temps, n'ont pas vraiment envie de discuter.


VM: Vous regrettez par ailleurs son revirement sur la question migratoire. Que préconisez-vous?


Je regrette qu'il n'ait pas écouté ceux qui lui expliquaient qu'une autre politique pouvait avoir des résultats, que l'on n'était pas condamné à mener une politique toujours plus répressive. Parce qu'une politique migratoire ouverte est une politique qui facilite la vie aux associations, aux fonctionnaires, aux élus locaux, là où la répression crée du désordre.

 

VM: Vous lui reprochez d'avoir contribué à affaiblir gauche et droite et ainsi avoir fait prospérer les extrêmes. Mais est-ce de sa seule responsabilité ?


Même si je suis féroce avec Emmanuel Macron, on peut en effet tout à fait se demander où sont les responsabilités chez les autres. Je parlerai de la gauche, que je connais mieux et dont je suis proche. Quand elle est arrivée au pouvoir avec François Hollande, elle avait toutes les manettes : le parlement, les régions, les grandes villes... Aujourd'hui, il ne reste rien. Rien n'a été fait depuis dix ans. La gauche n'a pas produit d'idées, n'a pas structuré sa pensée, alors que notre monde a énormément changé ces quinze dernières années et qu'il était essentiel de travailler à apporter des réponses à ces nouveaux défis.


VM: Selon vous, la pratique du "en même temps" mettrait la démocratie en péril. Pourquoi ?


Avec le "en même temps", au mieux, s'il y a confrontation d'idées, c'est à l'intérieur d'un parti unique ! Or, ça ne peut pas marcher. Bien sûr, en politique, il faut trouver des compromis, mais le "en même temps" relève de la
pensée mythique, c'est-à-dire de l'idée que le mythe résout par l'imaginaire ce que la réalité ne peut résoudre, ce qui est inconciliable. Etre de gauche et de droite, c'est impossible. De ce point de vue, le mythe ne peut que se déstructurer.


VM: Notre système électoral, notre Constitution, notre calendrier électoral ne sont-ils pas les premiers responsables de la situation centrale occupée par le président ?


Oui, sans doute en partie, mais Emmanuel Macron aurait pu impulser des changements importants pendant ce premier mandat. Comme la proportionnelle, qu'il avait d'ailleurs promise à François Bayrou. Il avait un certain degré de liberté pour mettre en oeuvre une réforme d'un système que tout le monde s'accorde à considérer à bout de souffle, et il ne l'a pas fait.


VM: Ne pensez-vous pas que ce second mandat place Emmanuel Macron dans d'autres dispositions ?


Avec cette réélection, il se retrouve face à lui-même. Avec peut-être un parlement qui sera difficile à gérer, mais en étant débarrassé de la question de la réélection, et donc avec la faculté d'oeuvrer à renforcer notre vie démocratique. Il est au pied du mur tout en jouissant d'une grande liberté, en étant en mesure de travailler à sa trace dans l'Histoire. Cela peut ouvrir de nouveaux horizons, voire permettre, en renforçant la démocratie, d'éloigner la menace extrémiste.


VM: Comment le voyez-vous, ce nouveau quinquennat ?


On va reparler de beaucoup de choses à l'issue de cette campagne : les retraites, les libertés publiques, l'immigration, la santé, l'éducation... Je souhaite que le dialogue soit toujours favorisé, que les sujets de société soient réellement débattus, comme par exemple celui du nucléaire, qui est aujourd'hui totalement différent de ce qu'il était il y a encore cinq ans. Nous ne pourrons pas renforcer notre démocratie si nous ne discutons pas, si nous n'écoutons pas les positions des uns et des autres, si nous n'en faisons pas une méthode.

 

1. Alors, Monsieur Macon, heureux?, Editions Rue de Seine, 100 pages, 9,90 euros.

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Plus: le point de vue de Pascal Boniface IRIS