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LE MONDE

Le collectif Les Soulèvements de la terre menacé de dissolution : la bataille des arguments est engagée

Les représentants du mouvement, qui s’oppose au projet de mégabassine à Sainte-Soline, ont déposé au ministère de l’intérieur un courrier réfutant point par point les raisons avancées par le gouvernement pour justifier sa dissolution.

Par Rémi Barroux et Samuel Laurent
Publié le 07 avril 2023, modifié le 08 avril 2023 à 09h48

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L’image vaut symbole : des gendarmes cherchant, mercredi 29 mars, dans la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), le destinataire d’un courrier du ministère de l’intérieur pour l’informer de l’« intention du gouvernement d’engager la dissolution administrative du groupement de fait “Les Soulèvements de la terre” ». C’est dans cette « zone à défendre », contre le projet de nouvel aéroport nantais, que ce mouvement, qui regroupe une centaine d’organisations et de collectifs, notamment du monde paysan (Les Amis de la Terre France, Attac, Extinction Rebellion, Youth for Climate, les Longo Maï…) et de nombreux soutiens individuels, est né, en janvier 2021, lors d’une assemblée générale constitutive rassemblant plusieurs centaines de personnes.


La lettre, signée par la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques, Pascale Léglise, est datée du 29 mars, soit le lendemain de l’annonce du projet de dissolution par le ministre l’intérieur, Gérald Darmanin, quelques jours après les violents affrontements autour du projet de mégabassine à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres. Elle ne sera remise finalement que le lendemain, en mains propres à celui qui se fait appeler Benoît Feuillu, « choisi par le ministère de l’intérieur comme codirigeant du mouvement », s’amuse l’intéressé, dans un lieu public, le Café de la Gare, à Nantes.

A compter de cette date, Les Soulèvements de la terre avaient dix jours pour apporter leur réponse au ministère. Vendredi 7 avril, en fin d’après-midi, ils ont remis un document de dix pages, en délégation, au ministère de l’intérieur, place Beauvau à Paris. Sans surprise, les représentants du mouvement, parmi lesquels le cinéaste Cyril Dion ou l’eurodéputé EELV Benoît Biteau et leurs avocats, récusent l’ensemble de l’argumentaire du ministère de l’intérieur.
Article du code de la sécurité intérieure

Ils expliquent avoir décidé de répondre, même si, écrivent-ils dès le début de leur texte, ils disent ne pas comprendre « l’intérêt de cette mascarade du contradictoire » puisque la décision de dissolution serait, selon eux, déjà prise. Cette décision, qui doit faire l’objet d’un décret en conseil des ministres, est attendue par les principaux intéressés le 12 avril ou le mercredi suivant.

La volonté du gouvernement de dissoudre Les Soulèvements de la terre repose sur un article du code de la sécurité intérieure visant « les associations ou groupements qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Le courrier liste longuement les actes et mobilisations qui ont émaillé l’histoire, pourtant récente, de ce mouvement. Parmi celles-ci : la contestation des bassines dans les Deux-Sèvres, le blocage du site Bayer-Monsanto à Villefranche-sur-Saône, l’occupation des sites Lafarge en Ile-de-France…


Les autorités semblent avoir du mal à cerner les contours de ce mouvement, évoquant « les membres de l’ultragauche issus de l’ex-ZAD de Notre-Dame-des-Landes ». Elles notent que ce « groupement est reconnu par plusieurs mouvements appartenant à la sphère écologiste et partageant [son] idéologie radicale », sans toutefois les nommer.
Sabotages d’infrastructures

De fait, c’est bien la capacité des Soulèvements à irriguer les luttes écologiques, à les soutenir, et à leur donner un écho national que pointe le document du ministère. Il leur reproche de fournir un « appui logistique, humain, financier et organisationnel », prodiguant aussi des « conseils » pour « la pratique de l’éco-sabotage », que « prône et justifie », selon lui, le mouvement. Le ministère de l’intérieur s’inquiète notamment de la capacité des Soulèvements de la terre à « convertir » des militants « adeptes de la désobéissance civile » et à les amener à valider des modes d’action plus offensifs, comme des sabotages d’infrastructures.


Le courrier du ministère détaille les modes d’action, « une organisation inspirée des codes “black bloc” afin de mener à bien des actions violentes tout en préservant l’anonymat de ses membres et des sympathisants qui y participent », décrivant notamment des codes vestimentaires, un « white bloc » ou un « blue bloc », des tenues utilisées par les manifestants pour symboliser l’eau ou le vêtement de travail du paysan, comme autant de preuves de « volonté d’en découdre et d’affronter directement les forces de l’ordre ».

Le gouvernement reproche donc à ce « groupement de fait » de jouer « un rôle majeur dans la conception, la diffusion et l’acceptation de modes opératoires violents, favorisant et valorisant ainsi le processus de radicalisation d’une partie de la mouvance écologiste ». Il reconnaît au passage l’influence dont le mouvement dispose sur les réseaux sociaux.

Actes violents

Enfin, il est aussi reproché aux animateurs de ces mobilisations durant lesquelles des actes violents ont été commis, blessant de nombreux gendarmes – une liste en est dressée –, et « bien qu’informés de ces agissements », de s’être « abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser ».

Autant d’arguments que les représentants des Soulèvements de la terre entendent « réfuter un à un » car relevant, selon Chloé Gerbier, juriste et cofondatrice de Terres de luttes, « d’approximations, de suppositions et d’aucun élément de preuve ».

Dans sa réponse, le mouvement souligne le fait que si aucun procureur de la République n’a lancé de « poursuites pénales à l’encontre des Soulèvements de la terre, c’est précisément parce qu’aucune des infractions pénales visées n’a été commise, alors même que celles-ci sont exposées comme motif de la dissolution ».

« Nécessité absolue de l’action écologique »

Premier élément, les Soulèvements ne sont « ni une organisation ni un collectif, encore moins un groupuscule de “stratèges de l’ultragauche” ». Et de rappeler que l’appel à l’origine du mouvement a été signé par de très nombreuses structures, de nature très différente tout en signalant « la nécessité absolue de l’action écologique », précise Benoît Feuillu. Ce dernier réfute l’idée de deux dirigeants, telle que présenté dans l’argumentaire du ministère.

S’agissant des modes d’action, Les Soulèvements de la terre n’ont jamais caché vouloir mobiliser « toute une palette d’actions classiques : plaidoyers, mise en culture, défrichage et reprise des terres, soutiens à des installations paysannes, manifestations de masse, blocages ponctuels et désarmement ». En précisant que le mouvement n’avait « jamais usé des termes de “sabotage” ou d’“éco-sabotage” ».

Ils répondent, mobilisation par mobilisation, aux accusations du ministère de l’intérieur, assurant qu’ils n’ont, « ni par leurs discours ni par leurs publications, incité à la provocation de violences contre les personnes ou de dégradations de biens et surtout pas à la réalisation de sabotages portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ».
« Mesure liberticide »

S’agissant du risque que pourraient courir, en cas de dissolution, les organisations et associations participant aux Soulèvements de la terre, Vincent Brengarth, l’avocat de l’ONG internationale BarakaCity lors de sa dissolution en 2020, et coauteur de Revendiquons le droit à la désobéissance (Fayard, 2022), estime « qu’elles peuvent risquer quelque chose en cascade, tout dépendant de leur réalité et de la prise en compte de leur rôle dans le mouvement ». « Ce n’est pas mécanique mais, même si elles ne sont pas concernées par la dissolution, c’est aussi une forme de message à leur encontre », ajoute-t-il.


L’annonce du ministère de l’intérieur aurait eu, selon les animateurs des Soulèvements de la terre, un effet amplificateur de l’attrait du mouvement. Benoît Feuillu annonce l’existence de 80 collectifs en France, dont beaucoup ont été créés récemment. « Nous ne nous laisserons pas intimider par cette mesure liberticide, et dès demain, nous résisterons à la dissolution, devant les tribunaux et dans la rue, par les recours juridiques et l’action de terrain », insiste le porte-parole.

Mercredi 12 avril, au soir de l’éventuelle décision de dissolution, se tiendra un meeting « Nous sommes les Soulèvements de la terre » à Paris, organisé par des médias tels que Blast, Reporterre, Socialter… avec la participation de nombreuses personnalités.

 

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Rémi Barroux et Samuel Laurent