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Dans l’indifférence générale, on continue à mourir du Covid

par Christian Lehmann
publié le 22 avril 2022 à 16h07, Libération

 

Deux ans de pandémie et une campagne qui semble n’en avoir tiré aucune leçon. On aurait pu imaginer que, d’un côté comme de l’autre, le Covid soit sinon un sujet majeur au vu de son invisibilisation actuelle, au moins l’occasion d’un retour d’expérience, d’un premier bilan. Il n’en a rien été, et pour cause. Prenant acte de la relative accalmie à l’hôpital, le gouvernement avait délibérément choisi d’anticiper la fin d’omicron en pariant sur une stabilisation des taux de contamination courant avril, afin que l’élection se déroule hors procédure d’exception. Emmanuel Macron n’avait aucune envie de voir rappeler certains épisodes peu glorieux de sa gestion : mensonges sur les masques, paris épidémiologiques risqués, cafouillages divers. En face, l’opposition n’avait guère intérêt non plus à s’attarder sur son propre passif. La droite «républicaine» s’était vautrée dans les grandes largeurs aux pieds de Didier Raoult, clamant sur toutes les chaînes qu’il était criminel d’attendre des essais cliniques rigoureux avant de déverser par tonnes des molécules inefficaces voire dangereuses sur le grand public au motif de l’urgence. L’extrême droite avait ouvertement dragué les conspirationnistes et les antivax, choisissant d’accélérer le chaos ambiant pour grappiller quelques parrainages et engranger des vues sur les réseaux sociaux. La gauche populaire s’était à maintes reprises fourvoyée, son tribun croyant narcissiquement discerner dans le directeur de l’IHU un de ces hommes exceptionnels «trop mal aimé par les belles personnes pour ne pas éveiller l’intérêt», puis se laissant envoûter par un discours ambigu sur la syndémie. La pandémie n’aurait existé qu’en tant que conséquence des inégalités sociales, et ne touchait que les faibles. Les mesures prises par le gouvernement étaient donc d’autant plus intolérables qu’inadaptées, et devaient être dénoncées comme telles. A cela s’étaient ajoutés quelques propos ambigus assénés sur les vaccins ARNm au nom d’une spécialisation en surgelés Picard et, pour clore le tout, la mise en avant d’un vaccin russe dont l’incapacité des promoteurs à fournir un dossier scientifique complet avait donné lieu à des soupçons d’atlantisme.

 

Dans ce marasme, on retiendra en positif le dernier meeting de campagne de Philippe Poutou, et cette injonction à contre-courant du «chacun pour soi», à porter un masque FFP2 «parce qu’on n’est pas tous égaux devant la maladie». Et les prises de position du candidat communiste, Fabien Roussel, de mémoire l’un des seuls à avoir constamment privilégié une approche conforme aux données de la science, sans concession pour le gouvernement mais considérant mesures barrières et vaccins comme nécessaires à la protection de la population, et notamment des plus fragiles médicalement et économiquement parlant, chez qui le virus causait le plus de ravages. Mais, même lui, en fin de campagne, pris à partie chez Cyril Hanouna par Gilles Verdez sur l’absence du masque dans les bureaux de vote, avait eu ce cri du cœur : «Mais aujourd’hui on atteint l’immunité collective !»

 

Multiplication des réinfections

 

Plus de 100 personnes meurent chaque jour dans une quasi-indifférence générale, depuis des mois. Cent cinquante mille personnes, au bas mot, sont contaminées chaque jour, depuis des mois, sans que cela n’interpelle plus que cela. Je dis «au bas mot», car, répétons-le, les chiffres sont certainement beaucoup plus élevés. Les consignes de test, de traçage, d’isolement, sont devenues absconses au point d’être illisibles. Les malades peu symptomatiques et les cas contacts ne se testent plus. Les réinfections survenant à moins de soixante jours d’un premier épisode de Covid ne sont tout simplement pas prises en compte dans les bases de données, et ce problème, identifié depuis des semaines, n’est toujours pas réglé alors que l’arrivée d’omicron a multiplié ces réinfections depuis le début de l’année. Olivier Véran se félicite a posteriori de son excellente décision d’enlever le masque en lieu clos, en s’appuyant sur des courbes dont il connaît l’inexactitude. Deux semaines après la levée de toutes les mesures sanitaires, les urgences pédiatriques sont saturées à Rennes, Nancy, Nantes, Perpignan… Le CHR d’Orléans n’accepte plus que les urgences vitales. Une grande partie des aides-soignants et presque tous les infirmiers sont en arrêt maladie. Des services et blocs sont fermés. Des patients passent quatre jours sur un brancard.

 

Et cela se répète. Jour après jour on apprend qu’un service de maternité, d’urgences adultes, d’urgences pédiatriques, ferme ou restreint son activité par surcharge et par manque de soignants. Arcachon, Orsay, Nevers, Le Havre, Toulouse, Le Mans…

 

Mais comme le martelait avec véhémence l’un des rassuristes de plateaux en chef, Gérald Kierzek : «Plus on teste, plus il y a de personnes positives. Donc il faut déjà arrêter de tester, pour éviter que tout le monde s’affole.» Le gouvernement a tenu compte de ce conseil judicieux. Comme aurait dit Joseph Staline, un autre grand théoricien : «Un homme, un problème. Plus d’homme, plus de problème.»