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Emploi : « La condamnation européenne du barème d’indemnisation d’un licenciement injustifié est une gifle cinglante »

 

TRIBUNE

Julien Icard, Professeur de droit à l’université Paris-Panthéon-Assas

 

La décision du Comité européen des droits sociaux statuant que le plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement injustifié constitue une « violation » de la Charte sociale européenne est une condamnation du « macronisme social », estime, dans une tribune au « Monde », le juriste Julien Icard.

 

Il aura fallu attendre l’entre-deux-tours des élections législatives pour être informé de la condamnation européenne du barème d’indemnisation d’un licenciement injustifié, dit « barème Macron », l’un des symboles de la politique sociale d’Emmanuel Macron. Symbole, obsession même, puisque l’actuel président, alors ministre de l’économie, avait fait adopter en 2015 un premier dispositif de barème assez similaire, mais alors censuré par le Conseil constitutionnel.

C’est donc la seconde fois qu’un tel instrument visant à faciliter les licenciements en fixant un prix prévisible à la rupture illicite du contrat de travail, est remis en cause, mais cette fois en raison de sa contradiction avec les normes européennes du travail.

A ce titre, la situation est quelque peu surprenante. Alors que la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, le 11 mai, à grand renfort de publicité, que le barème Macron était conforme au droit international du travail, le Comité européen des droits sociaux, institution du Conseil de l’Europe chargée de veiller à la bonne application de la Charte sociale européenne, estime au contraire que ce même barème viole l’article 24 de la charte. La décision du 23 mars n’est pas encore publique (elle le sera dans quelques semaines) mais nous avons pu en prendre connaissance.

 

Unanimité

La conclusion est sans appel. Saisi par deux organisations syndicales, la CGT et FO, de la compatibilité du barème Macron avec ladite charte, le Comité européen des droits sociaux considère à l’unanimité que le système français ne permet pas au juge d’allouer une indemnité adéquate ou de décider d’une autre réparation appropriée à un salarié injustement licencié, droit pourtant garanti par l’article 24 susmentionné, dans la mesure où « les plafonds prévus par [le] code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur ».

Il ajoute que « le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question, lié aux circonstances individuelles de l’affaire, peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé ». Une telle conclusion n’est pas une surprise, le comité ayant rendu deux décisions similaires à propos de systèmes comparables de barème en Finlande ou en Italie.

 

Pour autant, il faut l’admettre, la décision du comité ne contredit pas frontalement la Cour de cassation française, et pour cause ! Cette dernière a certes jugé que le barème était compatible aux normes internationales mais en se référant uniquement à la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT).

Elle a adroitement contourné la difficulté de la Charte sociale, en estimant que ce texte ne pouvait pas être invoqué dans un litige individuel du travail pour faire échec à l’application du droit français. En d’autres termes, il s’agirait uniquement d’un texte destiné à orienter les politiques législatives nationales, que les juges pourraient superbement ignorer à l’occasion des litiges qui lui sont soumis.

 

Contestable mais habile

Solution très contestable juridiquement mais d’une grande habileté, qui permettait à la Cour de cassation de déclarer, dans le communiqué de presse relatif aux deux arrêts du 11 mai, que « les décisions que prendra ce comité ne produiront aucun effet contraignant ». Sans politiser à l’extrême ces arrêts, il est loisible de considérer que la Cour de cassation embrassait le « en même temps » marketing macronien.


Elle ne manque pas en effet de célébrer l’appartenance de la France aux institutions internationales et européennes mais choisit « en même temps » d’ignorer les normes fondamentales produites par ces dernières. Ainsi, pour éviter d’avoir à appliquer la Charte sociale européenne, telle qu’interprétée par le comité, qui mettait en grand danger le barème français, la Cour de cassation a évacué le problème par la petite porte.

Ce faisant, elle se démarque du Conseil d’Etat, qui a, quant à lui, jugé que l’article 24 de la Charte sociale pouvait être invoqué à l’occasion des litiges du travail dont il est saisi. Un tel hiatus pourrait donner lieu, si la juridiction administrative suivait le raisonnement du comité, à traiter différemment les salariés selon que leur litige du travail relève de la juridiction judiciaire ou administrative.

 

Une décision quasi juridictionnelle

Il n’en demeure pas moins que la gifle européenne est cinglante et consolera quelque peu ceux – doctrine, organisations syndicales, avocats… – qui, depuis 2017, travaillent collectivement à la destitution de ce bouclier protecteur des fautes patronales lucratives. A défaut de victoire judiciaire interne, ils se réjouiront de cette décision quasi juridictionnelle européenne.

La portée d’une telle décision pourrait toutefois ne pas être que symbolique. Tout dépendra en réalité des suites qui lui seront données par le conseil des ministres du Conseil de l’Europe, qui peut adresser des recommandations aux Etats parties.

Ainsi, dans une décision assez exceptionnelle du 3 février, il a demandé à la France de réexaminer son système de décompte du temps de travail, dit « forfait en jours », jugé incompatible avec la charte par le Comité européen des droits sociaux quelques semaines plus tôt.

Mais même si recommandation il devait y avoir, les effets pratiques réels de cette condamnation ne sont, en l’absence de tout relais judiciaire, qu’entre les seules mains du futur législateur français.