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Energie : « L’interdiction des chaudières à gaz peut avoir un impact positif »

Tribune

Duncan Gibb

Chercheur senior au sein du Regulatory Assistance Project

Ingénieur expert des énergies renouvelables, Duncan Gibb dissipe, dans une tribune au « Monde », les a priori défavorables au remplacement des chaudières à énergie fossile par les pompes à chaleur.

 

La France doit doubler le rythme de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre pour atteindre les objectifs 2030 qu’elle s’est engagée à tenir dans le cadre du programme européen « Fit for 55 ». A cette fin, le gouvernement français a lancé une consultation publique, qui prend fin vendredi 28 juillet, sur la possibilité d’interdire l’installation de nouvelles chaudières à gaz dans des maisons individuelles – une mesure, rappelons-le, déjà mise en œuvre depuis 2022 dans toutes les nouvelles constructions.

Cette interdiction suscite des questions légitimes concernant son impact sur le marché, l’emploi, la fiabilité des alternatives, et leur accessibilité pour les ménages à faibles revenus. Nous pensons, pour notre part, que ces interdictions peuvent avoir un impact positif, à condition qu’elles soient introduites avec précaution et que les ménages les plus modestes soient accompagnés.

Plusieurs pays, régions et villes européennes ont déjà pris ce virage et annoncé des mesures d’interdiction des chaudières au gaz et au fioul, y compris en des lieux où les ventes de chaudières à gaz restent plus dynamiques que chez nous. Selon nos calculs, 6,5 chaudières à gaz ont été vendues pour mille habitants en 2022 en France, contre 8,4 en Allemagne et 25,7 aux Pays-Bas. Or, ces deux pays sont parmi ceux qui viennent d’interdire la vente de nouvelles chaudières à gaz individuelles à un horizon rapproché.

 

La pompe à chaleur électrique, la solution de chauffage

Par ailleurs, la France ne ferait ainsi qu’anticiper une évolution probablement inévitable. L’Union européenne (UE) devrait en effet interdire les ventes de chaudières à gaz individuelles par le biais de sa directive sur l’écoconception à partir de 2029.

Bien plus que les convecteurs, ce sont les pompes à chaleur électriques qui sont les solutions de chauffage les plus efficaces d’un point de vue énergétique, et les plus économiques à l’usage. Elles remplaceront les chaudières à gaz dans les maisons individuelles. Le mouvement est d’ailleurs largement amorcé. Les ventes connaissent une croissance spectaculaire, notamment celles des pompes à chaleur air-eau, qui peuvent se substituer simplement aux chaudières à gaz et se greffer sur les circuits d’eau et radiateurs préexistants.

En France, leurs ventes ont presque doublé depuis 2020, pour atteindre 350 000 unités vendues en 2022. Cependant, de nombreux malentendus, voire de la désinformation pure, continuent à circuler à leur propos. Il se dit par exemple que les pompes à chaleur ne peuvent être utilisées que dans les bâtiments neufs à haute performance énergétique.

 

La France exporte des pompes à chaleur

Bien qu’améliorer la performance d’un bâtiment ne soit jamais une mauvaise idée, une analyse récente du Joint Research Council indique qu’environ 41 % de tous les logements de l’UE actuellement chauffés au gaz sont suffisamment isolés pour permettre le bon fonctionnement d’une pompe à chaleur.

Il faut soutenir, bien sûr, les efforts indispensables du gouvernement en faveur de l’isolation des logements, mais plus de huit pompes à chaleur sur dix sont déjà vendues pour être installées dans le bâti existant en France, selon les chiffres d’Observ’ER. Un autre argument souvent entendu est que les pompes à chaleur fonctionnent mal par temps froid. Cela est manifestement faux. Les trois pays européens qui, rapportés à leur population, en sont le plus équipés sont la Norvège, la Suède et la Finlande !

Un autre bruit récurrent sur les pompes à chaleur est qu’elles seraient toutes importées d’Asie. Mais, selon les chiffres du Clean Energy Technology Observatory de l’UE, la France en a été le deuxième pays exportateur dans le monde sur la période 2019-2021, derrière l’Allemagne et devant la Suède et la Chine.

 

Un retour sur investissement rapide

Certes, les industriels tricolores dépendent de composants fabriqués en Asie, et les exportations chinoises de pompes à chaleur ont connu une croissance exponentielle ces dernières années. Faudrait-il en déduire qu’il faut temporiser ? Au contraire, la France peut créer les conditions d’un marché domestique dynamique pour stimuler les acteurs français et les aider à renforcer leurs parts de marché à l’international.

Dernier reproche souvent adressé aux pompes à chaleur : leur prix. Plus élevé que celui des chaudières à gaz, il peut en effet constituer un frein à l’adoption. Mais les chiffres récemment cités dans des médias français, qui évoquent des montants pouvant atteindre 20 000 euros, ne sont pas du tout représentatifs.

En France, le prix moyen pour un équipement de 8 kilowatts, une puissance classique pour une rénovation, était en 2021 de 8 900 euros, plus 1 800 euros de pose. En outre, les aides publiques sont généreuses, pouvant aller jusqu’à 9 000 euros pour les ménages les plus modestes, et les économies d’énergie permettent un retour sur investissement rapide.

Prendre le virage des pompes à chaleur

Interdire l’installation de chaudières à gaz dans les maisons individuelles peut sembler être une mesure extrême. C’est pourtant le type de signal dont les entreprises françaises ont besoin pour se tourner résolument vers des solutions plus prometteuses. Il n’existe aucune raison objective de ne pas prendre le virage des pompes à chaleur avec enthousiasme.

La France peut compter sur des industriels et des ingénieurs compétents, des parts de marché enviables à l’export et un marché domestique dynamique. Ne parions pas sur des technologies qui seront inévitablement marginalisées. Le marché de la pompe à chaleur a crû de 11 % dans le monde en 2022 et de près de 40 % en Europe selon l’Agence internationale de l’énergie.

En anticipant et en donnant des signaux clairs aux acteurs de la filière, en accompagnant la formation des professionnels, la France pourrait recueillir les fruits de cette transition mondiale vers les pompes à chaleur en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre, de souveraineté énergétique, de pouvoir d’achat, d’emplois et de réindustrialisation.

Le Regulatory Assistance Project est un groupe européen de réflexion et de conseil technique sur les politiques énergétiques auprès de la Commission européenne et des Etats membres.

Duncan Gibb(Chercheur senior au sein du Regulatory Assistance Project)

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