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Face à la crise du logement, le Canada restreint son accès aux nouveaux immigrants

Cette année, le nombre d’étudiants étrangers qui recevront un permis d’études sera de 35 % inférieur à celui de 2023.

Par Hélène Jouan (Montréal, correspondante)

Le ministre canadien de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté, Marc Miller, à Montréal, le 22 janvier 2024.

 Le ministre canadien de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté, Marc Miller, à Montréal, le 22 janvier 2024. CHRISTINNE MUSCHI / AP

 

Pour la première fois depuis l’arrivée de Justin Trudeau au pouvoir, en 2015, le gouvernement libéral du Canada vient d’opérer, sinon une volte-face, au moins l’amorce d’un virage quant à sa politique d’immigration. Le 22 janvier, le ministre chargé du dossier, Marc Miller, a annoncé l’instauration d’un « plafond temporaire » de deux ans pour les nouveaux permis d’études accordés aux étudiants étrangers : environ 360 000 seront octroyés en 2024, soit une baisse de 35 % par rapport à 2023. Le ministère a déclaré que cette mesure visait « à relâcher la pression sur le logement ».

Selon Statistique Canada, plus de un million d’étudiants étrangers seraient d’ores et déjà sur le sol canadien. Mais sans doute le gouvernement espère-t-il également, en marquant cette pause inédite dans la courbe exponentielle du nombre d’immigrants invités à venir s’installer au Canada, faire retomber la pression sur sa propre politique, de plus en plus contestée.

 

Le discours de Justin Trudeau sur l’immigration vitale pour le Canada, et les cibles défendues par son gouvernement – avec 1,5 million de nouveaux arrivants prévus entre 2023 et 2025 et un record établi l’an dernier de 840 000 immigrants accueillis (résidents temporaires compris) – n’avaient jusque-là, jamais soulevé de grand débat national. Les acteurs économiques y voyaient une réponse à la pénurie chronique de main-d’œuvre dans un pays à la démographie vieillissante ; les partis politiques, conservateurs compris, restaient favorables à la tradition d’accueil d’un pays construit sur les vagues successives d’arrivées de travailleurs étrangers, et faisaient preuve de prudence face au poids électoral dans leurs circonscriptions de certaines communautés établies depuis longtemps.

Mais la poussée inflationniste des deux dernières années, alliée à un manque criant de mises en chantier de nouvelles habitations, a changé la donne : alors qu’une agence fédérale du logement a récemment estimé que, d’ici à la fin de la décennie, le Canada manquerait de 3,5 millions de logements, institutions financières, opposition politique et enfin opinion publique multiplient les mises en garde. Toutes se disent convaincues que le modèle migratoire du gouvernement fédéral est « insoutenable » et contribue dans une forte proportion à la crise vécue par des milliers de familles canadiennes.

 

« Piège démographique »

Une étude, publiée le 15 janvier par la Banque nationale du Canada, une institution bancaire privée, s’est montrée d’une sévérité particulière. Sous le titre, « Le Canada est pris dans un piège démographique », les économistes Stéfane Marion et Alexandra Ducharme y expliquent que la croissance démographique actuelle au Canada « semble extrême par rapport à la capacité d’absorption de l’économie ». Ce « défi d’absorption » est particulièrement évident en matière de logements ; pour remédier au déficit actuel de l’offre, « le pays devrait plus que doubler sa capacité de construction, à environ 700 000 mises en chantier par an [contre 240 000 en 2023], un objectif inatteignable ».

 

Ils ajoutent que cette croissance démographique trop rapide a par ailleurs un impact sur le bien-être économique global ; le fait que le produit intérieur brut réel par habitant soit au point mort depuis six ans en est, selon eux, le meilleur exemple. Les auteurs concluent que, pour s’extirper du « piège », la croissance annuelle de la population ne devrait pas dépasser « 300 000 à 500 000 personnes ». Cette analyse ne fait pas l’unanimité. Le sous-gouverneur de la Banque centrale du Canada, Toni Gravelle, estimait encore, dans un discours prononcé le 7 décembre 2023, que « les nouveaux arrivants [étaient] un atout pour le Canada. Ils ont permis d’atténuer les tensions sur les marchés du travail et ont nettement amélioré le potentiel de croissance de [l’]économie ».

Mais l’idée qu’il existe désormais une inadéquation entre l’afflux de nouveaux habitants et les services, en matière de logement, mais aussi de santé ou d’école dont le pays dispose, gagne du terrain. Tout en se défendant d’être « anti-immigrés » – les arguments xénophobes restant rarissimes dans le pays –, le principal opposant politique de Justin Trudeau, le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, caracole en tête des sondages en affirmant qu’il est désormais nécessaire « d’arrimer la croissance de l’immigration à la croissance des mises en chantier ». Dans une enquête d’opinion, publiée le 29 novembre 2023, la population canadienne semblait se ranger à son avis : 48 % des personnes interrogées, contre 39 % un an auparavant, considéraient que « le Canada devrait accueillir moins d’immigrants ».

Requête du Québec

Le gouvernement de Justin Trudeau n’entend pas, à ce jour, aller plus loin et réviser ses cibles en matière d’immigration permanente ; ce sont toujours 500 000 nouveaux arrivants qui sont attendus en 2025. Mais le seul fait de marquer le pas en plafonnant les entrées, temporaires, des étudiants internationaux a suffi à enflammer le débat : le Québec a immédiatement réclamé un nouveau geste, afin de restreindre, cette fois, l’accueil des demandeurs d’asile.

Depuis qu’en 2016 M. Trudeau a supprimé la nécessité pour les Mexicains d’obtenir un visa pour entrer sur le territoire, les demandes en provenance du pays d’Amérique centrale ont explosé : pour les onze premiers mois de 2023, le Canada a reçu 22 365 demandes, soit cent fois plus qu’en 2015. Toutes ne débouchent pas sur un statut de réfugié en bonne et due forme, mais la province francophone, qui supporte, avec l’Ontario voisin, l’essentiel de la charge des nouveaux arrivants, crie au « trop-plein ».

 

« C’est clair qu’un tour de vis s’impose. Est-ce que c’est un quart de tour, un demi-tour ou deux tours ? C’est à déterminer », a prudemment répondu le ministre fédéral de l’immigration aux requêtes québécoises. Sans doute conscient d’avoir lui-même ouvert la brèche à une politique d’immigration désormais plus restrictive.

Hélène Jouan(Montréal, correspondante)