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Pierre-Louis Bras : « Ma fonction n’était pas d’aider le gouvernement »

Le Monde (site web)
politique, samedi 18 novembre 2023 - 06:00 UTC +0100 1584 mots

Pierre-Louis Bras, ancien président du Conseil d’orientation des retraites : « Ma fonction nétait pas d’aider le gouvernement »

Bertrand Bissuel

 

L’ancien président du COR répète, dans un entretien au « Monde », les affirmations qui lui ont valu d’être limogé en octobre : les dépenses de notre système par répartition « ne dérapaient pas » avant la réforme.

 

Pierre-Louis Bras a été débarqué fin octobre de ses fonctions de président du Conseil d’orientation des retraites (COR). Critiqué par l’exécutif, en particulier par la première ministre, Elisabeth Borne, au motif qu’il aurait alimenté la confusion dans le débat autour de la réforme des retraites adoptée en mars, il était sur la sellette depuis plusieurs mois.

 

Matignon vient de mettre fin à vos fonctions. Vivez-vous cette décision comme une sanction, après les déclarations de la première ministre, qui ont paru jeter le doute sur votre impartialité ?

Dans la République, personne n’est propriétaire de ses fonctions. Le président du COR est nommé en conseil des ministres et il est normal que le gouvernement change le titulaire de ce poste quand il le souhaite. Néanmoins, on ne peut pas écarter l’idée que ce changement soit lié aux tensions que vous évoquez. Pour ma part, je considère avoir rendu compte fidèlement des travaux du COR. En procédant de la sorte, je ne m’inscrivais pas dans le narratif dramatisant que voulait promouvoir le gouvernement pour justifier la réforme : la France vieillit, les dépenses de retraites explosent, ce qui nous conduira à la faillite ; donc il faut repousser l’âge légal de départ. Un ministre l’a résumé par une formule : « La réforme ou la faillite. »

 

Or les projections établies par le COR, avant la réforme, ne collaient pas avec ce scénario. Elles montraient que, malgré le vieillissement de la population, la charge des retraites – c’est-à-dire les dépenses, en pourcentage du PIB – était stable, voire diminuait. Ces mêmes projections faisaient, certes, état d’un déficit persistant du système, mais qui était imputable à une diminution de la part des ressources dédiées aux retraites.

 

La réflexion que l’on entendait souvent, au sommet de l’Etat, en parlant de vous, était : « Il ne nous a pas aidés. »

Ma fonction n’était pas d’aider le gouvernement, mais de rendre compte du consensus établi à partir des données entre membres du COR.

 

Est-ce que l’indépendance du COR est mise à mal après les attaques de la part du pouvoir en place et d’élus de la nation ?

Cela va dépendre des membres du COR, et je leur fais confiance. Mais si certains persistent à penser que le président du COR est là pour « aider » le gouvernement, et non pour restituer le fruit une réflexion collective à partir de données, il y aura un problème.

 

Plusieurs membres du gouvernement, des parlementaires de la majorité et de droite ont trouvé que les travaux du COR minimisaient les problèmes financiers du système de retraite ou permettaient de dire tout et son contraire sur sa situation. Comment avez-vous réagi à ces critiques ?

Je n’ai ni minimisé ni maximisé le problème. Je n’ai fait que reprendre ce que disaient les données, montrant que les dépenses ne dérapaient pas, tout en rappelant qu’il y avait un déficit, durable, et que celui-ci ne disparaissait qu’à très long terme et seulement sous certaines hypothèses très favorables. N’oublions pas que le gouvernement est partie prenante des travaux du COR, à travers les administrations centrales qui siègent au sein de ce dernier.

 

La réforme répond-elle aux besoins de financement des régimes de retraite, pris dans leur globalité ?

Elle n’améliore pas la soutenabilité financière du système de retraite à long terme. Elle va, certes, produire des économies dans dix ans mais, à long terme, dans trente ans, la charge des retraites va augmenter, du fait – en particulier – de l’amélioration des petites pensions et de l’allongement des carrières, qui va se traduire par une augmentation des pensions. C’est là le grand paradoxe de cette réforme : justifiée en évoquant la faillite, elle aboutit à augmenter le poids des dépenses de retraite dans le PIB, et ce même en tenant compte du surcroît de PIB induit par la réforme.

 

La réforme a été présentée comme « un projet de justice » et « de progrès » par le gouvernement. Cela vous semble-t-il fondé ?

Si l’on considère le montant des pensions perçues jusqu’à la fin de l’existence, le bilan devrait, à terme, être favorable pour les retraités les plus modestes. En termes monétaires, ils y gagnent, contrairement aux personnes situées en haut de l’échelle. Cela tient notamment à l’amélioration du minimum contributif de pension, pour le porter à 85 % du smic net (soit environ 1 200 euros à l’heure actuelle), sous réserve que certaines conditions soient remplies.

 

Cependant, il ne faut pas perdre de vue que le décalage de l’âge de départ à la retraite n’a pas le même impact selon l’activité professionnelle exercée. Le temps passé à la retraite se réduit pour tout le monde, mais cette perte pénalise davantage ceux qui ont connu des métiers pénibles, peu valorisants, peu rémunérés, exigeants. En prenant en considération tous ces paramètres, la question de savoir si c’est une réforme de justice n’a pas de réponse évidente.

 

Quel regard portez-vous sur la qualité du débat qui a accompagné la réforme ?

Engagé sur une dramatisation qui n’avait pas lieu d’être, le débat a tourné à l’affrontement, en perdant de vue les données macroéconomiques sur le système. La présentation de certaines mesures a péché par manque de clarté, notamment sur le nombre de personnes qui seront éligibles à un minimum de pension porté à 1 200 euro. Ça montre combien il est difficile – peut-être impossible – d’avoir une réflexion collective ordonnée autour des données factuelles dès lors qu’on bascule dans le conflit politique. C’est aussi l’illustration de la très grande complexité du système, au point que même un ministre n’arrive pas à tout maîtriser.

 

Pour ne rien arranger, le rendement financier de la réforme a été présenté globalement, sans tenir compte qu’une partie de ce rendement revenait aux régimes complémentaires. Or les partenaires sociaux gestionnaires du régime Agirc-Arrco ont déjà pris des mesures plus favorables aux retraités et futurs retraités, dont le coût n’avait pas été anticipé avant la réforme. Le rendement de la réforme présenté lors du débat était incertain et majoré. C’est une illustration, parmi d’autres, des limites de la transparence de ce débat.

 

Notre pays est-il capable de réformer les retraites sans déclencher un mouvement social ?

Il est toujours possible de conduire des réformes invisibles, dont la portée n’est pas saisie dans l’opinion, comme celles qui concernent les mécanismes d’indexation des pensions ou, pour l’Agirc-Arrco, le jeu sur la valeur d’achat et de service du point. Ce sont des mécanismes complexes, peu compréhensibles pour le grand public. Ils peuvent être actionnés pour limiter l’évolution des dépenses de retraite sans susciter d’émoi. En plus, dans le cas de l’Agirc-Arrco, ces ajustements passent d’autant plus inaperçus qu’ils ne sont pas discutés au Parlement et ne donnent donc pas lieu à un débat qui se politise.

 

Vous avez dit que notre système par répartition est devenu illisible, avec une quarantaine de régimes obéissant à des règles hétérogènes et compliquées. Faut-il aller vers un système universel, comme avait voulu le faire Emmanuel Macron pendant son premier mandat, avant d’y renoncer ?

Il est dommage que ce projet de réforme n’ait pas abouti car il aurait permis de gagner en transparence et en équité. Pour les salariés du privé, la coexistence d’un régime de base déficitaire et d’un régime complémentaire en excédent complique la compréhension et le pilotage du système, car les régimes fonctionnent de façon relativement étanche. C’est comme si une personne avait deux comptes bancaires – l’un dans le rouge, l’autre avec un solde positif – sans pouvoir faire de virements entre eux.

 

Le montant des pensions va progresser, mais moins vite que les revenus des actifs dans les décennies à venir. Le recours à la capitalisation est-il une solution, comme le pensent des élus de droite et des représentants du patronat ?

La dégradation relative des pensions que vous évoquez doit être remise en perspective. Le niveau de vie des retraités, qui est aujourd’hui quasiment à parité avec celui des actifs, devrait, certes, être inférieur à l’avenir. Il s’agit cependant d’un mouvement très progressif, nous ramenant à la situation qui était la nôtre au début des années 1980 ou à celle d’aujourd’hui dans des pays comme l’Allemagne ou la Suède. Par ailleurs, il s’agit d’une projection à comportement inchangé ; les actifs, futurs retraités, peuvent s’ils le veulent – et s’ils en ont les moyens – contrecarrer cette évolution, en épargnant plus pendant la vie active ou en reportant l’âge auquel ils liquident leur retraite.

 

Pour autant, faut-il obliger les assurés à cotiser pour créer un étage en capitalisation en sus des régimes en répartition ? Cela se traduirait par une augmentation des prélèvements sur les actifs. Est-ce une option envisageable, alors que certains se plaignent déjà d’avoir un système qui exige des prélèvements trop élevés sur les actifs ? Il vaut mieux, me semble-t-il, laisser la liberté de choix aux individus : tous les actifs peuvent aujourd’hui, s’ils en ont les moyens, souscrire un plan d’épargne-retraite.