Maladie d’Alzheimer : le rôle délétère des cellules immunitaires du cerveau se précise
Une sous-population de cellules microgliales, suractivées par le stress lié au processus dégénératif, libère des lipides toxiques qui aggravent ce processus, montre une étude chez la souris. Ces cellules sont aussi présentes dans le tissu cérébral de personnes mortes avec la maladie Alzheimer.
Par Florence Rosier
Dans le « village Alzheimer » de Dax, dans les Landes, le 7 juillet 2020. AXELLE DE RUSSÉ POUR « LE MONDE »
C’est une nouvelle pièce ajoutée au puzzle des dysfonctionnements cellulaires et moléculaires qui caractérisent la maladie d’Alzheimer. Elle a été trouvée dans une sous-population de cellules méconnues, les « cellules microgliales ». De petite taille, ces cellules immunitaires sont capables de se déplacer dans le cerveau et de changer de forme très rapidement. En conditions normales, elles sont très ramifiées : en permanence, elles surveillent le tissu cérébral en projetant et rétractant leurs prolongements. Dès qu’elles détectent un intrus (microbe par exemple) ou une anomalie, elles s’activent, grossissent et s’arrondissent, pour ingérer et neutraliser l’envahisseur.
Il arrive cependant que ce système se retourne contre le cerveau. Selon une étude publiée le 23 décembre dans la prestigieuse revue Neuron, certaines cellules microgliales aggravent en effet la neurodégénérescence dans la maladie d’Alzheimer. Près de 60 millions de personnes dans le monde, dont 1,2 million en France, sont touchées par cette pathologie, qui se traduit par une détérioration progressive des fonctions cognitives.
Trois composantes
Depuis des années, la recherche sur les mécanismes de la maladie s’est focalisée sur deux objets : deux anomalies observées, dès 1907, dans le cerveau d’une patiente morte, par le psychiatre allemand Aloïs Alzheimer (1864-1915) – qui donnera son nom à la maladie. Il s’agit, d’une part, des « plaques bêta-amyloïdes » qui s’accumulent autour des neurones ; d’autre part, des « enchevêtrements neurofibrillaires » à l’intérieur des neurones. Les premières sont constituées d’un peptide dénaturé, le « ß‑amyloïde », qui forme des agrégats ; les seconds d’une version anormale de la protéine tau (tauopathie). Mais ces deux types de lésions, à l’évidence, ne suffisent pas à tout expliquer. Et depuis plus d’un siècle, les neuroscientifiques butent sur ce casse-tête.
Peu à peu, le rôle délétère d’une troisième composante est apparu : les processus inflammatoires à l’œuvre dans le cerveau. D’où un intérêt renouvelé pour les cellules gliales. « Depuis une dizaine d’années, on redécouvre l’importance de l’activation microgliale dans la maladie, observée dès les années 1980, indique Alexis Bemelmans, de l’université Paris-Saclay (CEA, CNRS) à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Cette étude clarifie les mécanismes qui relient cette activation à la neurodégénérescence. »
Les auteurs, de l’université de New York (Etats-Unis), ont d’abord confirmé une observation réalisée en 2016 par une Canadienne, Marie-Eve Tremblay. La chercheuse, également signataire de l’article de Neuron, avait constaté la présence de cellules microgliales très sombres dans le cerveau de souris modèles de la maladie, observé sous microscope. « Ici, nous avons observé une accumulation de ces cellules microgliales sombres dans le tissu cérébral de trois personnes décédées avec la maladie d’Alzheimer, indique Pinar Ayata, qui a coordonné l’étude. Mais pas dans le tissu cérébral de trois personnes âgées décédées sans la maladie. »
<img src="https://jpcdn.it/img/r/664/443/19918bd05c268fa5414c61aa2e012b9a.jpg" alt="Vue de coupes de cerveau humain post-mortem. A gauche : cortex préfrontal d’une femme de 92 ans décédée sans maladie d’Alzheimer, où l’on voit une cellule microgliale typique (TM). A droite : cortex préfrontal d’une femme de 91 ans morte avec cette maladie, où l’on observe une cellule microgliale sombre (DM), une plaque amyloïde (Aß) et des dégénérescences neurofibrillaires (DN) au sein d’un neurone. "><span class="Apple-converted-space"> </span> Vue de coupes de cerveau humain post-mortem. A gauche : cortex préfrontal d’une femme de 92 ans décédée sans maladie d’Alzheimer, où l’on voit une cellule microgliale typique (TM). A droite : cortex préfrontal d’une femme de 91 ans morte avec cette maladie, où l’on observe une cellule microgliale sombre (DM), une plaque amyloïde (Aß) et des dégénérescences neurofibrillaires (DN) au sein d’un neurone. ANNA FLURY / GRADUATE CENTER OF THE CITY UNIVERSITY OF NEW YORK
Les chercheurs ont ensuite caractérisé ces cellules chez des souris modèles d’Alzheimer. Dans ces cellules microgliales sombres, une voie particulière d’adaptation au stress est activée. Il s’agit de la « réponse intégrée au stress », un mécanisme très ubiquitaire que les cellules actionnent face à des dommages ou à des contraintes de leur environnement. « Quand cette voie est activée, les cellules fabriquent moins de protéines, tout en activant des voies favorisant la résolution du stress et la survie cellulaire », indique Gilles Bonvento, CNRS-Institut des neurosciences Paris-Saclay. Ici, cette voie a incité les cellules microgliales à produire et à libérer des lipides… toxiques pour les neurones de ces rongeurs. Ils contribuent notamment à la perte des synapses, ces zones de communication entre les neurones.
« C’est un nouveau rôle de la microglie qui est montré, commente Gilles Bonvento. On découvre que des lipides sécrétés par ces cellules peuvent jouer un rôle de signalisation délétère. »
Un scénario connu
Utilisant des souris génétiquement modifiées, les auteurs ont inhibé cette voie de réponse au stress dans les seules cellules microgliales. Résultat, ils ont diminué la perte des synapses et la tauopathie. Et obtenu le même effet en bloquant la production des lipides neurotoxiques. Mais ils n’ont pas évalué l’impact de ces interventions sur la mémoire ou l’apprentissage.
Il est trop tôt pour évoquer le potentiel thérapeutique de cette approche, estime Gilles Bonvento. Car comment, dans l’espèce humaine, agir sélectivement sur les cellules microgliales du cerveau en ciblant cette voie qui est ubiquitaire ? Toutes les cellules peuvent y avoir recours face à certains stress (infections virales, troubles métaboliques, etc.).
« Cette étude établit un pont entre les trois types de lésions de la maladie : plaques amyloïdes, neuro-inflammation et tauopathie », estime Alexis Bemelmans, qui déroule un « scénario assez communément admis ». Vingt ans au moins avant que n’apparaissent les premiers symptômes, des plaques amyloïdes commenceraient à s’accumuler dans le cerveau. En réaction, les cellules microgliales s’activeraient pour, dans un premier temps, nettoyer le tissu cérébral de ces plaques. Mais ensuite, dépassées par les événements et devenues pro-inflammatoires, elles activeraient la voie de réponse intégrée au stress, libérant des lipides toxiques… qui aggraveraient les lésions tau, « celles qui semblent entraîner les principaux symptômes », souligne Alexis Bemelmans.