Cancers : les vaccins à ARN contre le Covid-19 doperaient l’efficacité des immunothérapies
Par Florence Rosier
FORTU
Stimuler les défenses anticancer des patients grâce à un vaccin à base d’ARN, qui pourtant ne cible pas spécifiquement les cellules tumorales. L’idée est séduisante, et la stratégie pourrait être efficace, si l’on en croit une étude américaine publiée dans la revue Nature, le 22 octobre. Ainsi, les deux vaccins anti-Covid-19 à ARN disponibles, ceux de BioNTech-Pfizer et de Moderna, pourraient doubler la survie médiane de patients atteints d’un cancer du poumon « non à petites cellules », et multiplier par 1,5 le taux de survie en cas de mélanome métastatique. Cela à condition qu’ils soient administrés dans les cent jours suivant le début de cet autre traitement que ces patients ont aussi reçu : une immunothérapie destinée, elle aussi, à renforcer la capacité du système immunitaire à combattre les tumeurs.
Mais la méthodologie de cette étude fait débat. Comment les auteurs, du centre médical MD Anderson à l’université du Texas, ont-ils procédé ? Ils ont examiné les dossiers de deux groupes de patients suivis dans cet hôpital, entre janvier 2015 et septembre 2022, pour un cancer du poumon non à petites cellules, de stade avancé ou métastatique. Le premier groupe (704 patients) a été traité par une immunothérapie : un « inhibiteur de point de contrôle » (conçu pour lever les freins exercés sur le système immunitaire par les cellules tumorales). Le second groupe (180 patients) a également reçu cette immunothérapie, mais aussi, en sus, un vaccin à ARN contre le Covid-19.
Dans le groupe ainsi vacciné, la survie médiane apparaissait quasi doublée. Elle était de 37,3 mois, contre 20,6 mois dans le groupe non vacciné. Au bout de trois ans, le taux de survie était de 55,7 % dans le groupe vacciné, de 30,8 % dans le groupe non vacciné.
En revanche, les patients qui recevaient ce vaccin sans immunothérapie n’en ont tiré aucun bénéfice mesurable. Pas plus que ceux qui avaient reçu un vaccin contre la pneumonie ou contre la grippe.
Stratégies combinées
Autre type de cancer étudié : les mélanomes métastatiques. Ici, les auteurs ont comparé 167 patients traités par une immunothérapie à 43 patients ayant reçu en sus un vaccin à ARN anti-Covid-19 dans les cent jours suivant le début de l’immunothérapie. Résultat : le taux de survie à trois ans passait de 44,1 % chez les patients non vaccinés, à 67,6 % chez les patients vaccinés.
Mais l’observation de cet effet bénéfique repose, c’est son talon d’Achille, sur une analyse a posteriori des dossiers médicaux des patients. Et cette étude rétrospective est loin d’avoir la même force probante qu’un essai clinique randomisé.
Les auteurs assurent, certes, avoir pris en compte les biais potentiels liés à 39 facteurs individuels : le stade de développement du cancer, les mutations de la tumeur, les comorbidités… Pour autant, « avec une étude rétrospective, des biais d’analyse sont toujours possibles », tempère Caroline Robert, spécialiste des mélanomes à l’Institut Gustave-Roussy, à Villejuif (Val-de-Marne).
L’épidémiologiste Mahmoud Zureik se montre plus critique encore. Le nombre limité de patients, le design, la comparabilité des groupes… sont autant de faiblesses, souligne le professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’université de Versailles - Saint-Quentin-en-Yvelines. Pour l’heure, « aucune conclusion valide ne peut en être tirée », juge-t-il dans un post sur LinkedIn.
Pour autant, l’équipe texane apporte quelques arguments expérimentaux « très convaincants », selon Olivier Lantz, immunologiste à l’Institut Curie, à Paris, sous réserve que ces constats chez la souris soient extrapolables à notre espèce. Les auteurs ont reconstitué, chez ce rongeur, le déroulé des processus d’activation de l’immunité anticancer induite par de tels vaccins à ARN, ne ciblant pas directement les cellules tumorales.
Et voici ce qu’ils ont observé. Ces vaccins à ARN, chez la souris, activent d’abord des cellules de l’immunité innée qui circulent dans le sang : elles se mettent alors à produire une flambée de messagers moléculaires, nommées « cytokines antivirales ». Parmi elles, l’interféron alpha (IFNα) joue un rôle crucial. Ce flot de cytokines va ensuite stimuler des cellules de l’immunité innée qui résident dans la tumeur, les cellules présentatrices de l’antigène. Celles-ci, à leur tour, activent des cellules de l’immunité adaptative, les lymphocytes T, éduqués à reconnaître spécifiquement les antigènes des cellules cancéreuses. Ces cellules « tueuses de cancer » vont alors accomplir leur mission.
Retorses, les cellules cancéreuses tentent de déjouer cette attaque : elles exposent à leur surface une profusion de protéines PD-L1, censées enrayer les défenses immunitaires. Mais l’immunothérapie monte au front, épaulant le vaccin pour contrecarrer cette ruse. Au bout du compte, les deux stratégies combinées, le vaccin à ARN non spécifique des antigènes tumoraux et l’immunothérapie, provoquent une régression tumorale et une amélioration de la survie.
« Puissants activateurs »
Certains des processus d’activation de l’immunité anticancer, toujours chez la souris, semblent indépendants de la protéine codée par l’ARN messager. Ainsi, « d’autres constructions d’ARN produisent une immunité antitumorale similaire », rapporte Adam Grippin, premier auteur de ce travail. C’est le cas, par exemple, d’un ARN qui cible l’antigène pp65 du cytomégalovirus.
Finalement, « les vaccins à base de nanoparticules lipidiques contenant de l’ARN messager sont de puissants activateurs du système immunitaire, résume Adam Grippin. Ces boules d’ARN étroitement compactées ressemblent beaucoup à des virus. Et elles sont très efficaces pour stimuler les multiples voies de signalisation dans la cellule, conçues pour détecter l’ARN. » Un peu comme lors d’un processus d’infection, relève Caroline Robert.
En parallèle, chez une poignée de volontaires humains en bonne santé, les chercheurs ont confirmé que les vaccins à ARN anti-Covid-19 induisent aussi une puissante sécrétion d’IFNα – jusqu’à 280 fois son niveau de base. Ce pourrait être le pivot d’une réponse antitumorale…
« Cette étude génère une hypothèse majeure à explorer, estime Mahmoud Zureik. Si les résultats sont confirmés, cela constituerait une avancée scientifique majeure. » L’intérêt des vaccins thérapeutiques à ARN en développement, qui ciblent spécifiquement les antigènes des tumeurs de chaque patient, serait-il alors remis en question ?
« Nous sommes très optimistes quant aux avantages de ces vaccins à ARN personnalisés, répond Adam Grippin. Mais ceux-ci sont limités par leur coût, leur complexité et leur temps de fabrication, ce qui peut retarder de plusieurs mois leur administration aux patients. » Par contraste, les vaccins thérapeutiques universels à ARN, peu coûteux et faciles à produire, pourraient être disponibles dès le début du traitement.
Une vision à laquelle adhère l’oncologue Ugur Sahin, cofondateur de la société BioNTech. « L’avenir réside probablement dans la combinaison de ces deux types de vaccin thérapeutique, dit-il. Des vaccins universels prêts à l’emploi, pour une sensibilisation initiale du système immunitaire, et des vaccins personnalisés ciblant les néo-antigènes tumoraux propres à chaque patient, pour un contrôle durable de la tumeur. » A condition, bien sûr, de confirmer tous ces effets.