Le street-artiste Invader sur les traces de REVS dans le métro de New York
Publié le 25 janvier 2021 à 23h44 - Mis à jour le 26 janvier 2021 à 20h05Lecture 4 min.
« Un artiste regarde une œuvre » (2/6). Six peintres ou plasticiens partagent leurs coups de cœur. Aujourd’hui, le street-artiste français confie avoir une fascination particulière pour le graffeur américain.
Le street-artiste français Invader, fameux envahisseur d’espaces publics avec ses Space Invaders, mosaïques à l’esthétique low tech, confie avoir une fascination particulière pour un créateur encore plus secret que lui : l’Américain REVS, référence du graffiti new-yorkais, dont l’œuvre clé prend la forme d’un livre, aux pages XXL éparpillées sous la surface de la ville.
Comment avez-vous découvert le travail de REVS ?
En l’an 2000 à New York. On m’avait donné un contact dans le réseau d’entraide du graffiti, et un jeune graffeur m’a accueilli dans son loft à Soho. Il faisait beaucoup de photos, et il m’a montré celles qu’il avait prises dans les tunnels du métro. Contrairement aux murs en extérieur, ceux du métro ne sont pas nettoyés, ce qui en fait une sorte de musée souterrain.
J’ai eu un vrai coup de cœur en découvrant le travail de REVS. Le graffiti traditionnel ne me parle pas tellement, mais là, la démarche était vraiment singulière. Il écrivait un texte autobiographique sous la ville, sur des pages peintes en très grand format, en 4 mètres par 3.
La découverte s’est transformée en obsession…
Oui, j’ai voulu en savoir plus. De retour à Paris, je me suis documenté et j’ai amassé tout ce qui a été écrit ou filmé sur lui, c’est-à-dire pas grand-chose. REVS a été l’un des tout premiers, si ce n’est le premier, à faire du graffiti au rouleau, avec une perche télescopique, dessinant de grandes lettres, massives, très simples, généralement blanches. Il a été très prolifique, et son influence énorme.
Son nom vient de Revlon, la marque de cosmétiques, c’était d’ailleurs son premier nom de graffeur. Il est de ma génération, né à la fin des années 1960, et il est devenu célèbre avec un autre graffeur, COST, dans les années 1990, en inondant les rues de New York d’affichettes aux messages provocateurs. C’est après l’arrestation de COST que REVS a commencé à descendre peindre dans le métro et à écrire la chronique de sa vie, à l’abri des regards.
Vous avez finalement suivi ses pas dans le métro pour y « lire » son autobiographie graffée. Qu’y raconte-t-il ?
Je rêvais d’aller voir ces pages in situ, et dans l’ordre, et c’est ce que j’ai fait en 2016. Pendant quinze jours, je suis descendu chaque nuit dans ce dédale de galeries. Chaque page est une tranche de vie, et se lit comme un feuilleton. Il y parle de son enfance, de sa condition de jeune graffeur vivant à Brooklyn, il y énumère les groupes punk qu’il a vus au club CBGB…
Les pages sont toutes datées et numérotées. Il avait prévu d’en faire 265, soit le nombre d’intersections entre deux stations à travers tout le réseau du métro new-yorkais. Il a été arrêté à la 220e, c’est une œuvre inachevée, mais chaque page est splendide : l’histoire qu’elle raconte, le placement, le geste, l’écriture…
Que vous a appris cette expédition, que vous avez d’ailleurs ponctuée de près d’une trentaine de mosaïques-hommages ?
Ce fut une expérience très intense. C’est l’endroit à la fois le plus paisible et le plus chaotique qu’il m’ait été donné de voir et d’expérimenter : le calme entre deux métros, les lumières bleues qui suivent les rails, la perspective des tunnels, les odeurs d’acier et de suie, le bruit assourdissant et grinçant des métros qui passent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et le danger omniprésent. C’est dans ces conditions qu’il a peint pour chaque page un large espace en blanc.
Puis, avec un escabeau en bois, il écrit son texte à la bombe noire, avançant comme une machine à écrire pour chaque ligne, poussant l’escabeau, remontant, et se cachant à chaque métro avec son matériel en évitant de toucher le rail électrique de 1 500 volts. La somme d’efforts et de temps que REVS a consacrée à ce projet est stupéfiante et pourtant, à la vitesse à laquelle circulent les métros, ce travail est quasi impossible à voir sans se rendre sur place à pied, ce qui est, bien sûr, interdit.
Vous avez aussi réussi à le rencontrer après une longue quête…
Oui, j’ai eu envie de le rencontrer. A l’époque où je l’ai découvert, le livre The Art of Getting Over, écrit par son ami le graffeur ESPO, était sorti. Il y parle d’une dizaine d’artistes new-yorkais, dont REVS. Ma première piste avait donc été de contacter ESPO, qui m’a dit : « Impossible, il ne veut voir personne. »
C’est un personnage à part, un homme sauvage, qui vit avec son chien. Après plus de quinze ans de recherches et de tentatives, en 2018, quelqu’un a accepté de me le présenter. Cette rencontre m’a beaucoup impressionné. Ce n’est pas un hipster, mais un authentique worker, il est soudeur sur les ponts de New York. Il ressemble aux héros des films de John Carpenter, un incorruptible avec une vraie carrure. C’est quelqu’un qui a une rage en lui, un besoin vital de créer. Il a dû arrêter le graffiti après sa condamnation, mais il est passé à un autre projet : des graffs sculptés en métal, qu’il soude sur les structures métalliques de la ville.