Les outils du « réarmement civique » à l’école voulu par Emmanuel Macron
Les contours de plusieurs mesures annoncées lors de la conférence de presse du chef de l’Etat, le 16 janvier, demeurent flous, et l’application de certaines d’entre elles est soumise à la mise en place de moyens supplémentaires.
Par Eléa Pommiers
Gabriel Attal, PM, Bruno Le Maire, ministre de l'économie ; Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, Marc Fesneau, ministre de l'agriculture ; Rachida Dati ministre de la culture et Conférence de presse du président de la République, Emmanuel Macron, au palais de l'Elysée, à Paris, le 16 janvier 2024. LAURENCE GEAI/MYOP POUR « LE MONDE »
Emmanuel Macron avait prévu de faire de la jeunesse le premier axe de son « réarmement civique » de la nation, et l’école a sans conteste occupé une large part de la conférence de presse donnée par le président de la République, mardi 16 janvier. « Chaque génération de Français doit apprendre ce que la République veut dire : son histoire, ses droits, ses devoirs, sa langue, son imaginaire, et cela dès l’enfance », a fait valoir le chef de l’Etat.
Emmanuel Macron a finalement moins esquissé l’architecture d’un grand projet pour l’école qu’égrené une panoplie de mesures diverses, dont la plupart étaient déjà connues. Deux nouveaux sujets ont été évoqués par le chef de l’Etat, répondant aussi à sa volonté affichée de démocratiser l’accès à la culture. Le premier est le théâtre comme « passage obligé au collège », car « cela donne confiance, apprend l’oralité, le contact aux grands textes ». Le second concerne l’histoire de l’art, qui « retrouvera sa place » parce que « la France est aussi une histoire, un patrimoine qui se transmet et qui unit » – la discipline fait aujourd’hui l’objet d’une option et d’une spécialité au lycée, et a été introduite au collège par Nicolas Sakozy en 2009.
Celui qui a fait de l’école son « domaine réservé » a mentionné par ailleurs la création de « cérémonies de remise de diplômes » au collège et au lycée, un « rite républicain d’unité » pour « donner des repères ». Une pratique déjà existante, là aussi : Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale de François Hollande, avait ainsi créé, en 2016, une « cérémonie républicaine de remise du diplôme national du brevet ».
Le « réarmement civique » agrège donc surtout des mesures déjà présentées de manière éparse depuis un an. M. Macron a rappelé notamment la refonte des programmes d’enseignement moral et civique – qu’il a évoqué sous son ancienne dénomination d’« instruction civique » –, dont le volume horaire sera doublé au collège à partir de la 5e pour passer à une heure hebdomadaire, comme annoncé en juin 2023. De même, il a mentionné l’expérimentation de la « tenue unique » lancée en décembre, qui concernera une centaine de territoires en 2024 et sera « généralisée » en 2026, si les résultats sont « concluants ».
Nombreuses inconnues
De « généralisation » il est par ailleurs toujours question pour le service national universel (SNU), promesse de campagne de 2022 de M. Macron, devenue un serpent de mer pour le gouvernement. L’ancienne secrétaire d’Etat au SNU Sarah El Haïry avait reculé, en juin 2023, sur l’extension du dispositif aux 800 000 lycéens de 2de et décidé que seules des classes « volontaires » pourraient y participer sur le temps scolaire en 2023-2024. Les obstacles législatifs et logistiques à une généralisation sont nombreux, à commencer par son financement : ce dernier a été retiré, en mars 2023, de la loi de programmation militaire qui court jusqu’à 2030.
De nombreuses inconnues questionnent ainsi la faisabilité de ces annonces : l’histoire de l’art et le théâtre deviendront-ils des cours à part entière et obligatoires pour tous ? Avec quels moyens en temps et en enseignants ? Le SNU deviendra-t-il obligatoire, ce qui impliquerait de légiférer, ou sera-t-il seulement étendu ? Sera-t-il organisé sur les périodes scolaires, en dépit de la franche opposition des enseignants et des parents d’élèves ?
Quoi qu’il en soit, la prise de parole présidentielle a semblé « loin des enjeux de l’école » aux principaux représentants de la communauté éducative. Du côté des syndicats enseignants, les réactions sont sévères face à des annonces qualifiées d’« esbroufe » ou de « gadget ». « Le service public s’effondre et le président regarde ailleurs… Sauf erreur de ma part, l’uniforme ne fait pas revenir un professeur remplaçant ! », ironise Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, pour qui le président a « disserté sur l’école du passé ». « Un savant mélange de déconnexion, de méconnaissance et de recyclage pour un effet cosmétique recherché », cingle également Elisabeth Allain-Moreno, du SE-UNSA.
Même dépit du coté de la fédération des conseils de parents d’élèves, la FCPE. « Pas un mot des effectifs de classe, pas un mot de mixité sociale, observe son président, Grégoire Ensel. Donc on va laisser des élèves assignés à résidence dans des écoles ghettos où la République n’arrive pas à tenir ses promesses mais leur demander de chanter la Marseillaise, de porter l’uniforme et de faire le SNU ? Ce n’est pas possible, c’est l’école [du film] “Les Choristes” qu’on nous vend, pas celle de demain. »
Quant à la question de savoir qui porterait ce programme contesté, alors que les appels à la démission de la ministre de l’éducation nationale sont nombreux depuis que cette dernière a provoqué un tollé en portant une accusation – démentie depuis – contre une école publique du 6e arrondissement de Paris pour justifier la scolarisation de ses enfants dans le privé, M. Macron semble l’avoir tranchée. « La ministre a eu un propos public qui a été maladroit. Elle s’en est excusée, elle a bien fait », a déclaré le chef de l’Etat, lui exprimant son « indulgence ». La feuille de route développée mardi reste donc entre les mains d’Amélie Oudéa-Castéra.