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Prévention des agressions sexuelles : les actions isolées des associations au sein de l’école

Dans toute la France, une dizaine d’associations organisent des ateliers contre les abus sexuels, dont l’inceste. Si elles bénéficient d’un fort rayonnement local, ces structures pâtissent d’un manque de reconnaissance et de moyens au niveau national.
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« Hygiène bucco-dentaire, sécurité routière, alimentation… » Des interventions à thème dans sa classe de grande section de maternelle, Camille, enseignante depuis huit ans à Bordeaux qui a requis l’anonymat, en a connu beaucoup. Mais sur les violences faites aux enfants, et plus particulièrement sur les abus sexuels qu’ils peuvent subir, « rien », regrette la jeune femme de 32 ans. « Sur ces problèmes de société, on est démunis », déplore-t-elle.
Dans le sillage de l’affaire Duhamel, le politologue accusé d’inceste sur son beau-fils, les chiffres ont pourtant été martelés. Selon un sondage Ipsos réalisé en novembre 2020, un Français sur dix affirme avoir été victime d’inceste. Comment imaginer dès lors que ses élèves soient épargnés ? Plusieurs fois dans sa carrière, Camille s’est « inquiétée pour certains, sans savoir quoi faire ».
Des associations de prévention existent pourtant, qui bénéficient souvent d’un fort rayonnement local, mais pâtissent d’un manque de reconnaissance au niveau national. Selon le ministère de l’éducation, une quarantaine d’associations conventionnées réalisent des interventions dans les écoles sur le thème des violences faites aux enfants, dont SOS Homophobie ou encore Ni putes ni soumises.
Culture du silence
« Le champ est large, reconnaît Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco), rattaché au ministère de l’éducation nationale, il ne s’agit pas d’associations qui interviennent spécifiquement sur les abus sexuels. » Selon un recensement du Monde, une dizaine d’associations – environ une par région – sont mobilisées sur la question des abus sexuels et de l’inceste. Si toutes les associations estiment qu’il faudrait sensibiliser les élèves dès la maternelle, la majorité intervient en primaire et au collège, auprès d’un public âgé de 8 à 12 ans.
Avant toute intervention dans les classes, il s’agit d’abord de « rassurer » le personnel scolaire et les parents. Car les réticences des adultes sont nombreuses. « Comme on ne veut pas que ça existe, on ferme les yeux », constate Fabia, enseignante et bénévole au sein de Claf’outils, une association féministe francilienne, qui parle d’« une culture du silence » autour des agressions sexuelles faites aux enfants.
« Nous expliquons que nous ne sommes pas là pour faire du repérage d’enfants abusés mais pour leur donner des clés pour se protéger des violences », explique l’ancien rugbyman Sébastien Boueilh, fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile, et lui-même violé par son entraîneur alors qu’il était adolescent.
« Le corps parle »
Avoir conscience de son corps, apprendre à dire non et savoir à qui s’adresser lorsqu’on se sent menacé : voilà les piliers de ces sessions, dont beaucoup s’inspirent du programme canadien « Mon corps, c’est mon corps », développé dans les années 1980. A l’aide de vidéos pédagogiques ou de saynètes jouées par les adultes, les intervenants abordent le sujet des agressions sexuelles commises par un inconnu, mais aussi par un proche. Oncle, grand-père, frère, parents… Toutes les associations abordent une situation d’inceste, en insistant sur la notion de secret, souvent centrale dans la rhétorique de l’agresseur.
« Est-ce un secret agréable ou désagréable ? », demandent ainsi les intervenants aux enfants. « On leur donne la permission de se libérer des secrets qui font mal », résume Laura Chaumont, membre de l’association belge Garance. Chargée de former des intervenantes en France, elle précise qu’il s’agit ensuite de présenter à l’enfant les personnes de confiance pour les accompagner dans cette libération de la parole.
« En sept ans, il ne s’est pas passé une intervention sans que je repère un enfant victime de violences sexuelles », confie Sébastien Boueilh, fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile
Lors de ces séances, deux profils se dégagent toujours : ceux qui n’ont jamais été confrontés à cette situation et ceux qui ont déjà vécu des violences sexuelles. « Les élèves qui n’ont jamais été victimes prennent cela comme une information lambda », souligne Sylvie Barjon, présidente de l’association stéphanoise Aispas (Association interprofessionnelle de soins et de prévention des abus sexuels). Mais selon la psychologue clinicienne, ces ateliers permettent ainsi « de créer une chaîne d’entraide entre les enfants ». Alain Arsac, directeur de l’école Baraillère à Saint-Jean-Bonnefonds (Loire), se souvient d’un élève qui, après une intervention, avait alerté sa maîtresse à propos d’abus subis par une copine de classe.
Pour les autres, « c’est le corps qui parle », souligne Fabia. Un enfant qui s’agite, qui se recroqueville, qui baisse les yeux, qui change soudainement de posture, qui veut quitter la pièce, constitue autant de signaux qui interpellent les intervenants. « En sept ans, il ne s’est pas passé une intervention sans que je repère un enfant victime de violences sexuelles, confie Sébastien Boueilh. Les enfants se sentent moins jugés avec moi qui ai vécu la même chose. »
« Est-ce que mon papa ira en prison ? »
Comme de nombreuses associations, le Colosse aux pieds d’argile laisse une « boîte aux lettres » dans la classe pour que les enfants puissent poser leurs questions anonymement. « Mon papa ira en prison si je raconte qu’il m’a mis un doigt dans la foufoune ? », a interrogé un jour une petite fille, résumant le conflit de loyauté et le sentiment de culpabilité qui animent les enfants victimes d’inceste. « On explique que c’est grave, car le rôle d’un parent ou d’un proche, c’est de protéger les enfants », explique Sébastien Boueilh. Lorsqu’il raconte son histoire, l’ancien rugbyman précise toujours que son agresseur est allé en prison, « pour que les autres enfants soient protégés ».
Les associations proposent généralement aux enfants qui le souhaitent d’échanger de façon individuelle après les interventions. « Est-ce que c’est une histoire vraie ce qu’on a vu ? », a questionné une enfant de 9 ans, avant de raconter que son frère en alternance, présent les week-ends à la maison, « faisait un peu comme sur la vidéo ». Il la caressait le soir dans sa chambre avant d’éjaculer devant elle. « J’ai une copine à qui c’est arrivé », confient également des enfants victimes, pour obtenir des solutions sans se dévoiler.
Le plus souvent, la parole se libère quelques jours ou mois plus tard. Au sein de l’école Baraillère, une affaire a fini devant la justice. Une élève a révélé à sa maîtresse les confidences d’une amie. Deux personnels scolaires ont pu recueillir le témoignage de l’enfant, victime d’inceste, avant de réaliser un signalement. « Cette affaire a conforté ma volonté de mener ces ateliers de façon pérenne », lance le directeur M. Arsac, qui a demandé à l’infirmière scolaire, formée par les membres de l’association Aispas, d’effectuer elle-même les interventions.
Manque de moyens
Si certaines associations se chargent des signalements ou des informations préoccupantes, c’est généralement l’école qui prend le relais. Sans que cela soit toujours suivi d’effets devant la justice. Les associations évoquent notamment un manque de formation des personnels scolaires et des failles dans le processus de signalement.
 
A l’unisson, les associations appellent d’ailleurs à un renforcement de la prévention au niveau national. Pour l’heure, elles reposent généralement sur le bénévolat, et doivent composer avec de maigres budgets, obtenus grâce aux subventions locales.
« Nous demandons que, dès la maternelle, tous les ans, un professionnel passe dans les classes », dit Martine Brousse, présidente de La Voix de l’enfant, qui rassemble plus de 80 associations de défense des plus jeunes. Appelant à « une politique nationale harmonisée et cohérente », elle réclame également « une circulaire claire sur ce qui doit être mis en place dans les écoles, avec une sanction des établissements en cas de non-respects des dispositifs ».
Edouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire, fait savoir que plusieurs mesures sont à l’agenda pour améliorer la prévention à l’école, évoquant « un renforcement des espaces de parole, notamment par le biais des associations ». Mais de quelle ampleur ? « Comme si, en 2021, on devait encore prouver qu’il est important de faire de la prévention sur les problèmes d’inceste », soupire la présidente d’Aispas, rappelant qu’il s’agit avant tout d’un problème de santé publique : « 50 % des suicides chez les adolescents ont pour origine des agressions sexuelles. »