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La défense d’Amélie Oudéa-Castéra sur la scolarisation de ses enfants fragilisée par l’ancienne institutrice de son fils

 

Critiquée pour avoir scolarisé ses enfants à Stanislas, établissement privé très conservateur, la nouvelle ministre de l’Education nationale avait justifié sa décision en raison «des paquets d’heures pas remplacées» dans l’école publique de son fils aîné. Où il n’a en réalité passé que six mois de petite section de maternelle.
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La ministre de l’Education nationale, Amélie Oudéa-Castéra, vendredi à Andrésy. (Denis Allard/Libération)

par Cécile Bourgneuf et Pauline Moullot

 

 

Une ministre de l’Education nationale qui met ses enfants dans le privé, ça la fiche mal. Mais quand celle-ci, la toute fraîchement nommée Amélie Oudéa-Castéra, se justifie de cette polémique en dézinguant l’école publique qu’elle est censée défendre, c’est encore pire. D’autant que les arguments de l’ancienne tenniswoman de 45 ans pourraient être fragilisés par les informations recueillies par Libération. Notamment le fait que l’expérience du public par ses enfants se résume à six mois de petite section de maternelle. Tout commence vingt-quatre heures à peine après son arrivée rue de Grenelle, lorsque la ministre au portefeuille XXL (outre l’Education, il comporte les Sports, la Jeunesse et les JO), se déplace dans un collège des Yvelines au côté du Premier ministre, Gabriel Attal, vendredi 12 janvier.

Répondant aux révélations de Mediapart sur la décision de scolariser ses trois fils dans l’établissement catholique privé Stanislas (VIe arrondissement de Paris), sous contrat d’association avec l’Etat, Amélie Oudéa-Castéra invoque «la frustration [des] parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées [dans le public, ndlr]. Et à un moment, on en a eu marre […] on a fait un choix d’aller chercher une solution différente». La seule expérience de son fils aîné, Vincent, «qui a commencé comme sa maman à l’école publique, à l’école Littré» confronté à des profs absents et non remplacés aurait donc convaincu ses parents de traverser la rue pour inscrire la fratrie à «Stan», un établissement conservateur.

«Rien à voir avec des problèmes de remplacement inexistants»

Le tableau dépeint par Amélie Oudéa-Castéra semble en réalité largement exagéré. Selon nos informations, Vincent, né en 2006, n’a passé qu’un semestre à l’école maternelle publique Littré, dans le VIe arrondissement de Paris. Il y a été scolarisé six mois en petite section, à partir du deuxième trimestre de l’année scolaire 2008-2009, donc en janvier 2009. «Ce que dit la ministre est archifaux, ça m’a horrifiée», réagit Florence. Cette professeure aujourd’hui à la retraite est en colère depuis les déclarations d’Amélie Oudéa-Castéra. Et pour cause, Florence était l’enseignante de Vincent et ne digère pas d’avoir été ainsi pointée du doigt. «Je me sens personnellement attaquée. Je n’ai pas été absente et quand bien même cela aurait été le cas, on était toujours remplacé. Il n’y a jamais eu de problème de remplacement à Littré qui est une petite école très cotée.»

 

Selon elle, la raison pour laquelle la ministre a décidé de changer son fils d’école pour le privé n’a «rien à voir avec des problèmes de remplacement inexistants». Vincent, un «petit garçon très mignon» entre à l’école Littré en 2009, en cours d’année, au deuxième trimestre. Il vient d’avoir 3 ans et démarre doucement, en allant en cours seulement le matin. «C’est sa nounou qui venait le chercher le midi», se souvient Florence qui croisait ses parents, décrits comme «charmants», le matin. Son père, Frédéric Oudéa, numéro 2 de la Société générale en devient le PDG en mai 2009. Sa mère, Amélie Oudéa-Castéra, occupe à cette époque un gros poste chez Axa. Tout se passe bien, jusqu’au mois de juin.

«Vincent avait du mal à s’adapter à l’école et j’apprends à ce moment-là que ses parents voulaient qu’il passe en moyenne section en septembre alors qu’il faut avoir 4 ans normalement. Et on a refusé, d’autant plus que c’était à son désavantage parce qu’il n’était pas encore mature. On a refusé pour son bien ! Je me souviens avoir dit à la ministre “Il a beaucoup souffert, laissez-le moi une année de plus.” Mais elle ne voulait pas qu’il se retrouve avec des plus petits, alors ils l’ont envoyé à Stanislas, qui l’a accepté.»

«Pas pour des raisons idéologiques»

Vincent ne serait donc resté que six mois à l’école Littré. Ses deux autres frères, nés en 2008 et en 2011, n’ont jamais mis les pieds dans le public. Contactée par Libération, la ministre conteste fermement tout départ vers Stanislas en raison d’un refus de passage anticipé en moyenne section de maternelle. «Je ne sais pas d’où vous sortez cet élément à côté de la vérité», attaque-t-elle. Et d’assurer qu’elle et son mari étaient «régulièrement perturbés dans [leur] organisation parce que les cours sautaient». Invitée à détailler, elle indique ne pas avoir de souvenir précis du nombre de journées qu’aurait perdues son fils. De la même manière, elle assure également ne pas avoir en tête le nom de l’enseignante de l’époque, ni si son fils est cette année-là entré à l’école en janvier 2009 comme l’affirme son ancienne professeure. «Mais il n’est pas exclu que ce soit cette hypothèse», reconnaît-elle. En tout cas, c’est selon Amélie Oudéa-Castéra pour ces supposées absences à répétition qu’elle a «demandé un rendez-vous à Stan, parce qu’on habitait rue Stanislas. Pas pour des raisons idéologiques, je ne suis pas catholique», conclut-elle.

Face aux propos de sa première apparition publique en tant que ministre de l’Education, Amélie Oudéa-Castéra garde la même ligne de défense que celle qu’elle a tenue ce samedi : «Je regrette vraiment d’avoir blessé, ce n’était nullement mon intention. J’en suis désolée. C’est tellement loin de mes convictions et de mon ambition pour l’école publique que j’en suis malheureuse. Ce que je ne regrette pas c’est de dire les difficultés auxquelles sont confrontées les familles aujourd’hui. On a besoin de régler ce problème de remplacement. Aujourd’hui, près de 15 millions d’heures ne sont pas faites.»

«Equipe pédagogique formidable»

Pour appuyer ses précisions, la ministre cite une autre mère d’élèves qui aurait transféré ses enfants du public Littré au privé Stanislas pour les mêmes raisons. Les deux fils de Delphine Ravon, proche d’Amélie Oudéa-Castéra, ont été scolarisés en petite section et moyenne section de maternelle en 2008-2009. Contactée par Libération, celle-ci confirme que c’est «essentiellement pour cette raison d’absences, difficiles à gérer quand on a une activité professionnelle», que ses enfants sont partis dans le privé. Sans pouvoir donner plus de détails sur d’éventuels manquements de l’équipe.

Depuis la polémique, plusieurs avis Google ont été publiés sur la page de l’école Littré pour soutenir l’école et son personnel. Cécile, dont les enfants ont été scolarisés à partir de 2010, se souvient auprès de Libé d’un établissement «exemplaire». Isabelle, élue FCPE dès la première année de maternelle de son fils, en 2008 (comme celui d’Amélie Oudéa-Castéra) vante «une équipe pédagogique formidable». La fille de Julie (1) était en CM2 à Littré, «une excellente école», l’année dernière. «Il y a eu régulièrement des remplacements, soit avec du personnel extérieur qui venait en détachement, ou bien par la directrice elle-même», explique-t-elle. Si Elvire (1), prof de lettres modernes en REP+ et dont la fille a été inscrite à Littré du CE1 au CM2, reconnaît que «l’école publique est malade», l’établissement situé dans un très chic arrondissement parisien et qui accueille une majorité d’élèves favorisés ne souffre à ses yeux «jamais d’heures ratées, sauf une journée pédagogique par-ci par-là».

«Faute majeure»

Les excuses de la nouvelle ministre ne passent pas auprès de la communauté enseignante, «ulcérée», «blessée», «trahie» par les propos d’«AOC», qui est d’ailleurs censée recevoir les conclusions d’une enquête administrative visant le collège-lycée Stanislas, pour des accusations d’homophobie et de sexisme. «Elle attaque l’école républicaine laïque et gratuite dès sa prise de parole alors qu’elle doit la défendre, pas lui taper dessus, estime Guislaine David, secrétaire générale du Snuipp-FSU, premier syndicat du primaire. C’est une faute majeure. On a un problème de remplacement dans le premier degré à cause de la politique menée par Emmanuel Macron. Jean-Michel Blanquer a dédoublé les classes de CP et de CE1 en éducation prioritaire sans augmenter le nombre de postes. Résultat, c’est le vivier de remplaçants qui a été asséché !»

«Si elle a menti devant les caméras, face à l’opinion publique, devant les professeurs, ça ne laisse rien augurer de bon pour la suite, s’agace Sophie Vénétitay, du Snes-FSU, premier syndicat du secondaire. Comment on va pouvoir lui faire confiance maintenant ? Elle s’est disqualifiée dès le premier tour du tournoi.» Claude Allègre, ministre de l’Education de 1997 à 2000 dans le gouvernement de Lionel Jospin, a déjà fait l’expérience de débuts ratés en s’attaquant au «mammouth» que représenterait son ministère. «Il ne s’est jamais relevé d’avoir attaqué l’absentéisme des profs dès sa prise de fonction, rappelle l’historien Claude Lelièvre. Les enseignants ne lui ont jamais pardonné.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.