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Au Maroc, Bruno Le Maire vante la transition énergétique comme nouveau levier de la relance avec la France

En déplacement avec le Medef à Rabat, le ministre français de l’économie a plaidé pour une coopération approfondie dans la décarbonation.

Par Alexandre Aublanc (Rabat, envoyé spécial)

 

La ministre marocaine de l’économie et des finances Nadia Fettah Alaoui (à droite) reçoit son homologue français Bruno Le Maire à Rabat, le 26 avril 2024.

  La ministre marocaine de l’économie et des finances Nadia Fettah Alaoui (à droite) reçoit son homologue français Bruno Le Maire à Rabat, le 26 avril 2024. FADEL SENNA / AFP

 

Le forum annuel d’affaires France-Maroc n’avait pas eu lieu depuis 2019 en raison de la pandémie du Covid-19 et des turbulences diplomatiques entre les deux pays. C’est dire combien l’image de patrons français et marocains, réunis vendredi 26 avril à Rabat, pèse autant en faveur de la réconciliation que les déplacements des membres du gouvernement français, qui se succèdent ces derniers mois dans le royaume pour préparer une visite du président Emmanuel Macron, qui pourrait intervenir dans l’année.

Dans la capitale marocaine, le ministre français de l’économie, Bruno Le Maire, qui s’est rendu deux fois au Maroc en six mois, l’a répété : « Une politique sans économie, c’est comme un moteur sans essence, ça n’avance pas. » Non pas que les échanges franco-marocains ont ralenti. Au contraire : avec 14 milliards d’euros en 2023, ils ont battu un record. Mais les tensions politiques ont semé des doutes dans les têtes des chefs d’entreprise.

 

« On respire enfin, confie Arnaud de Pugy, le directeur Afrique d’Egis, qui a ouvert sa filiale continentale à Casablanca il y a deux ans, en pleine crise entre la France et le Maroc. Il était crucial pour nous que la coopération reprenne, même si nous avons continué à travailler dans ces moments difficiles. » L’entreprise d’ingénierie accompagne depuis quinze ans l’Office national des chemins de fer (ONCF), la compagnie ferroviaire marocaine, sur les projets de lignes à grande vitesse du royaume.

 

S’il a salué les réalisations françaises dans ce domaine, Bruno Le Maire, qui a la main sur l’énergie depuis le remaniement gouvernemental de janvier, a choisi le nouveau carburant du couple franco-marocain : la transition énergétique. L’Agence française de développement (AFD) prêtera 350 millions d’euros à l’Office chérifien des phosphates (OCP) pour soutenir les investissements du géant des engrais dans la décarbonation. Un programme sur l’hydrogène vert sera également lancé entre le groupe marocain et la banque publique d’investissement Bpifrance.

Energies solaire et nucléaire

Le locataire de Bercy a précisé par ailleurs voir « une complémentarité évidente » entre la relance de la filière française des panneaux photovoltaïques et les capacités « exceptionnelles » du Maroc dans l’énergie solaire. Les panneaux qui seront fabriqués dans les futures giga-usines de Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône) et Sarreguemines (Moselle) pourraient servir au Maroc, alors que plus de 90 % de la production mondiale de ces panneaux vient de Chine.

Plus surprenant a été l’accord du gouvernement français pour une coopération avec Rabat dans le nucléaire. Les petits réacteurs modulaires, dont Emmanuel Macron souhaite doter la France d’un premier prototype d’ici à 2030, pourraient être utiles au dessalement de l’eau de mer, sur lequel le Maroc mise.

 

« Au gouvernement marocain de décider s’il peut être intéressé », a indiqué Bruno Le Maire. Selon nos informations, son homologue Nadia Fettah Alaoui y est favorable, mais d’autres ministres marocains s’y opposent. La complexité d’un tel projet rend toutefois peu probable une coopération effective « avant vingt ou trente ans », tempère un chef d’entreprise français.

 

Quelques annonces et beaucoup de conditionnel, mais Bruno Le Maire insiste : « Une étape dans le renforcement de la relation économique franco-marocaine a été franchie. » Sur tous les sujets évoqués, des groupes de travail associeront des fonctionnaires, des scientifiques et des ingénieurs des deux pays.

« Nous ne sommes plus en terrain conquis »

Des entreprises françaises, comme Air Liquide ou Lhyfe, un producteur et fournisseur d’hydrogène, seront mises à contribution. La pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine semblent avoir convaincu les deux gouvernements de travailler de concert à décarboner leurs économies et sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement.

Contrecoup de la crise bilatérale, la singularité de la relation franco-marocaine a beau être encore soulignée, elle ne suscite plus de réelle conviction côté français. « Le climat au Maroc reste bienveillant, mais il est devenu très exigeant. On nous signifie que nous ne sommes plus en terrain conquis », assure Patrick Martin, le président du Medef, dont le groupe familial qu’il dirige, Martin-Belaysoud, est présent à Kénitra et dans la zone industrielle de Tanger Med (nord).

 

Le patron d’une entreprise du CAC 40, qui a assisté à un échange avec le ministre marocain de l’économie, raconte : « Il nous a dit que des Chinois le contactaient tous les jours et qu’il fallait nous réveiller avant qu’il ne soit trop tard. »

L’ancien ministre de l’industrie et de l’énergie, Eric Besson, qui dirige au Maroc la société suisse Sicpa, est tout aussi catégorique : « Les Marocains ont moins besoin de la France. Nous aurons une bonne relation à l’avenir, mais elle ne sera pas aussi exclusive qu’auparavant. » Les avions de la Royal Air Maroc sont la chasse gardée de Boeing, mais le récent appel d’offres de la compagnie nationale aérienne pour l’acquisition d’un maximum de 200 nouveaux appareils aura valeur de test.

Le développement de Dakhla

« Si Airbus veut l’emporter, il va falloir se bouger », prévient un patron français. Engie et EDF sont, eux, sur les rangs pour le programme éolien Nassim Nord de 400 mégawatts, dont l’appel d’offres vient d’être lancé par l’Agence marocaine pour l’énergie durable (Masen).

Mais, à Rabat, c’est l’autorisation à un investissement au Sahara occidental de Proparco, la filiale de l’AFD dédiée au secteur privé, qui était dans toutes les bouches. L’économie fait en la matière office de signal politique alors que Paris se refuse à aller aussi que le souhaite Rabat sur le statut de cette région du Sud marocain, se bornant à « souligner le soutien clair et constant de la France » au plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007.

Début avril, le ministre du commerce extérieur, Franck Riester, avait annoncé le feu vert de l’Etat français pour cofinancer une ligne électrique à haute tension entre Dakhla, grande ville du Sahara occidental, et Casablanca. Le président du Medef précise au Monde « [s]e félicite[r] de cette avancée habile du gouvernement français, qui est déterminante dans la relation politique et par voie de conséquence dans la relation économique entre les deux pays ».

 

Tout comme le directeur Afrique d’Egis, qui travaille au chantier du port de Dakhla Atlantique : « C’est une bonne nouvelle qui, je l’espère, sera synonyme de moyens supplémentaires dans la zone. »

Si des projets au Sahara occidental se chiffraient à plusieurs milliards d’euros, les capacités de Proparco ou Bpifrance seraient déterminantes pour les financer, avance Loïc Jaegert-Huber. « Nous avons beaucoup poussé en coulisses pour que le gouvernement s’engage dans cette voie, surtout les entreprises qui investissaient déjà dans la zone », explique le directeur d’Engie en Afrique du Nord.

Présent à Dakhla dans un projet combinant une usine de dessalement de l’eau de mer et un parc éolien, le géant français de l’énergie devrait prochainement manifester son intérêt pour participer à cette autoroute électrique qui doit relier le sud et le centre du royaume.

Alexandre Aublanc (Rabat, envoyé spécial)

 

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