ANALYSE - Ces dernières semaines, les sondages effectués avant le vote avaient estimé la participation à environ 40 %, soit presque 10 points de plus qu’en réalité.
Une douche froide.
Quand les premières estimations des résultats des régionales sont tombées, ce dimanche, vers 19 h 30, la surprise a été totale dans tous les états-majors des partis comme dans toutes les rédactions. Depuis plusieurs mois, les sondages étaient unanimes pour montrer la montée en puissance du Rassemblement national de Marine Le Pen dans les intentions de vote et sa possible victoire dans plusieurs régions. Mais dimanche soir, la réalité des urnes n’a pas rejoint celle des sondages. Le RN subit un cuisant revers en ne se hissant en tête que dans une seule région quand les enquêtes d’opinion lui en attribuaient au moins six. La République en marche, qui n’a jamais été présentée comme un rival sérieux des sortants de droite ou de gauche, était au moins censée perturber le cours politique de ces élections. Là aussi, patatras, le parti majoritaire ne viendra rien troubler si ce n’est son propre électorat.
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Comment expliquer un tel écart? Principale raison invoquée par les sondeurs, la participation qui est historiquement basse avec 66,74 % d’abstention, un niveau jamais atteint pour une élection, même intermédiaire. Seul le référendum sur l’instauration du quinquennat avait connu une abstention plus forte. Ces dernières semaines, les sondages effectués avant le vote avaient estimé la participation à environ 40 %, soit presque 10 points de plus. Or, les sondages sont réalisés auprès de personnes qui se déclarent «certaines d’aller voter». C’est même un principe méthodologique que les instituts sérieux se doivent de respecter. Toute la difficulté est de bien établir le niveau de participation. Or, l’abstention est de plus en plus une démarche de contestation politique, voire de sécession démocratique. Ne pas se rendre aux urnes est revendiqué par les Français comme un acte de contestation ultime. Mais pour autant, il y aurait une part de cette contestation qui serait cachée. Certains Français n’oseraient pas dire et assumer leur non-participation. Dans les années 1960 et 1970, le vote communiste était difficilement avoué par les personnes sondées au point que les instituts «redressaient» les résultats du PCF pour tenir compte de ce hiatus. Dans les années 1990-2000, c’est le vote Front national qui était tu par certains. Aujourd’hui, l’abstention semble avoir remplacé ces votes «honteux».
Au premier tour des régionales, ce sont massivement les jeunes et les classes populaires qui ne se sont pas déplacés pour voter. 82 % de moins de 35 ans se sont abstenus, et 84 % des 18-24 ans. Dans les classes populaires, 72 % n’ont pas voté avec une pointe à 76 % chez les ouvriers. Deux catégories (les jeunes et les classes populaires) où justement le RN réalise ses plus gros scores. La contre-performance du RN y puise un début d’explication.
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Mais, pour autant, la crédibilité des sondages en est-elle une nouvelle fois affectée? Car ce qui s’est passé dimanche soir n’est pas un cas isolé. Plusieurs fois, les sondages ont été contredits par la réalité. L’exemple le plus parlant et sans doute le plus lourd de conséquences s’est produit à la présidentielle de 2002 où aucun institut n’avait placé Jean-Marie Le Pen en possible finaliste face à Jacques Chirac, éliminant du coup le favori, Lionel Jospin.
Prophétie autoréalisatrice
Il est de tradition pour les sondeurs de ne pas revendiquer leurs études comme étant prédictives mais seulement comme une photographie à un instant T. Mais il faut, pour être honnête, rappeler aussi toutes les élections où les sondeurs ne se sont pas trompés et ont donné les rapports de force exacts.
Une question reste toujours en suspens: les sondages ont-ils une dimension prophétique autoréalisatrice, ce que les experts des statistiques appellent l’«effet band wagon», littéralement le «wagon où est l’orchestre», quand les indécis calquent leurs choix politiques en fonction des choix des autres, ralliant le candidat donné gagnant par les sondages? Certains sociologues en sont persuadés, les politologues en doutent plutôt.
Si les médias sont de grands consommateurs de sondages, les partis le sont tout autant. Et LR a même décidé récemment… de s’en remettre à un grand sondage de l’Ifop pour départager cet automne les candidats à la candidature de la droite.