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Après une grève très suivie dans l’éducation nationale, Emmanuel Macron joue l’apaisement

 

A trois mois de la présidentielle, le gouvernement redoute que la forte mobilisation, pour l’heure liée à la crise sanitaire, ne dégénère et ne relaie la colère plus profonde des personnels de l’éducation.

Par Claire Gatinois, Olivier Faye et Soazig Le Nevé

Publié aujourd’hui à 05h59

 

Le principal danger d’une campagne présidentielle, c’est l’imprévu. Cet adage, que garde en tête la majorité présidentielle pour se préserver de tout excès de confiance, s’est confirmé jeudi 13 janvier.

Personne, au sommet de l’Etat, n’avait anticipé une grève nationale des professeurs et des personnels de l’éducation. Personne n’avait imaginé que le mouvement serait suivi par 31 % des enseignants, selon le décompte du ministère de l’éducation nationale, et par plus de 60 % d’entre eux, selon les syndicats, mettant près de 80 000 manifestants dans la rue, selon le ministère de l’intérieur.Plus gênant encore, à moins de cent jours du premier tour de l’élection présidentielle, personne n’avait prédit que les représentants de parents d’élèves seraient associés à l’exaspération des professeurs face à un protocole sanitaire jugé trop lourd, trop complexe et trop mouvant.

 

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Désormais, l’exécutif redoute que le mouvement, pour l’heure lié à la crise sanitaire, ne dégénère et ne relaie la colère plus profonde qui couve au sein de l’éducation nationale. Un sujet propice à s’enflammer sous l’effet de la campagne présidentielle. Déjà au milieu des professeurs battant le pavé à Paris, le candidat de La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, n’a pas manqué d’accuser le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, d’avoir « à moitié démoli l’école », quand Yannick Jadot, candidat d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), appelait à cesser de « maltraiter les enseignants ».

 

Dans un entretien au Parisien, Damien Abad, conseiller de Valérie Pécresse, candidate pour le parti Les Républicains (LR), reprochait aussi au ministre de l’éducation d’avoir créé « un grand désordre à l’école », tout en critiquant plus largement le bilan du quinquennat d’Emmanuel Macron. « Sur la réforme du bac et du lycée, l’objectif était la simplification, le résultat est une situation aussi complexe qu’avant. Il n’a pas réussi à faire de l’éducation un moyen de l’ascension sociale. Aujourd’hui, l’égalité des chances est un leurre et la promotion sociale est une illusion », attaque le député de l’Ain.

 

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« Aller de l’avant »

Pour éteindre au plus vite le feu naissant, le premier ministre, Jean Castex, a reçu, jeudi en fin d’après-midi, les organisations syndicales des personnels de l’éducation et les associations de parents d’élèves. La rencontre, qui s’est déroulée au ministère de l’éducation nationale « en présence », selon les mots de Matignon, du ministre Jean-Michel Blanquer, comptait aussi le ministre de la santé, Olivier Véran, en visioconférence après avoir été testé positif au SARS-CoV-2.

Au-delà de la promesse d’un changement de méthode privilégiant la concertation lors de décisions liées aux protocoles sanitaires, l’exécutif s’est engagé, notamment, à livrer 5 millions de masques FFP2 et à recruter plusieurs milliers de personnes pour aider les enseignants à affronter la crise. Ce fut un « moment de bonne discussion pour aller de l’avant », a conclu M. Blanquer à l’issue de la réunion. Assez pour apaiser la colère ?

 

Rien n’est moins sûr.

 

La reprise en main de cette crise par le premier ministre sonne comme un désaveu de plus envers le ministre de l’éducation nationale. Lundi 10 janvier, Jean Castex, décrit comme un « général en première ligne », avait déjà été chargé de corriger la copie de Jean-Michel Blanquer en annonçant une simplification du protocole sanitaire à l’école. Et si, à l’issue du conseil des ministres du mercredi 12 janvier, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, a assuré que l’exécutif était « très en soutien » de l’ancien recteur, le ministre semble plus que jamais dans la tempête.

La crise couvait. Ces derniers jours, les alertes sont remontées de toutes parts au sein de la majorité, que ce soit de parents excédés par la lourdeur du protocole sanitaire, d’enseignants épuisés après avoir affronté deux ans de crise sanitaire, ou d’élus désemparés, dont les services municipaux sont mis à mal par l’ampleur de la vague Omicron.

 

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La crainte d’une « société judiciarisée »

Un proche d’Emmanuel Macron raconte comment des maires de sa circonscription l’ont appelé pour s’émouvoir des manques de personnels dans leurs villes respectives, avec des employés bloqués à leur domicile car positifs au SARS-CoV-2, cas contacts, ou bien accaparés par leurs enfants, sans écoles ouvertes. « C’est moi qui mets les couverts à la cantine, il n’y a plus personne ! »,s’est agacé l’un d’entre eux. Un dirigeant de la majorité voit dans ce « bordel » un excès de prudence de l’exécutif, qui suit à la trace les consignes du conseil scientifique. Une attitude qui serait motivée, selon cet élu, par la crainte d’une « société judiciarisée », qui a vu l’ancienne ministre de la santé Agnès Buzyn être mise en examen par la Cour de justice de la République pour sa gestion de l’épidémie.

 

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Depuis la rentrée de janvier, Jean-Michel Blanquer s’abrite, de fait, derrière les autorités sanitaires, qui ont recommandé le protocole mis en place à l’école, déjà amendé à trois reprises par le gouvernement. Quant aux difficultés qu’ont rencontrées les parents à se procurer des tests pour leurs enfants, il s’agit d’« un sujet logistique de santé », s’est-il défendu, mardi 11 janvier, sur BFM-TV. Une contre-attaque adressée à son confrère de la santé, Olivier Véran, qui s’est soldée par une algarade entre les deux ministres le lendemain.

Quand bien même les torts seraient partagés, l’exécutif multiplie les signaux laissant entendre que Jean-Michel Blanquer aurait à endosser la responsabilité de cette crise. Après les mots d’Emmanuel Macron dans un entretien au Parisien le 5 janvier, « donnant le point » à une enseignante agacée d’apprendre le jour pour le lendemain les modifications du protocole sanitaire, le chef de l’Etat laisse entendre qu’il pourrait porter, lors de la campagne présidentielle, un projet de réforme de l’éducation nationale qui ne serait pas en ligne avec les idées du ministre. Il s’agirait de « redonner du sens » à la profession d’enseignant plutôt que d’insister sur le rétablissement de leur autorité, comme le défend M. Blanquer.

 

Jeudi soir, devant les présidents d’université réunis en congrès à la Sorbonne, le chef de l’Etat a de nouveau semblé contrarier son ministre, si prompt à dénoncer le « wokisme » qui s’infiltrerait dans l’enseignement supérieur. En octobre 2020, Jean-Michel Blanquer avait fustigé la « gangrène » de « l’islamo-gauchisme » au sein du monde universitaire. Le 7 janvier, il avait participé à un colloque très décrié, organisé à la Sorbonne par l’Observatoire du décolonialisme, un collectif d’universitaires créé début 2021 et censé documenter les accusations proférées à l’encontre d’enseignants-chercheurs dont les pratiques seraient militantes, voire séparatistes. « On ne peut pas contester à tout-va l’autorité scientifique et académique. Sinon, on nourrit les conditions du complotisme », a tranché Emmanuel Macron, jeudi. A ses yeux, il revient aux universités d’« éclairer le monde tel qu’il est ». « Défendre nos universités, c’est défendre une autorité scientifique et académique sans laquelle il n’y a ni savoir ni transmission de savoir », a-t-il ajouté, comme pour faire oublier ses propres attaques, en juin 2020, contre les sciences sociales, qu’il avait rendues coupables d’avoir « cassé la France en deux », en encourageant l’ethnicisation de la question sociale.

 

Jean-Michel Blanquer peut toutefois difficilement jouer les fusibles. Son éviction serait malvenue et même jugée contreproductive à trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, prévu le 10 avril. Le ministre, en poste depuis près de cinq ans, doit donc gérer cette crise en tentant de renouer le dialogue avec le corps enseignant. Mais l’équation qu’il lui faut résoudre est complexe : il doit à la fois rassurer les professeurs et donner des gages à l’opinion publique et aux parents d’élèves. Or, même si une coalition s’est formée dans la rue jeudi, les attentes des uns et des autres ne concordent pas toujours.

 

Une partie des enseignants, inquiète de la propagation du Covid-19, cherche à renforcer le protocole sanitaire, quand les parents d’élèves restent, au fond, favorables au mantra du gouvernement : maintenir le plus possible les écoles ouvertes. Reste une échappatoire. Que le pic de la vague Omicron soit rapidement atteint pour que le sujet sanitaire s’éteigne de lui-même, avant que des revendications plus profondes sur l’école n’émergent.