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Sophie Binet : « La vérité sort de la bouche des jeunes générations tristement obligées de bifurquer pour trouver un travail qui ait du sens »

Tribune

Sophie Binet

Leader syndicale

La secrétaire générale de la CGT propose, dans une tribune au « Monde », l’ouverture de cinq chantiers pour permettre aux salariés de retrouver la maîtrise du sens et du contenu de leur travail.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mobilisation contre la réforme des retraites a mis sur le devant de la scène la dégradation des conditions de travail et le fait qu’une large majorité de salariés ne se voient pas « tenir » à leur poste jusqu’à 64 ans, voire 67 ans. Pourtant, à l’image des « premières de corvées » découvertes avec le Covid-19 et aussitôt oubliées, la question du travail est de nouveau sortie des radars. Le politique a abandonné le sujet de longue date quand, côté syndical, nous peinons à trouver des leviers d’action, tant les moyens et prérogatives des représentants du personnel ont reculé ces dernières années.

 

 

 

Résultat : alors que le travail occupe une place centrale dans nos vies, son organisation et sa finalité sont abandonnées au patronat, comme si le lien de subordination donnait les pleins pouvoirs à l’employeur. Le travail et son organisation sont au centre d’une question démocratique majeure. Permettre aux salariés de retrouver la maîtrise du sens et du contenu de leur travail, c’est reprendre la main sur le progrès technologique et donner les moyens à notre force de travail de répondre aux besoins sociaux et environnementaux plutôt qu’à dégager toujours plus de valeur pour les actionnaires. Pour cela, il faut ouvrir cinq chantiers.

 

D’abord, celui du sens du travail. La vérité sort de la bouche des jeunes générations tristement obligées de bifurquer pour trouver un travail qui ait du sens, notamment d’un point de vue environnemental ! L’intelligence artificielle (IA) rend désormais possible le remplacement de nombreuses tâches intellectuelles : si les scénaristes d’Hollywood peuvent désormais être remplacés par des machines, peut-être faut-il remettre en cause la pauvreté de leurs scénarios ? Que certains puissent imaginer remplacer les aides à domiciles par des robots confirme à quel point leur véritable travail est occulté.

 

 

 

Le tabou de la « pénibilité »

L’IA pourrait être l’occasion de mettre fin à la taylorisation du travail intellectuel et relationnel en le centrant sur les aspects réellement humains, de rendre visible la richesse du travail réel par rapport au travail prescrit. Définir ce qui doit être automatisé ou non nécessite un vrai débat démocratique, de l’entreprise à l’Assemblée nationale ! La mise en place d’une information-consultation annuelle des représentants du personnel sur les méthodes de management permettrait également de combattre le management par les nombres qui, malgré les suicides de France Télécom, continue à faire des ravages.

 

Deuxième chantier, celui des conditions de travail. Chaque jour, plus de deux ouvriers meurent au travail et 2 500 salariés sont victimes d’un accident de travail. En silence. La France détient le triste record européen, et le ministre du travail prétend répondre à cette hécatombe par une énième campagne de communication… Il n’est pourtant pas besoin de voyager bien loin pour trouver ce qui permet de changer la donne. A Paris, sur les chantiers des Jeux olympiques, les accidents ont été divisés par quatre.

 

Comment ? En multipliant les contrôles de l’inspection du travail, en augmentant les moyens et prérogatives des représentants du personnel et en responsabilisant les donneurs d’ordre. A quand le rétablissement des CHSCT, un plan de recrutement dans les inspections du travail et la limitation du nombre de niveaux de sous-traitance ? Si le travail tue, il limite aussi directement l’espérance de vie. La mise en place de vrais départs anticipés pour pénibilité est plus que jamais d’actualité.

Las ! Le mot « pénibilité » est désormais tabou – patronat et gouvernement parlent désormais pudiquement d’« usure » –, et les départs anticipés concernent moins de 3 000 salariés chaque année… Pourtant, dix critères de pénibilité font consensus depuis quinze ans et pourraient permettre, dans chaque branche, de définir les métiers ouvrant droit à des départs anticipés. Exit le « casse-tête » du relevé individuel d’exposition à fournir pour chaque salarié !

 

 

Rentes et bas salaires

Troisième enjeu : le collectif de travail, explosé du fait de la financiarisation de l’entreprise. Morcelé entre salariés titulaires et précaires – 20 % des ouvriers sont des intérimaires ! –, fractionné entre une multitude d’entreprises donneuses d’ordre – 43 % des salariés font partie d’une chaîne de sous-traitance et 27 % travaillent dans un établissement preneur d’ordres selon la Dares [direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques] –, fragilisé par le télétravail, le collectif de travail doit être reconstitué. Il peut l’être en inventant la notion d’entreprise élargie, responsabilisant le donneur d’ordre et donnant les droits et moyens aux représentants du personnel d’intervenir sur toute la chaîne de valeur.

 

 

La quatrième question, centrale, est celle de la reconnaissance du travail et de sa rémunération. Dans le pays de l’homme le plus riche du monde, dans le pays aux 2,8 millions de millionnaires, la moitié des salariés gagnent moins de 2 000 € net par mois et ne peuvent ni épargner ni faire des projets d’avenir. La France est un pays de bas salaires et de rentiers ! Indexer les salaires sur l’inflation, dynamiser les négociations salariales en conditionnant les aides publiques à leur réussite, sanctionner enfin les entreprises ne respectant pas l’égalité salariale, seraient autant de leviers pour rendre au travail toute sa « valeur ».

 

 

Enfin, cinquième chantier, le progrès technologique et le défi environnemental imposent de lancer une nouvelle phase de réduction du temps de travail, sur la semaine avec les 32 heures, sur l’année avec la sixième semaine de congés payés et sur la vie entière avec la retraite à 60 ans. Réduire le temps de travail sans perte de salaire permet de mettre les gains de productivité au service du progrès social et sociétal, de travailler à temps plein tout en s’occupant de ses proches ! Voilà une perspective qui rassemblerait le pays et remettrait la question du travail au centre de l’attention publique.

 

Sophie Binet est secrétaire générale de la CGT.

 

 

Sophie Binet(Leader syndicale)

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